Sorti en mars 2019, "La Citadelle écarlate" est le cinquième volet de la série que Glénat consacre aux adaptations en bande dessinée des récits que l'auteur texan Robert Howard (1906-1936) écrivit pour Conan le Cimmérien. Ce recueil - format 24,0 × 32,0 cm et à couverture cartonnée - inclut cinquante-six planches en couleurs. En bonus : la carte de David Demaret, une postface de Patrice Louinet, un portrait de Conan, ainsi que cinq pages d'hommages, signées Laurent Hirn, Stéphane Perger, Cecil, Olivier Ta (TaDuc), Dimitri Armand, et Vincent Froissard.
Le principe de cette collection est clair : un ouvrage = une aventure complète = une vision = une équipe artistique. Là, c'est au scénariste belfortain Luc Brunschwig et au dessinateur Étienne Le Roux qu'a été confiée l'adaptation. Leroux a réalisé les dessins et l'encrage, et la mise en couleurs des planches a été confiée à Hubert Boulard dit Hubert (1971-2020). Brunschwig a été révélé par "Le Pouvoir des innocents". Le Roux est connu notamment pour "14-18". Brunschwig et Le Roux avaient déjà collaboré ensemble, sur la série "La Mémoire dans les poches".
Sortant de la forêt, chevauchant un ours, Flavio, le ménestrel du roi Conan, se presse vers les portes de l'imposante cité de Tamar. Il supplie ceux qui veulent bien l'écouter de rentrer dans la ville et de s'y abriter. Bientôt, hurle-t-il, les murailles de Tamar seront leur "dernier rempart contre la mort", car c'est "l'enfer et tous ses démons" qu'il ramène dans son sillage ; à la porte d'entrée, un garde le reconnaît et ordonne qu'on le laisse passer. Peu après, l'ours s'effondre mort d'épuisement. Ému, le ménestrel remercie son "compagnon" de l'avoir ramené juste à temps à Tamar. Il supplie les gardes de fermer les portes à double tour. L'un d'eux lui répond que cela est "impossible", ses collègues et lui n'ont pas autorité pour cela. En l'absence du roi, seule la "Noble Assemblée" peut prendre pareille décision...
La nouvelle "La Citadelle écarlate" ("The Scarlet Citadel") fut écrite au printemps 1932, et publiée en janvier 1933. La postface indique qu'il s'agit du "cinquième texte consacré" à Conan. Toujours selon Louinet, Howard s'est inspiré - comme pour "La Fille du géant du gel" (1932) - de "Bulfinch's Mythology" (1855-1863), une compilation de contes et légendes arrangée par Thomas Bulfinch (1796-1867). Louinet ajoute que Howard a également pioché dans "La Compagnie blanche" ("The White Company", 1891) et "Sir Nigel" (1906), diptyque d'Arthur Conan Doyle (1859-1930) qui a pour cadre le début de la guerre de Cent Ans. La particularité de la "La Citadelle écarlate" est que Conan, dans la force de l'âge, y est souverain d'Aquilonie. Cela n'est pas du goût du prince Arpello de Pellia, qui conspire pour chasser le Cimmérien du trône et y monter. À cette fin, il a scellé une alliance avec les Kothiens de Strabonus et les Ophiriens d'Amalrus. À leurs côtés, un allié de taille : le sinistre sorcier Tsotha-Lanti. On retrouve ce savant dosage d'événements homériques et d'éléments horrifiques qui caractérise plusieurs nouvelles de Howard. Naturellement, Conan est juste, aimé de ses sujets, alors que Pellia est un monstre de cynisme. Pour Louinet, Howard exprime là son "mépris envers la monarchie héréditaire et la notion [...] de noblesse", mais cette idée a toujours été très répandue aux États-Unis - où l'on voue un culte à la méritocratie -, et pas seulement chez Howard. Le statut royal de Conan permet à l'écrivain de justifier ces grandes batailles rangées, comme dans "Le Colosse noir", où Conan était général (il y a des similarités entre les deux nouvelles). Brunschwig prend des libertés ; pas avec l'intrigue, mais avec ses protagonistes. Des personnages secondaires sont omis, d'autres inventés, tel Flavio : sa création permet d'utiliser moins de figurants, de cristalliser la souffrance du peuple sur une seule figure, et de concentrer la narration. Enfin, il y a Tsotha-Lanti et Pelias. Le premier est sinistre à souhait, mais le second, malgré son affabilité, n'en est pas moins profondément inquiétant et insaisissable ; la vedette de cet album, c'est peut-être lui. L'adaptation de cette nouvelle à part n'est pas scrupuleusement fidèle, mais elle est structurée, équilibrée, généreuse en action, en émotion, et compte son lot de surprises.
Le Roux évolue dans un registre qui peut être qualifié de réaliste : proportions et traits normaux, si ce n'est les yeux, quelquefois trop ronds, et des expressions parfois exagérées. Le trait net est d'un contour régulier. Dosé avec parcimonie, l'encrage est un peu léger par endroits malgré de beaux contrastes entre ombre et lumière (cf. les séquences de la geôle). L'artiste compose une poignée de somptueuses planches de bataille au début, mais quelques arrière-plans chiches en détail ternissent celle de la fin. Le découpage est clair, quel que soit le type d'action. Le quadrillage consiste en trois ou quatre bandes horizontales séparées par des gouttières blanches. Le Roux utilise parfois la technique de l'incrustation. La mise en couleurs est un point faible important : manquant de couleurs vives, elle n'est pas assez organique.
Brunschwig adapte "La Citadelle écarlate" avec liberté et la partie graphique présente quelques lacunes, dont une colorisation sans éclat. Quoi qu'il en soit, le résultat est satisfaisant dans l'ensemble, et supporte la comparaison avec les autres albums.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz
4 étoiles avec une conclusion assez posée (satisfaisant dans l'ensemble) : cela tendrait à me conforter dans l'idée que je peux faire l'impasse sur ce tome.
RépondreSupprimerUne compilation de contes et légendes arrangée par Thomas Bulfinch : je suis allé consulter l'article que tu as mis en lien (merci) car je ne connaissais pas cet ouvrage Bulfinch's Mythology qui s'est imposé comme une référence outre Atlantique.
Conan, dans la force de l'âge, y est souverain d'Aquilonie : je me souviens encore quand , dans un comics Marvle, j'avais découvert qu'il était devenu roi, une sacrée surprise.
Ton paragraphe consacré à la narration visuelle me fait dire que connaissant déjà l'intrigue, il me faudrait un artiste avec plus de personnalité graphique pour avoir envie de m'y replonger.
Tu as raison de souligner que ma conclusion est posée. J'ai longuement hésité entre trois et quatre étoiles, mais les scènes se déroulant dans le cachot et le personnage de Pelias m'ont convaincu de tirer ma note vers le haut. Sinon, ça aurait été trois étoiles. Idéalement, ça aurait été trois étoiles et demie, mais je n'ai pas le caractère ASCII me permettant de l'utiliser.
SupprimerDans le passé, j'avais commencé la série "14-18", mais malgré mes efforts, je n'avais pas pu me faire au coup de crayon de Le Roux, pas suffisamment réaliste pour être considéré comme tel, mais pas non plus caricatural pour prétendre l'être vraiment.