Créée en 1959 par les Liégeois Jean-Michel Charlier (1924-1989) et Victor Hubinon (1924-1979), "Barbe-Rouge" est une série de bande dessinée sur la piraterie ayant pour cadre le règne de Louis XV ; cette série a un historique de publication confus, entre redécoupages des récits pour des albums ou changements d'éditeurs. Elle est prépubliée entre octobre 1959 et juillet 1968 dans "Pilote". Les histoires postérieures sortent directement en volumes ; la série retrouve ensuite le format magazine en 1979, avec "Super As". "Barbe-Rouge" survit aux morts de Hubinon et de Charlier, et, en 2020, une relance du titre voit le jour chez Dargaud : "Les Nouvelles Aventures de Barbe-Rouge".
Sorti en 1971, "Le Trésor de Barbe-Rouge" est le onzième des trente-cinq tomes. C'est un album au format 22,6 × 29,8 cm et à couverture cartonnée, qui contient quarante-six planches. Charlier en a écrit le scénario et les dialogues, et Hubinon en a composé les dessins, l'encrage, et (a priori) la mise en couleur.
Précédemment, dans "Barbe-Rouge", une éruption volcanique et des raz-de-marée pulvérisent la majeure partie de la flotte interalliée. Éric, Baba, Triple-Patte, et Barbe-Rouge survivent.
Île du Chien, au cœur d'un dangereux archipel labyrinthique ; nos quatre camarades s'y sont aménagé un refuge. Tandis que Baba rapporte le produit de sa chasse et que Triple-Patte entretient le feu, Barbe-Rouge hèle Éric, qui se trouve au sommet d'une falaise, où ils ont préparé un bûcher : ne voit-il rien venir ? Hélas, pas la moindre voile à l'horizon ! Éric a l'impression que ce n'est pas de sitôt qu'ils pourront allumer ce bûcher. En effet, les navires qui osent se risquer ici sont rares. Plus tard, Barbe-Rouge se régale de la tortue que Baba a capturée et que Tripe-Patte a cuisinée. Le pirate félicite son cuistot. Celui-ci estime que leur situation n'est "pas désagréable", au contraire...
Charlier reprend tous les ingrédients des grands romans d'aventures, car tout y est. Il y a une contrée hostile et son exotisme vénéneux (les protagonistes vont jusqu'en Floride), une tribu de "sauvages" (des Séminoles), et un fabuleux trésor, caché dans un endroit impossible. Ajoutons à cela les classiques du récit de piraterie : supplice de la planche, abandon de passagers sur une île déserte, etc. Pour compléter ce tableau, Stark-le-Noir est plus inquiétant que dans "Mort ou vif", où il avait été tourné en ridicule par Éric. Ce flibustier montre qu'il a de la ressource, une imagination particulièrement retorse, et qu'il est sans merci ; il apparaît sans aucun doute comme un des adversaires les plus sadiques et vicieux qu'aient affrontés Barbe-Rouge et Éric depuis le début de leurs aventures. Assez rapidement, Charlier scinde son intrigue en deux fils conducteurs : le premier centré sur Barbe-Rouge et Stark-le-Noir et le second sur Éric, Baba, et Triple-Patte. Cela permet au scénariste de réduire le poids de la linéarité. Bien évidemment les deux lignes narratives se rejoindront à l'approche du dénouement. Pour en arriver là, Charlier recourt à quelques facilités qui sont indispensables à la connexion de tous les points, mais qui frôlent l'invraisemblance. On en relèvera trois. La première est l'entrée en scène de Stark-le-Noir, qui comme par hasard a décidé de croiser au large de l'archipel des Tabascos. Celle-ci est justifiée, soit. Puis, c'est un galion espagnol qui s'échoue sur l'île où Éric, Baba, et Triple-Patte sont abandonnés. Pour une partie du monde censée être peu fréquentée, il y en a du passage ! Pour finir, il y a les retrouvailles avec le Seeadler, en pleine mer ; elles sont on ne peut plus fortuites. Cela fait beaucoup ! Mais le lecteur, happé par une intrigue de qualité et par l'ampleur de l'aventure, finit par pardonner aisément ces artifices. L'ensemble est savamment rythmé, comme l'exige une course-poursuite qui se déroule autant sur terre que sur mer. Charlier, dès les premières planches, parvient à instiller un suspense et une tension qui ne faibliront point jusqu'à la conclusion du diptyque. Néanmoins, le destin que le scénariste a imaginé pour Stark-le-Noir et le rôle purement auxiliaire des Amérindiens - qui, à part un ou deux d'entre eux, ne sont que des figurants - pourront décevoir certains lecteurs.
Ici, Hubinon est au sommet de son art. Il approche les quarante-sept ans (il est mort à cinquante-quatre) ; son style n'évoluera plus de façon significative. Quoi qu'il en soit, le lecteur appréciera de retrouver le trait fin, régulier, et clair, cette limpidité du découpage et ses enchaînements sans fautes, cette minutie maniaque apportée aux navires et aux tenues vestimentaires, mais il regrettera peut-être une mise en page trop dense - car l'artiste ne sort pas du modèle à quatre bandes et trois cases - qui limite la variété des angles de prises de vues. Le nombre de vignettes qui occupent la hauteur de deux bandes et la largeur de deux cases passe néanmoins à vingt, contre quatorze dans le tome précédent. La mise en couleurs a assez mal vieilli ; les teintes passent, mais les visages semblent touchés par la jaunisse.
En dépit de quelques facilités scénaristiques, "Le Trésor de Barbe-Rouge" clôt ce diptyque de manière satisfaisante ; ce numéro rythmé et riche en surprises, en outre, résout la question de l'existence du magot, fruit des razzias du démon des Caraïbes.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
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Bande dessinée franco-belge, Pirates, Règne de Louis XV, Barbe-Rouge, Stark-le-Noir, Trésor, Jean-Michel Charlier, Victor Hubinon, Dargaud
Seulement 10 jours d'attente entre deux tomes : ça progresse rapidement.
RépondreSupprimerTout y est : il me semble que certains genre littéraire présentent une palette de conventions spécifiques plus restreinte que d'autres. Je rangerais les histoires de pirates dans un genre avec un petit nombre de conventions. Mais comme je n'en ai pas lu énormément, je me dis également qu'il suffit d'inscrire un récit de pirates dans un contexte historique étayé par une riche documentation pour lui donner plus de consistance et plus de singularité.
Trois facilités. L'entrée en scène de Stark-le-Noir : je la rangerais dans les conventions des récits d'aventure, en la rapprochant de l'implication bien opportune d'Olrik dans les affaires de Blake & Mortimer, ou d'Axel Borg dans les aventures de Lefranc. Un galion espagnol qui s'échoue sur l'île : ça me rappelle le taux de fréquentation de l'île sur laquelle échoue Oliver Queen qui se met à tirer à l'arc. Les retrouvailles avec le Seeadler, en pleine mer : oui, ben, il fallait bien que les naufragés s'en tirent. 😃
Le lecteur, happé par une intrigue de qualité et par l'ampleur de l'aventure, finit par pardonner aisément ces artifices : c'est tout moi ça. Il faut vraiment que ce soit énorme pour que ça me sorte de ma lecture.
Cette minutie maniaque apportée aux navires et aux tenues vestimentaires : plus je lis et plus je mesure le degré d'implication et la qualité de travail que cette forme de minutie implique. Et plus elle m'impose le respect pour les artistes qui en sont capables.
Ça progresse "rapidement" parce que lorsque je lis en diptyque, j'enchaîne directement sur le second tome plutôt que de laisser d'autres albums d'autres séries s'intercaler. Ça aide ma mémoire à rester fraîche et l'empêche de trop se diluer. Et puis, ouvrir le recueil d'une nouvelle aventure d'Éric, Baba, Triple-Patte, et Barbe-Rouge, quel plaisir !
SupprimerJe ne sais pas s'il y a moins de conventions dans les histoires de pirate ; je l'ignore. Je me dis que les histoires de pirate, c'est aussi l'aventure au sens large ainsi que le monde de la navigation. Et donc la gamme de conventions est plus riche que seulement celle des histoires de pirates.