mercredi 27 avril 2022

Tif et Tondu (tome 14) : "La Matière verte" (Dupuis ; janvier 1969)

"Tif et Tondu" est une bande dessinée créée par le Bruxellois Fernand Dineur (1904-1956) en 1938. L'historique de publication est compliqué : la numérotation des tomes a changé avec le temps. Si au début Dineur cumule les postes de scénariste et de dessinateur, cela évolue à l'arrivée de Will - Willy Maltaite (1927-2000) -, qui se charge des illustrations dès 1949. Puis Dineur quitte le titre en 1951. Il est remplacé par Henri Gillain alias Luc Bermar (1913-1999), et par Albert Desprechins (1927-1992), avant que Maurice Rosy s'installe jusqu'à "Tif rebondit" en 1969. 
"La Matière verte" est d'abord prépublié dans le magazine "Spirou" du nº1529 du 3 août 1967 au nº1550 du 28 décembre 1967. Dupuis le rééditera, en janvier 1969, sous la forme d'un album de quarante-quatre planches ; c'est le quatorzième numéro de la seconde série classique (depuis la réédition de la série, en 1985). Rosy écrit le scénario et Will produit la partie graphique, les dessins, l'encrage, ainsi que la mise en couleurs sauf erreur. 

Précédemment, dans "Tif et Tondu" : Après avoir contrecarré le projet de Choc, les deux héros sont reçus par le président de la République. Il fait organiser une petite fête en leur honneur. 
Le cocktail touche à sa fin. Le président raccompagne Tif et Tondu un court instant avant de les saluer. Satisfait d'avoir passé un moment agréable en compagnie du "brave homme", Tondu ressent cependant le besoin de "se changer les idées". Précédés par un laquais qui les conduit à la sortie, ils sont hélés par un homme âgé, chauve, portant une barbichette, des lunettes, et un costume noir : c'est le ministre de l'Agriculture. Ayant eu vent de leurs exploits, il désire "leur montrer quelque chose", en rapport avec la botanique. Ils le suivent à son cabinet où ils voient au milieu du bureau une boule verte de la taille d'un petit ballon. Il veut qu'ils étudient les applications de cette matière... 

Avant-dernier tome écrit par Rosy, qui continue à débiter les histoires à une cadence impressionnante. Chose étrange, car inhabituelle pour la série, "La Matière verte" démarre presque immédiatement là où "Le Grand Combat" s'était arrêté. Pour "Tif et Tondu""La Matière verte" c'est, en quelque sorte, le retour du gag et de la farce bon enfant. Ça démarre avec une petite dizaine de planches qui permettent aux deux héros - et au lecteur - de se familiariser avec quelques-unes des caractéristiques de cette boule de matière verte ; Rosy en dévoile juste un peu, mais pas trop afin de pouvoir amener d'autres surprises plus tard. Puis un second acte en peu moins de vingt planches, dont la vedette est un voleur qui a un joli sens de l'improvisation. Il sort par la porte sous un déguisement pour revenir par le jardin sous un autre. Rosy l'utilise principalement comme vecteur d'humour. Par exemple, le truand s'étant introduit chez Tif et Tondu sous l'identité d'un employé de la Régie des Télégraphes et des Téléphones est envoûté par le fumet qui émerge de la cuisine de nos deux amis. Maudissant son "métier", il se demande si "manger comme des gens honnêtes, c'est meilleur". Quelques cases plus loin, terminant son travail comme un technicien ordinaire, il envisage sans vergogne de demander "une tasse de café" à ses "clients". On passera sur l'invraisemblable absence de réaction de Tif, qui n'est décidément pas physionomiste. Dans les onze planches suivantes, l'histoire prend une autre tournure en opposant deux scientifiques, Vertendron, le botaniste à l'origine de l'innovation de la matière verte, et le professeur Fauchetout, un savant fou qui ne recule devant aucune expérimentation - y compris sur les êtres humains - et dont l'enrichissement personnel semble être la seule finalité. Puis arrive le dénouement ; c'est Tif qui en est la grande (la seule) vedette. Rosy abandonne les intrigues de grand banditisme international pour un récit encore plus humoristique qu'à l'accoutumée. Néanmoins, l'album convaincra à grand-peine les plus exigeants, qui verront là une aventure manquant de suspense et dont le potentiel n'est pas pleinement exploité. 
La cadence de parution de cette période étant élevée (six albums en trois ans), Will produit une partie graphique qui ne montre aucune évolution tangible. Il continue à appliquer scrupuleusement les codes de l'école de Marcinelle : silhouettes ventripotentes et sans cou ou maigres et longilignes, nez gros ou longs, des phylactères de forme ovale, etc. Les personnages sont soignés, bien que la physionomie de Fauchetout soit peu originale (il est aussi disgracieux que son rival est à son avantage). Les décors ne sont pas forcément fouillés, mais la densité de détails n'en reste pas moins satisfaisante. Là encore, la mise en page consiste en quatre bandes horizontales, chacune contenant jusqu'à trois vignettes, avec quelques planches en gaufrier ; certaines cases peuvent occuper la hauteur de deux bandes. Ce qui caractérise le trait de Will avant toute chose, c'est la régularité de son coup de crayon, la lisibilité parfaitement claire du découpage et de l'action et le sens du mouvement. 

Sans la matière verte et ses propriétés, qui offrent à Rosy des possibilités créatives, le récit aurait été ordinaire, voire sans intérêt. C'est aussi l'avant-dernière histoire du scénariste, qui quittera "Tif et Tondu" (et la bande dessinée) pour d'autres cieux. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
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2 commentaires:

  1. Le retour du gag et de la farce bon enfant […] un récit encore plus humoristique qu'à l'accoutumée : cela semble avoir adouci ta sensation de manque, plus marquée pour le tome précédent.

    Tif qui n'est décidément pas physionomiste […] Il est aussi disgracieux que son rival est à son avantage au tant de conventions / clichés propres à la BD humoristique tout public, peut-être bon enfant même.

    L'avant-dernière histoire du scénariste : on sent que l'impatience augmente chez toi, de passer au scénariste suivant. 😁

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    1. Anonyme29 avril

      Effectivement, mon impatience croît au fil des tomes ; je ne suis pas mécontent du tout que cela transparaisse, parce qu'en tant que lecteur, j'admets que je ressens une frustration croissante à la lecture des histoires de Rosy, et ce depuis quelques tomes (depuis la reprise de 1964, en fait). Et puis, c'est Maurice Tillieux, dont j'aime beaucoup les "Gil Jourdan", qui reprend le titre au départ de Rosy. Dans mes souvenirs de lecture, même si je n'avais pas lu beaucoup de "Tif et Tondu", il me semble que Tillieux - avant de transmettre la série à Stephen Desberg - repositionne le ton de la série dans un registre plus policier, plus tourné vers l'action, ce qui permettra rapidement à Will d'évoluer sur le plan graphique, sans renier les origines de l'école de Marcinelle.

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