samedi 27 mars 2021

Conan le Cimmérien : "Le Colosse noir" (Glénat ; mai 2018)

Publié chez Glénat, en mai 2018, "Le Colosse noir" est l'un des premiers ouvrages de la collection que l'éditeur consacre aux adaptations en bande dessinée des vingt nouvelles et du roman que Robert E. Howard (1906-1936) écrira pour le personnage de Conan le Cimmérien. Ce recueil au format 24,0 × 32,0 cm et à la couverture cartonnée inclut soixante-trois planches, en couleurs. En bonus, une carte géographique, une postface de deux pages de Patrice Louinet avec éléments biographiques et explications, et six illustrations d'artistes divers, en hommage. 
Le principe de cette collection est clair : un ouvrage = une aventure complète = une vision = une équipe artistique. Là, c'est à Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat qu'a été confiée l'adaptation. Brugeas signe le scénario, Toulhoat les dessins, l'encrage, ainsi que la mise en couleurs. Brugeas et Toulhoat sont des collaborateurs fidèles : sur les sept albums de la franchise "Block 109" (2010-2016), et plus récemment sur "Ira Dei" (2018-2021). 

Le désert de Shem, dans les ruines de l'antique cité de Kuthchemes. Shevatas, roi des voleurs, est seul ; il avance le long de la voie dallée avec prudence. Il hésite et l'inquiétude se lit sur son visage. Au fond, en haut d'une rangée d'escaliers, s'élève la silhouette d'un dôme blanc qui se dessine sur l'horizon. Shevatas arrive aux pieds d'une statue colossale et se met à gravir les marches. Il monte au sommet et jette un regard sur la ville morte ; il a retrouvé sa détermination. Un portail cyclopéen sur lequel sont gravés les caractères d'un étrange alphabet se dresse devant lui. Ses mains expertes en caressent la surface, et la porte massive se soulève et s'ouvre sur un large couloir. De chaque côté, d'immenses fresques murales... Un sifflement sinistre déchire le silence assourdissant. Un serpent géant fond sur lui ! Shevatas dégaine son glaive. Dans un cri de peur, le voleur tend son bras armé et cache son regard de l'autre main... 

Pour inaugurer sa collection, Glénat lance deux albums simultanément, tous deux sortis le 2 mai 2018, "La Reine de la côte noire" et "Le Colosse noir" ("Black Colossus" en VO ; 1933). Certains affirment que cette nouvelle est majeure, car elle pare le Cimmérien d'une tout autre aura : Conan, promu général, émergera victorieux d'une bataille homérique qui implique des milliers de soldats, et qui décidera du sort du monde ! Peut-être plus que n'importe quel récit d'Howard, "Le Colosse noir" exige un équilibre entre, d'un côté, l'atmosphère fantastique et de terreur qui est engendrée par l'antagoniste - le sorcier Thugra Khotan alias Natohk - et de l'autre, l'ambiance épique des champs de bataille où les cavaliers chargent, et où les soldats s'affrontent à l'épée ou à la lance dans des hurlements sauvages après avoir essuyé les volées de flèches tirées par les archers. Il faut bien reconnaître que Brugeas y parvient avec une certaine maestria, même si les contraintes de format de ce médium qu'est la bande dessinée l'obligent à condenser sa narration, ce qui a pour effet de faire ressortir la linéarité de la trame. Fidèle au texte d'Howard, l'auteur a taillé dans le gras des chapitres pour n'en extraire que les séquences les plus essentielles. Du côté du scénario, les lecteurs pourront estimer que l'exercice est plutôt réussi. 
Selon Brugeas, Toulhoat et lui ont tenu à adapter "Le Colosse noir", entre autres pour le défi que représentait la figuration d'une grande bataille rangée. Ce n'est pas le seul stimulus de cette œuvre, dont Toulhoat doit parvenir à réfléter les différentes atmosphères en images à commencer par cette inquiétude rampante, l'insaisissable menace incarnée par Natohk, tapie dans l'ombre, prête à surgir à chaque instant pour tourmenter Yasmela. Le Conan de Toulhoat est massif : bloc inamovible exhalant la puissance, mais qui laisse deviner une agilité et une rapidité peu communes. Ce qui surprend l'amateur des écrits d'Howard, c'est l'expressivité que dégage le visage du Cimmérien, parfois jusqu'à une certaine candeur qui ne lui sied guère ou qui ne correspond pas au conditionnement forgé par le canon de décennies de productions Marvel. Les protagonistes, de Yasmela au conte Thespides, dont le faciès reflète la morgue aristocratique, sont soignés par un trait fin, régulier. L'emploi d'inserts met en exergue la modernité du quadrillage ; le découpage est clair. La bataille rangée s'étale sur une vingtaine de planches ; Toulhoat a le sens de la diversité du cadrage, savoir-faire indispensable pour ce type de séquence. Le niveau de détail est très satisfaisant. Superbe, la mise en couleur crée les contrastes nécessaires. 

Voilà une adaptation divertissante avec un Conan très expressif, une mise en images - très réussie - de cette fameuse et fantastique bataille et un soupçon d'érotisme. Les auteurs parviennent à reproduire la diversité des atmosphères du "Colosse noir"

Mon verdict : ★★★★☆ 

Barbüz

3 commentaires:

  1. Voilà un article qu'il me tardait de découvrir.

    4 étoiles : plutôt une réussite, même si je n'ai pas senti un réel enthousiasme dans tes propos. Visiblement tu regrettes la pagination trop faible qui ne permet pas aux auteurs de bien rendre compte le toutes les facettes du récit, et Conan peut-être un peu trop expressif pour un individu déjà endurci sur de nombreux champs de bataille. Pas de remarque sur le français, j'en déduis que le scénariste n'en a pas fait.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est effectivement le Conan qui m'a un peu déçu de par son manque de rugosité et d'âpreté. Il y a certaines cases où il fait plus "barbare gentil" qu'autre chose. Cela n'enlève rien au remarquable travail de Toulhoat.

      Je ne commente la qualité du texte en français que dans les traductions (donc seulement pour les comics ou les mangas), parce que c'est un travail à part et en plus, qui est censé apporter une vraie valeur ajoutée - la seule qu'apporte la maison d'édition qui traduit l'œuvre, d'ailleurs (et l'éditorial et la maquette dans une moindre mesure) ; tu vois ce que je veux dire ? Je suis aussi un amoureux de la langue française, et je crois fermement qu'une mauvaise traduction ou un mauvais texte peut plomber une œuvre. Des auteurs comme Kirby, Byrne, Miller, Thomas, ou Moore méritent le meilleur. Enfin, je me demande si les traducteurs de mangas ne sont pas plus soigneux dans ce domaine que leurs confrères côté comics ; mais ce n'est peut-être qu'une simple perception.

      Supprimer
  2. Oui, je vois ce que tu veux dire.

    Je posais la question parce que de temps à autre, je me rends compte que j'apprécie l'écriture des dialogues ou des cartouches de texte qui possèdent une réelle personnalité. Je m'en suis rendu compte la première fois avec les dialogue de DeMatteis sur la série Justice League International, où les dialogues n'étaient pas juste drôles, mais ils portaient également la personnalité de celui qui s'exprime.

    Ces derniers temps, je remarque plus des auteurs qui écrivent à la manière de… (par exemple en mode polar pour Miller sur Sin City ou Brubaker sur la série Criminal, ou en mode Théorie du complot pour James Tynion IV pour Department of Truth). La dernière écriture qui m'a marqué par son style, c'est celle de Scott Adams pour sa série Dilbert. En écrivant cette phrase, je me dis que Voutch cisèle tout autant ses phrases. Jacques Tardi a également un style affirmé dans Moi René Tardi.

    RépondreSupprimer