dimanche 22 mai 2022

Capitaine Albator (Mémoires de l'Arcadia, tome 1) : "Les Doigts glacés de l'oubli" (Kana ; juin 2019)

"Les Doigts glacés de l'oubli" est le premier volume d'un triptyque intitulé "Mémoires de l'Arcadia", consacré au personnage-culte du capitaine Albator, créé par Leiji Matsumoto en 1969. Cet album a été publié chez Kana - Média-Participations -, en juin 2019. Bien que le contenu soit un manga, il n'en a pas la forme, qui a été pensée pour un public francophone : c'est un ouvrage grand format (22,5 × 29,8 cm), relié (couverture cartonnée), qui se lit à l'occidentale (et donc de gauche à droite), et dont les cinquante-quatre planches sont toutes en couleurs. 
Ce recueil a été entièrement réalisé par le Français Jérôme Alquié, un illustrateur passionné de dessins animés japonais des années quatre-vingt ; Alquié produit le scénario, le dessin, l'encrage, ainsi que la mise en couleurs. Parmi les autres œuvres auxquelles il a participé, notons "Surnaturels" (chez Delcourt). 

An de grâce 2977, diurnus 43, à bord de l'Arcadia ; Albator travaille à ses mémoires, au son des mélodies mélancoliques que Miimé tire de sa harpe. Il songe à son ami Tochirō, toujours à leurs côtés depuis qu'à sa mort son esprit a été transféré dans l'ordinateur de bord de l'Arcadia. Tochirō serait triste de voir ce qu'est devenue la Terre, cette planète qu'il chérissait tant : ses océans s'assèchent et ses richesses naturelles s'épuisent progressivement... Quant aux humains qui l'habitent encore, ils sont devenus paresseux : ils ont laissé une minorité d'entre eux se lancer dans l'exploitation des ressources d'autres mondes afin d'assurer leur subsistance. Devenus "faibles et lâches", ils ne se préoccupent plus de "leur seul plaisir" ; ils vivent "dans l'opulence et dans un honteux désœuvrement", sans réaliser qu'une menace plane sur eux : les Sylvidres ont commencé leur exode vers la Terre, une ancienne colonie qu'elles occupèrent avant les premiers humains. Les humanoïdes végétales savent qu'il n'y a que sur la Terre que leur civilisation pourra survivre... 

Un bédéaste français qui reprend le héros d'une célébrissime franchise de manga ! Voilà qui n'est pas ordinaire ; l'initiative méritait d'être soulignée. Il faut reconnaître du courage à Alquié : reprendre une série-culte, mais dans un format différent, et s'adresser aux nostalgiques qui ont, au fil des années, idéalisé cet univers. Ce risque était contrôlé : Alquié a été légitimé par Matsumoto lui-même, dans le sens où il a obtenu, planche après planche, l'approbation du maître pour son travail. "Mémoires de l'Arcadia" s'inscrit pleinement dans les événements de la série manga de 1977-1979. Intelligemment, Alquié revient sur le contexte dans un prologue de six planches qui rafraîchit la mémoire du lecteur : le désastre écologique terrien, la corruption généralisée, l'arrivée des Sylvidres, l'enrôlement de Tadashi, ou l'existence de Mayu. Instantanément, ces composants reviennent à l'esprit du lecteur. Ici, c'est la météo qui est le réel déclencheur de l'aventure, en écho aux bouleversements climatiques mentionnés plus haut. Les Sylvidres sont au cœur de l'intrigue, bien entendu, mais là, une tierce partie crée la surprise et vient bousculer le manichéisme habituel des épisodes. Il y a néanmoins des airs de déjà-vu. Par exemple, Alquié mène l'Atlantis en Amérique du Sud (cf. le clin d'œil aux "Mystérieuses Cités d'or" ), mais l'équipage y était déjà allé affronter une menace similaire (cf. "Les Humanoïdes végétales"). La tentative d'assassinat sur le professeur Imer rappellera invariablement l'exécution des professeurs Daiba et - surtout - Kusuko (cf. "Sous la bannière de la liberté"). Enfin, l'apparition d'Albator à point nommé - en deus ex machina, sans que la manière dont l'information sur le drame à venir est parvenue au capitaine soit expliquée - est "pratique". L'intrigue est rythmée, le suspense présent, et il faut avouer qu'Alquié respecte pleinement un cahier des charges conservateur et exigeant à défaut de pouvoir - ou de vouloir - être novateur. Les caractérisations sont fidèles, par exemple, et le nostalgique retrouvera ses héros tels qu'il les avait laissés il y a plus de quarante ans. Le résultant est donc suffisamment convaincant, et le pari réussi. 
Nul doute que c'est la partie graphique plus que le scénario que scruteront les connaisseurs ; tout est à l'identique de la série, dans ce style manga shōnen grand public très expressif. Alquié a révélé qu'il avait apposé sa "patte personnelle" à Albator ; on constatera que le regard et la mine du corsaire de l'espace sont sensiblement plus durs, moins marqués par la mélancolie que dans la série télévisée. Mayu  est moins bambine, et paraît plus âgée que dans l'animé. Outre le design des protagonistes et cet Arcardia sublimissime, la mise en page attire l'attention : elle est originale, dynamique, complexe, en cela qu'Alquié emploie systématiquement les techniques des bords perdus et de l'incrustation (les gouttières sont rares), ce qui contribue à accentuer le rendu télévisuel. La densité de cases par planche peut atteindre treize : un nombre assez élevé qui soutient la cadence narrative. La mise en couleurs est relativement satisfaisante, elle souligne les contrastes, mais est parfois terne. 

"Les Doigts glacés de l'oubli" s'inscrit pleinement dans le souvenir de la série télévisée "Albator 78" ; il n'y a donc ni relecture ni originalité à attendre de cette trilogie, mais la franchise est soignée avec respect. Les nostalgiques devraient être comblés. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
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Manga, Shonen, Space Opera, Albator, Mémoires de l'Arcadia, Sylvidres, Jérôme Alquié, Leiji Matsumoto, Kana

4 commentaires:

  1. Je ne m'attendais as à voir surgir Albator sur ton blog.

    Il faut reconnaître du courage à Alquié : exactement ce que je pense. D'un côté, la probabilité est assez élevée que ça fasse un carton en termes de vente ; de l'autre côté tous les puristes vont lui tomber sur le dos.

    Une tierce partie crée la surprise et vient bousculer le manichéisme habituel : un grand classique pour éviter la dualité basique du bien contre le mal, mais avec la tentation que deux partis s'unissent contre la 3ème, retombant ainsi dans une opposition binaire.

    Tes commentaires sur la mise en page m'ont incité à aller en consulter quelques unes sur internet : effectivement,, c'est dynamique, avec des camaïeux impressionnants.

    La franchise est traitée avec respect : ma nostalgie pour cette série n'est pas assez développée pour je sois tenté.

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    1. Tiens, c'est curieux. Je peux te demander pourquoi tu ne t'attendais pas à voir cette série ici ?

      Oui, il y a là de très belles planches, y compris des doubles vraiment spectaculaires. Alquié ne semble pas s'être ménagé.

      J'ai lu qu'Alquié s'attaquait aux "Chevaliers du zodiaque" (c'est en cours). Je m'y intéresserai, mais le degré de nostalgie n'est pas le même que pour Albator. A priori, la sortie du premier tome (il y en aura cinq) est prévue pour la période estivale (août ?).

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    2. Je ne sais pas : je n'imaginais pas que cette forme de reprise d'un personnage par un autre auteur, dans un autre type de bande dessinée (manga -> franco-belge) soit de nature à t'attirer, peut-être aussi ta déconvenue sur les tomes de Blueberry repris par Jean Giraud. En tout cas, ce fut une surprise totale en découvrant la couverture et le titre de l'article.

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    3. Effectivement, je n'avais pas vu les choses sous cet angle-là. Nul doute que ma nostalgie de la série "Albator 78" est passée par là.

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