lundi 25 avril 2022

"Divinity" (Bliss Comics ; mai 2016)

"Divinity" est le premier album d'un triptyque du même nom, paru, en version française, entre mai 2016 et septembre 2017, puis réédité en une intégrale en un seul volume en novembre 2019. En version originale, "Divinity" compte quatre numéros mensuels, parus chez Valiant, entre février et mai 2015 ; ce recueil en propose donc les versions françaises. Publié chez Bliss Comics - petit éditeur bordelais - en mai 2016, ce tome (format 17,5 × 26,5 centimètres ; couverture cartonnée) contient environ quatre-vingt-quinze pages, dont, en bonus : cinq avec des études graphiques, onze avec des planches commentées, une avec des variantes de couvertures puis une avec quatre planches avant/après encrage. 
"Divinity" a été créé et écrit par Matt Kindt ; s'il est surtout connu des lecteurs de Valiant pour "Rai", "Ninjak", ou "X-O Manowar", il l'est aussi pour le triptyque "Mind MGMT". Le Britannique Trevor Hairsine compose les dessins, et son travail est encré par Ryan Winn ; enfin, c'est David Baron qui a produit la mise en couleurs. 

Hiver 1941, Russie, sous la neige. Un nouveau-né est abandonné dans son couffin en osier sur le perron du bâtiment du ministère des Affaires étrangères. L'enfant, Abram Adams, est d'abord adopté. À la mort de ses parents adoptifs, c'est l'État qui le prend en charge. La mère patrie décèle en lui un immense potentiel ; dès lors, elle lui offre toutes les opportunités de se développer afin qu'il atteigne l'excellence, dans le domaine des sciences, notamment. L'État le voit comme le symbole vivant de la supériorité de l'Union soviétique. Un jour, alors qu'il prend son repas au réfectoire, Nikolaï, un de ses camarades d'études, lui demande s'il croit qu'il sera "sélectionné pour la mission" ; Adams répond qu'il l'ignore, mais qu'il l'espère. Nikolaï l'assure de son soutien. Adams est le plus intelligent d'entre eux, il le mérite. Abram demeure évasif, le jeune homme est avant tout un rêveur qui aime la science, a soif de découvertes, et aspire à percer les secrets de l'inconnu... 

Avec "Divinity", Kindt imagine une fresque de science-fiction qui propose de nombreux niveaux de lecture et pourra rappeler certains éléments de grands classiques du genre, dont "2001: A Space Odyssey" (1968) particulièrement. "Divinity" c'est d'abord le personnage d'Abram Adams. Kindt, à l'occasion d'une scène qui se passe pendant un cours, présente le jeune homme comme un surdoué des sciences, des mathématiques et de la physique, spécifiquement. Afin d'éviter l'ennui d'un premier de classe ordinaire, Kindt en fait un rêveur qui dessine des vaisseaux spatiaux en classe et laisse voguer son esprit vers des destinations lointaines. Il en fait aussi un amant, bien que la relation qu'il vit soit nécessairement compliquée. "Divinity" se déroulant partiellement pendant la guerre froide, l'auteur en fait encore une victime : Abram est exploité sans vergogne par une mère patrie qui le surveille jour et nuit ou presque : il devient autant cobaye et outil de propagande qu'il est réceptacle vivant de tous les espoirs d'une idéologie et d'un système. Habilement exploitées par l'appareil politique, la passion et la situation personnelle d'Adams en font le candidat parfait, un patriote conscient de sa dette envers l'État et qui sacrifie sa vie d'homme sans hésitation. Plus loin, avec la métamorphose d'Adams, Kindt évoque les contradictions de l'humanité lorsque les décideurs de ce monde s'opposent à une entité qu'ils cherchent à contrôler plus qu'à comprendre, et dont ils réfutent, en quelque sorte, le droit de faire le bien en satisfaisant instantanément les aspirations profondes de chacun. Mais ces idées, aussi intéressantes soient-elles, ne suffisent pas à créer une grande histoire. Kindt, par exemple, pèche à la fois par excès de sérieux (il n'y a aucun d'humour, ici) et par une narration monocorde - qui se trouve renforcée par la solitude écrasante que subit Abram - dont le rythme lent, voire hypnotique, sera susceptible de susciter l'ennui chez les lecteurs avides d'aventures plus cadencées. 
Hairsine produit sa partie graphique dans un registre réaliste qui respecte les proportions, en dépit de postures un brin exagérées. Les protagonistes sont soignés, mais le Britannique ne pousse pas le sens du détail, notamment dans les arrière-plans, sans doute que le décor ne le justifie pas pleinement. La scène du voyage au fin fond de l'espace est réussie. Sa puissance compense sa brièveté (seulement cinq planches) grâce aux effets de lumière et aux contrastes vifs. Comme le montrent les bonus en fin d'ouvrage, Winn est un encreur sérieux qui soigne les planches de son dessinateur, même si par endroit sa patte est un poil légère par rapport aux crayonnés. Il y a certaines finitions qui auraient gagné à être davantage accentuées. Enfin, la mise en couleurs de Baron est souvent un peu terne, et pas assez organique. 
C'est Stéphane Le Troëdec qui a réalisé la traduction ; elle est généralement satisfaisante, malgré une faute de préposition (on investit "dans", pas "sur") et un résultat parfois littéral. Exemple, "rendre les choses meilleures" pour "améliorer les choses".

"Divinity" ouvre une saga de science-fiction ambitieuse qui présente d'excellentes idées et évoque les notions de bien et de sacrifice entre autres. Malheureusement le rythme narratif poussif et le ton très sérieux sont susceptibles de provoquer l'ennui. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Guerre froide, Divinity, X-O Manowar, Ninjak, Matt Kindt, Trevor Hairsine, Ryan Winn, David Baron, Valiant, Bliss Comics

4 commentaires:

  1. Aïe aïe aïe : mais qu'est-ce que tu as contre Matt Kindt ? 😁

    Une saga de science-fiction ambitieuse qui présente d'excellentes idées : entièrement d'accord.

    Je partage entièrement tes observations sur les planches de Trevor Hairsine : une partie graphique présentant des dehors quelconques, mais recélant une intelligence narrative visuelle très impressionnante.

    Pour le scénario, j'avais beaucoup apprécié la connexion avec l'univers partagé Valiant (l'équipe Unity), le clin d’œil à un crossover des années 1990 (Time is not absolute), Abram Adams défilant le temps comme on tourne les pages d'un livre, ou d'un comics, les membres d'Unity se retrouvant chacun coincé dans une tangente temporelle avec un découpage visuel qui hisse le récit au-dessus des poncifs habituels pour donner à voir ce qui se passe, de manière originale, compréhensible et convaincante.

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    1. Tu exagères 😉 : j'ai quand même mis cinq étoiles à son "Manowar" et tu n'as pas encore lu mon commentaire sur son "Rai" (je ne l'ai pas encore écrit, me diras-tu), que j'ai trouvé remarquable.
      J'ai lu ce premier tome de "Divinity" à plusieurs mois d'intervalle ; mon évaluation reste la même, je me suis un peu ennuyé malgré les indéniables qualités de la chose. Je ne lirai donc pas la suite, tout comme je ne lirai pas la suite de "Mind MGMT" (j'ai commencé le second tome, mais j'ai arrêté en cours de route, par ennui).

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    2. Je n'exagère pas tant que ça en fait : tu ne liras pas ni la suite de Divinity, ni de Mind MGMT. Pourtant le tome 2 de Divinity est encore meilleur :

      http://www.brucetringale.com/pour-le-bien-de-lhumanite-divinity-ii/

      Je sais : mon comportement est entre le harcèlement et la vente forcée. 😈 Quand on parle de Matt Kindt, je perds ton mon objectivité.

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    3. 😂 Je te promets que je m'intéresserai à sa production à venir ! Surtout s'il réécrit pour DC Comics. Mais je me demande s'il n'essaie pas de rester éloigné de Marvel et DC, surtout du premier, d'ailleurs. Je vois aussi qu'il n'a plus rien écrit pour Valiant depuis 2019 ; c'est dommage.

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