jeudi 21 avril 2022

Tif et Tondu (tome 13) : "Le Grand Combat" (Dupuis ; janvier 1968)

"Tif et Tondu" est une bande dessinée créée par le Bruxellois Fernand Dineur (1904-1956), en 1938. L'historique de publication est compliqué, la numérotation des tomes changeant avec le temps. Si au début, Dineur cumule les postes de scénariste et de dessinateur, cela évolue à l'arrivée de Willy Maltaite, dit Will (1927-2000), qui se charge des illustrations dès 1949. Puis Dineur quitte le titre en 1951. Il est remplacé par Henri Gillain, alias Luc Bermar (1913-1999), et par Albert Desprechins (1927-1992), avant que Maurice Rosy s'installe jusqu'à "Tif rebondit" en 1969. 
"Le Grand Combat" a d'abord été prépublié dans le magazine "Spirou", du nº1501 du 19 janvier 1967 au nº1521 du 8 juin 1967 ; puis Dupuis l'a réédité, en janvier 1968, sous la forme d'un recueil de quarante-deux planches. C'est le treizième numéro de la seconde série classique (depuis la réédition de la série, en 1985). Rosy a écrit le scénario et Will a produit la partie graphique, le dessin, l'encrage ainsi que - sauf erreur - la mise en couleurs. 

Installés à bord de la fameuse Narval rouge, Tif et Tondu se sont arrêtés devant la barrière d'un poste frontière. Tif, qui est au volant, s'étonne de leur situation. Selon Tondu ils ont dû se tromper, car leur carte ne fait état d'aucune frontière. Ils auraient dû prendre à droite, au petit pont, mais cela n'explique pas l'existence de ce poste. L'endroit est calme, silencieux, et désert. Le soleil couchant le nimbe d'une atmosphère légèrement troublante. Tif sort du véhicule pour aller s'informer, mais remarque qu'il n'y a aucun douanier non plus ; étrange. Ne reconnaissant toujours pas ce coin, il est d'avis de retourner au village afin de se renseigner. Tondu propose de s'y rendre à pied et de laisser la voiture sur place. Une nouvelle fois, le calme de l'endroit les étonne. Pour Tondu, c'est même "anormalement calme". Tif sent l'inquiétude monter. Il frappe à la porte d'un bâtiment. Tondu l'incite à la retenue : les autochtones "font peut-être la sieste"... 

Pour la série, la période 1968-1970 est décidément bien curieuse. Après celui-ci, Rosy n'a plus que deux albums à scénariser avant que le poste de scénariste soit repris par Maurice Tillieux (1921-1978). Rosy multiplie les scénarios et écrit pas moins de six albums entre 1968 et 1970, dont trois en 1968 ; cette année-là, le volume se fait malheureusement au détriment de la qualité, car "Le Grand Combat" propose une intrigue peu inspirée... Tif et Tondu sont décidément des justiciers incontournables : les voilà non seulement sollicités par l'État, mais aussi par la lamaserie des Sept Collines. Au centre de la toile : Choc, qui a acquis (malhonnêtement - faut-il l'ajouter) la possibilité de s'inviter dans les rêves d'autrui, et qui en profite pour faire chanter les gouvernements. Premier point, Rosy aurait pu jouer sur la confusion entre rêve et réalité, mais il n'en est rien. Le dormeur vit pleinement son expérience dans un univers plus ou moins imaginaire et se réveille dans son lit ou son fauteuil en cas de danger imminent. Ces mondes du sommeil ne brillent pas par leur inventivité débridée : si celui de Choc mêle destruction, structures architecturales ultramodernes et déshumanisées, et bizarreries de la nature, Tondu est transporté au Moyen Âge, où il est à tout près d'être soumis à la question, et Tif sous la Première République, où il échappe de peu à la guillotine. Si l'on met de côté ces particularités, la facture de l'intrigue est tout à fait classique : un chassé-croisé entre Choc d'un côté, et Tif et Tondu et leur allié de l'autre, la séparation de nos deux justiciers, puis le dénouement, à l'issue de l'affrontement final. Le tout est séquencé dans un certain équilibre, mais Rosy ne parvient pas à instiller suffisamment de suspense ou de folie dans son scénario, et les événements défilent, sans que le lecteur sente la tension s'installer (l'ampleur de la menace ne transparaît pas assez) ou l'amusement poindre durablement. Le lecteur pourra ressentir une certaine frustration et une sensation d'inabouti tant la trame paraît précipitée (peut-être pour respecter le nombre de planches dicté par le genre, l'époque, le format) et routinière dans sa construction. 
La partie graphique du "Grand Combat" est dans le moule de celles des tomes précédents. Will, assurément, est très pris par les impératifs de production, et n'a pas le temps d'expérimenter, ou Rosy et lui estiment que le registre ne s'y prête pas nécessairement. Le lecteur ne doit donc pas s'attendre à la moindre évolution du coup de crayon du dessinateur. Will inscrit pleinement son travail dans le registre de l'école de Marcinelle. Le quadrillage, par exemple, est invariablement constitué de quatre bandes horizontales (sauf la première planche), chacune contenant deux à trois cases. Malgré des vignettes de plus grandes dimensions, de deux bandes de haut, cette mise en page peut sembler étriquée. Bien que la densité de détail soit contrôlée (nul doute que certaines scènes auraient gagné à être moins sobres), et que la variété des plans soit fortement restreinte, Will continue cependant à briller par la limpidité de l'articulation de son action, ainsi que par son sens du mouvement. 

"Le Grand Combat" est sans doute, avec "La Poupée ridicule", l'un des numéros les moins intéressants d'une série qui est en roue libre depuis que Will a repris son poste après la pause 1958-1964. Dommage que le duo ait préféré la quantité à la qualité ! 

Mon verdict : ★★☆☆☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

2 commentaires:

  1. Quelle couverture singulière ! Ton article permet de comprendre son étrangeté.

    Une intrigue peu inspirée : ça se ressent bien à la lecture de ton article.

    Le tout est séquencé dans un certain équilibre […] peut-être pour respecter le nombre de planches dicté par le genre, l'époque, le format, et routinière dans sa construction : j'aime bien cette remarque qui fait ressortir le fait que les auteurs n'ont peut-être d'autres choix que de se conformer à des prescriptions techniques formelles auxquelles ils ne peuvent pas déroger.

    Le lecteur ne doit donc pas s'attendre à la moindre évolution du coup de crayon du dessinateur : la tonalité de ce paragraphe me rappelle ma propre lassitude à la fin de la série Jessica Blandy, où je souhaitais retrouver la même chose, mais aussi des petits plus, au moins de la part du dessinateur. C'est étrange comme je n'arrive pas à me contenter de juste plus de la même chose.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je rebondis sur ton dernier paragraphe. Je vois très bien ce que tu veux dire. De mon côté, les cartes sont néanmoins un peu faussées, parce que je sais très bien que le style de Will va évoluer. Je sais aussi que ça coïncidera avec l'arrivée de Tillieux au poste de scénariste, mais rien à faire : même si ici c'est encore Rosy qui écrit, je ne peux m'empêcher d'examiner les dessins de Will dans l'espoir - entièrement vain, c'est clair - d'y déceler tel ou tel changement.

      Supprimer