L'album "Réveils" propose la version française de l'intégrale "The Twelve", une minisérie en douze numéros. Il comprend les "The Twelve" #1-12, qui, en version originale, furent publiés entre janvier 2008 et juin 2012 (il y eut de nombreux retards), ainsi que "The Twelve: Spearhead" (mai 2010). Cet ouvrage relié (19,0 × 28,5 cm) est sorti en juin 2017 dans la collection "Marvel Deluxe" de Panini Comics. Il contient trois cent trente planches plus quatre pages de bonus : études graphiques, courtes biographies des auteurs. Cette histoire était déjà parue eu deux tomes chez le même éditeur sous les titres "Un siècle difficile" (février 2009) et "Fin d'une époque" (août 2012), dans la collection "100% Marvel".
La série a été écrite dans son intégralité par Joseph Michael Straczynski. L'épisode de complément "The Twelve: Spearhead", qui fait office de prologue, mais est situé en fin d'album, a été scénarisé par le Britannique Chris Weston. Celui-ci dessine les douze numéros, ainsi que le "Spearhead". Garry Leach - un autre Britannique - encre les six premiers numéros plus le septième, en duo avec Weston ; Weston encre les cinq derniers en solo, ainsi que le complément, avec l'aide de l'Écossais Gary Erskine. Pour finir, la mise en couleurs est composée par le Canadien Chris Chuckry.
Berlin, 25 avril 1945. Les forces alliées - super-héros en première ligne, avec Namor, la Torche humaine, et d'autres encore, aux côtés de Nick Fury et ses Howling Commandos, tous sous la houlette de Captain America - franchissent la porte de Brandebourg, dans un élan incontrôlable. En face, les derniers soldats nazis reculent inexorablement. Entre Bucky, Fin, ou encore Whizzer, un Dynamic Man hilare et déchaîné soulève une Volkswagen Kübelwagen et la projette vers l'ennemi. Puis, au fil des escarmouches, ils sont douze à rester ensemble un peu par hasard, et à finir par pénétrer dans le quartier général des SS. Ils espèrent dénicher et réussir à maîtriser les ultimes poches d'opposition dans Berlin...
Straczynski sort douze super-héros de la naphtaline et les met en scène dans un récit qui a presque tout du roman noir, sans renier le registre de départ. Des justiciers neutralisés par les nazis, qui se réveillent soixante ans plus tard ? Immédiatement, le lecteur établit un lien avec Captain America, extrait de la glace par les Avengers. La comparaison s'arrête là ; pas de super-équipe, mais une brochette de personnages déphasés. Déphasés, ils l'étaient peut-être tous un peu dès le début ; mais ici, ce bond dans le temps décuple l'effet de décalage. Quelques exemples : Black Widow se livre à des boucheries pour son maître, Mister E dissimule sa judaïté, et Rockman - prétendument monarque d'un peuple souterrain - lance des appels à sa famille en battant du poing le sol de la cave. Chacun avait également sa petite image d'Épinal de "l'an 2000" ; projetés dans la réalité de la société de 2008, ils devront renoncer à leurs espoirs et fantasmes. Côté névrose, on tient du lourd. La plupart reprennent du service tant bien que mal, jusqu'à ce que l'un d'eux soit assassiné. Là aussi le lecteur établit un lien, cette fois avec "Watchmen" ; à nouveau la comparaison s'arrête là. Ce meurtre provoquera une véritable crise qui fragilisera davantage le groupe. Des masques vont tomber - au sens figuré - et les vilains petits secrets remonter à la surface. Le suspense prend son temps, mais Straczynski maîtrise un récit qui foisonne de surprises, fourmille d'idées, et ne contient ni incohérence ni invraisemblance. Le mélange des genres est présent, jusqu'à ce dénouement dans le salon : dans le plus pur style du roman d'énigme à la Agatha Christie. Les caractérisations sont d'une qualité supérieure. Enfin, il est plausible que l'auteur ait voulu établir une comparaison entre la sexualité des super-héros de l'âge d'or et celle des justiciers modernes et cela donne lieu à une séquence véritablement choc ! Le "Spearhead" est dispensable : chronologiquement antérieur, il aurait dû figurer en début d'ouvrage.
Le travail de Weston sur la partie graphique couronne cette réussite. L'artiste propose un coup de crayon très réaliste, qui offre une belle diversité de physionomies et présente une densité de détail très satisfaisante, voire admirable, des parties de véhicules, les coutures des vêtements, les décors, intérieurs ou extérieurs. On pourra douter de l'exactitude technique de quelques cases (par exemple, ce soldat soviétique qui ouvre le feu alors que ses camarades sont juste devant lui). Il n'en reste que rares sont les lacunes. Soulignons de même l'expressivité des personnages, la variété des plans, l'articulation cristalline du découpage. La mise en page (le quadrillage) est assez ordinaire, rien de particulier ici. La mise en couleurs apporte les contrastes nécessaires. Enfin, les couvertures de Paolo Rivera sont extraordinaires.
À la traduction, on a Geneviève Coulomb puis Mathieu Auverdin. Notons deux noms inversés dans une bulle, des tournures bancales, une faute de mode, deux d'accord, une onomatopée non traduite et une incohérence entre tutoiement et vouvoiement.
Cinq étoiles bien méritées pour une minisérie captivante, originale, et qui peut se lire sans connaître l'univers Marvel. En revanche, cette édition française est souillée de plusieurs fautes ; de toute évidence, le texte n'a été ni soigné ni relu. Dommage.
Mon verdict : ★★★★★ pour l'histoire / ★★★☆☆ pour l'édition
Barbüz
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The Twelve, Captain America, Âge d'or, Golden Age, J. Michael Straczynski, Marvel, Timely Comics, Panini Comics
Quel plaisir de découvrir cette histoire avec un point de vue différent du mien. A l'époque de ma lecture, j'avais également relevé les hommages à Watchmen et aux romans policiers d'Agatha Christie. Je suis aussi enthousiaste que toi concernant les dessins de Chris Weston : quel plaisir de lecture. A contrario, j'avais trouvé les personnages pas si développés que ça.
RépondreSupprimerEn version courte :
En 10 pages, les 12 héros se retrouvent donc en 2008, et l'histoire peut commencer. Comme le lecteur peut s'en douter, Straczynski est son propre ennemi dans cette histoire : le défi narratif est de jongler avec 12 personnages quasi nouveaux, plus les autres qui leur permettent de réagir au monde moderne. Autant dire qu'il n'y a aucun espoir que l'un ou l'autre développe plus qu'un semblant de personnalité. Heureusement Chris Weston a un style très appliqué grâce auquel il donne un visage aux traits spécifiques à chaque personnage, ainsi que des costumes très faciles à reconnaître. La contrepartie un peu bizarre est que la plupart des personnages conserve son costume à l'époque moderne, alors qu'ils pourraient s'habiller en civil avec des vêtements modernes (ce serait même plus logique par rapport au scénario). Il y en a même un qui conserve ses vêtements civils des années 1940. Le style appliqué permet de glisser de ci de là un détail savoureux tel le nazi en train de tâter subrepticement la poitrine de Black Widow alors qu'elle est artificiellement endormie.
Grâce à la forte personnalité graphique de chaque personnage et à une gestuelle éloquente, il suffit d'un petit effort de dialogue pour qu'ils acquièrent une personnalité psychologique, chose que fait très bien Straczynski. Pour le reste le résultat est assez mitigé. Il y a bien sûr le personnage qui a du mal à se faire à la modernité, surtout le mouvement incessant et généralisé, sans parler du bruit. Il y a celui qui n'arrive pas à se faire à la mort de ses proches. Il y a celui qui est pressé de se remettre au boulot, celui qui n'était pas forcément très bien dans sa tête, même à son époque d'origine, etc. Finalement Straczynski met en scène la confrontation des systèmes de valeurs de manière assez douce, et même discrète. Il valait peut être mieux d'ailleurs car pour lui les individus des années 1940 arrivent avec un système de valeurs assez rigide et très tranché, difficilement conciliable avec une forme de permissivité qui règne à notre époque actuelle. Le principe sous-jacent serait que la nature humaine évolue avec les décennies, ce qui n'est pas une hypothèse admise par tout le monde. Heureusement Straczynski rétablit une forme d'équilibre en montrant que parmi ce groupe disparate de héros formé par le hasard, il se trouve aussi des individus aux motivations un peu moins pures ou angéliques, et plus opportunistes que les autres.
Straczynski poursuit la réinsertion des 12 superhéros des années 1940 estampillés Timely Comics. Il entremêle les retours en arrière pour que le lecteur puisse découvrir les origines (et parfois les origines secrètes cachées derrière), la prise de contact avec les personnes de leur famille ou leurs connaissances encore vivantes, et le mystère du héros décédé. Toutefois, il a toujours du mal à trouver de la place pour tous ces personnages principaux. Certains ont droit à plus de place que les autres (Phantom Reporter bien sûr) et d'autres restent réduits à un seul trait de caractère tel Blue Blade. Par exemple Master Mind Excello et ses protège chaussures font ressortir la volonté de donner une forme de costume de superhéros à chacun malgré l'impossibilité de se procurer des costumes de rechange de ce type à notre époque. Les dessins étant très réalistes, ils mettent en évidence ce dispositif scénaristique un peu gauche. Cela empire quand Phantom Reporter tient absolument à garder son masque violet quand il enquête alors que son identité est devenue publique. Straczynski lui fait dire qu'il s'agit de son style de vie, mais cette remarque tombe à plat.
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RépondreSupprimerL'utilisation de superpouvoirs reste dans le ton des comics des années 1940, ce qui s'avère très agréable. Straczynski prend soin de contextualiser l'usage de chaque superpouvoir de manière à ce que ce recours à la force ait un sens dans l'action d'écrite, plutôt que de simples décharges d'énergie ou des coups de poings sur tout ce qui bouge. Les différents héros ne sont pas capables de faire tout et n'importe quoi avec leur rayon d'énergie (par exemple le feu émis par Fiery Mask). Cette approche un peu à l'ancienne des superpouvoirs s'intègre parfaitement à la narration et elle évite que cette histoire ne sombre dans des combats primaires et superficiels. Il y a par exemple Dynamic Man attrapant des balles de fusil lors d'un spectacle de charité. Weston capture parfaitement l'instant avec une évidence qui évoque les illustrations de Gary Frank.
Une histoire menée par l'intrigue et les personnages plutôt que par l'action et les combats. Straczynski a conçu un mystère donnant lieu à une enquête dont la solution est révélée à la manière d'Agatha Christie : le héros réunit tout le monde dans la même pièce et explique comment les événements se sont enchaînés, il révèle les secrets et confond le coupable.
Un récit qui peut se lire sans connaissance particulière de l'univers partagé Marvel. Il se compose à la fois de la découverte du passé de ces 12 individus, de leur histoire, et d'une enquête sur plusieurs meurtres pour découvrir le coupable. En 12 épisodes, Straczynski n'a pas le temps de développer tous les personnages au même niveau. L'enquête se trouve parfois un peu ralentie par les retours en arrière qui, pour certains, servent plus les personnages que l'intrigue. Les dessins de Chris Weston sont très minutieux et donnent une densité impressionnante au récit en conférant une forte identité visuelle à chaque personnage et chaque endroit.
https://www.babelio.com/livres/Straczynski-The-twelve-Tome-1-/183182/critiques/719964
https://www.babelio.com/livres/Straczynski-The-twelve-Tome-2-/396773/critiques/719965
Effectivement, je vois que nous nous retrouvons sur de nombreux points. Avec douze personnages et l'espace qu'il avait, je trouve personnellement que les personnages sont plutôt développés, sauf, a contrario, le Reporter fantôme. Mais cela n'engage que moi.
RépondreSupprimerJe n'avais pas pensé à établir un lien entre les styles de Weston et de Gary Frank ; mais en te lisant, cela m'apparaît subitement comme une évidence.