mardi 31 mai 2022

"The Fable" : Tome 1 (Pika Édition ; avril 2021)

Publié chez Pika Édition - groupe Hachette Livre - dans la collection "Pika Seinen" de l'éditeur, en avril 2021, cet album est le premier volume de la version française du manga seinen "The Fable". C'est un recueil broché format 13,0 × 18,0 centimètres, qui se lit de droite à gauche. Il compte (approximativement) deux cent quatre planches en noir et blanc avec des nuances de gris, et est protégé par une jaquette illustrée. Au Japon, la série fut prépubliée entre novembre 2014 et novembre 2019 dans "Weekly Young Magazine" (magazine de l'éditeur Kōdansha Ltd). 
C'est Katsuhisa Minami qui a créé cette série et qui réalise entièrement le premier tome : le scénario, le dessin, et l'encrage. Né en 1971, ce mangaka est peu connu dans nos contrées, car encore rares sont ses œuvres traduites en français. Outre "The Fable", Minami a réalisé deux saisons de "Naniwa Tomoare", œuvre qui lui a valu le 41e prix Chiba Tetsuya (1999). Enfin, "The Fable" inclut vingt-deux volets au total et a été adapté en film

De nos jours. Japon, banlieue de Tokyo. Sur le palier du cinquième étage, deux hommes en fuite appellent l'ascenseur ; celui qui commande s'excite bruyamment et appuie nerveusement sur le bouton d'appel à plusieurs reprises. Son acolyte le prie de ne pas paniquer ; il va "gagner un peu de temps". Après tout, "Tanaka et les autres" doivent être en bas, avec leur voiture. Le leader n'en peut plus, il est entouré de "bons à rien", c'est impossible. Tandis qu'il continue à écraser le bouton, son complice lui demande - à nouveau - de rester calme. Sur ces mots, il charge son pistolet automatique d'un claquement sec et se cache derrière le mur. Alors qu'il dépasse (à peine) la tête, un homme vêtu de noir et masqué, venant de l'autre bout du couloir, lui tire un projectile de son arme à silencieux et le touche sous l'arcade sourcilière droite. Net. L'autre s'effondre en lâchant son pistolet. Son acolyte n'en croit pas ses yeux. "D'une seule balle..." 

"The Fable" est l'histoire d'un tueur à gages - Fable, surnom attribué par le milieu à la suite des "exploits" qui ont fait de lui une légende - surdoué sans sa partie ; pour établir son personnage, Minami recourt à des scènes-chocs pour balayer le moindre doute que le lecteur pourrait avoir au sujet des compétences de Fable. En effet, le lecteur, après une introduction phénoménale, découvre un garçon d'une vingtaine d'années au physique banal : taille moyenne, fluet, et le visage inexpressif si ce n'est son regard de chien battu. Progressivement, Minami dévoile un asocial, une machine à flinguer qui vit comme un Spartiate, seul et sans ami proche, planque des armes partout chez lui (par exemple, dans le micro-ondes ou le poste radio), obsédé par le détail (un poil qui sort du nez de son interlocuteur), aspire à un professionnalisme supérieur, et ne rit que devant les pitreries de Jackal Tomioka - sorte de "Jackass" fictif à la japonaise, la folie en moins, la ringardise en plus. Rien n'est encore révélé sur son enfance ; néanmoins, il affirme qu'il a été "entraîné à abattre n'importe qui en six secondes maxi". Quel est le message de Minami, ici ? Dépeint-il une certaine jeunesse japonaise, peu empathique, repliée sur elle-même, qui se complaît dans la violence, et mène une vie sans perspective ? C'est plausible. En tout cas, son récit défile à un rythme soutenu, et le lecteur se plonge avec plaisir et addiction immédiate dans cette histoire maîtrisée, aussi violente que drôle, car l'humour est l'un des ingrédients majeurs de cette réussite complète, en témoignent les nombreuses scènes amusantes. Ajoutons une brochette de personnages secondaires soignés : l'agent prudent, la jeune et (très) jolie assistante, professionnelle et serviable, mais qui veut s'amuser, les yakuzas de province, aussi ridicules que méfiants, et les bagarreurs de troisième zone. Et ben sûr il y a ce défi (cet ordre) sur lequel s'appuie la série, ce repos forcé qui ne fait que commencer et amène ses premiers quiproquos. 
"The Fable" appartient à ces mangas dont le réalisme a été soigné. Le physique des jeunes femmes, cependant, a été particulièrement bichonné. Fin, le trait est d'une épaisseur régulière. Le travail de Minami ne se caractérise pas par des recherches de contraste entre ombre et lumière, les ombrages sont extrêmement légers, sans la moindre couche superflue : à peine quelques hachures et zones de gris. Le goût du détail (sans surcharge non plus) et de l'exactitude (dans la reproduction d'appareils, d'armes, de véhicules) se reflète tout au long de l'album. Les personnages de Minami sont expressifs, sans que cela soit exagéré comme dans d'autres œuvres du genre. Le rendu du flou de mouvement de l'artiste (lors des séquences d'action) est admirable. Autant d'ingrédients qui contribuent à l'identité visuelle de "The Fable"
La traduction est effectuée par Djamel Rabahi. Impossible de comparer avec la version originale à moins d'être japonisant. Notons néanmoins deux fautes de mode (ou de conjugaison). "Apprécier" suivi directement d'un infinitif (sans un "de") est fautif. 

Ce premier numéro est une réussite complète. Un savant mélange d'action, de violence - sans complaisance marquée -, et d'humour décalé, immédiatement captivant, voire addictif, que vient parachever une partie graphique particulièrement aboutie. 

Mon verdict : ★★★★★

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Action, Tueur à gages, Manga, Seinen, The Fable, Yakuzas, Katsuhisa Minami, Pika

2 commentaires:

  1. 22 tomes : une belle aventure.

    "The Fable" appartient à ces mangas dont le réalisme a été soigné. [...] Le goût du détail (sans surcharge non plus) et de l'exactitude (dans la reproduction d'appareils, d'armes, de véhicules) se reflète tout au long de l'album. - J'ai déjà lu des mangas avec une telle volonté de description minutieuse : je me dis alors qu'il y a un ou plusieurs décoristes et certainement un ou plusieurs accessoiristes.

    Fable aspire à un professionnalisme supérieur : cela ressemble à un projet de vie, presque une éthique de samouraï, mais sans dimension sociétale comme tu le fais observer.

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    1. 22 tomes, oui. J'avais espéré moins. Au départ, j'avais cru lire 7 ou 8 tomes dans un article ; selon toute vraisemblance, j'ai mal lu et j'ai dû confondre ce qui était déjà sorti et la somme totale de ce qui devait sortir. Et donc, me voici embarqué dans une nouvelle série fleuve, alors que je suis à peine arrivé à la moitié de "Monster".

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