jeudi 9 juin 2022

Barbe-Rouge (tome 10) : "Mort ou vif" (Dargaud ; avril 1970)

Créée en 1959 par les Liégeois Jean-Michel Charlier (1924-1989) et Victor Hubinon (1924-1979), "Barbe-Rouge" est une série de bande dessinée sur la piraterie ayant pour cadre le règne de Louis XV ; cette série a un historique de publication confus, entre redécoupages des récits pour des albums ou changements d'éditeurs. Elle est prépubliée entre octobre 1959 et juillet 1968 dans "Pilote". Les histoires postérieures sortent directement en volumes ; la série retrouve ensuite le format magazine en 1979, avec "Super As". "Barbe-Rouge" survit aux morts de Hubinon et de Charlier, et, en 2020, une relance du titre voit le jour chez Dargaud : "Les Nouvelles Aventures de Barbe-Rouge"
Sorti en 1970, "Mort ou vif" est le dixième tome des trente-cinq du titre. C'est un album grand format (22,6 × 29,8 cm), à la couverture cartonnée, qui comprend quarante-six planches. Charlier en a écrit le scénario et les dialogues, et Hubinon en a composé les dessins, l'encrage, et (a priori) la mise en couleur. 

Précédemment, dans "Barbe-Rouge" : Barbe-Rouge fait sauter son Faucon noir dans le port de Carthagène, puis fuit avec ses pirates et Éric, qui lui fait promettre de renoncer à la flibuste. 
Un matin, en pleine mer des Caraïbes, dix mois après les événements de Carthagène ; à la suite de leur coup spectaculaire, Éric et son équipage ont maquillé le San Ildefonso, désormais hors la loi - en Seeadler - un vaisseau de la Ligue hanséatique. Il y a dix mois, ils lâchaient d'abord Barbe-Rouge sur les côtes de l'îlot où se trouve son repaire secret ; ensuite, quatre mois plus tard ils déposaient Doña Inés "en cachette" sur les côtes espagnoles. Depuis le navire erre "sans but", cherchant surtout à échapper à la traque de "toutes les marines de guerre du globe". Les lieutenants d'Éric - Triple-Patte, Baba, et Etchegary - sont très inquiets, car il devient urgent de radouber, mais où ?... 

Ce numéro - premier tome d'un diptyque - est placé sous les signes de l'action, du spectacle, et du suspense, mais aussi de l'humour. Barbe-Rouge semble avoir tenu sa promesse, mais Espagnols, Anglais, et Néerlandais n'en ont cure : leurs flottes ont regroupé leurs forces pour chasser cet insaisissable gibier. Le mécanisme de Charlier pour maintenir le lien entre père et fils est bien amené, mais prévisible : comment un forban de cette envergure, en effet, pourrait ou voudrait-il durablement ancrer sa vie du côté de la raison lorsque trois nations d'Europe veulent sa peau ? Avoir avoir offert le mauvais rôle aux Espagnols, Charlier utilise les Anglais et les Néerlandais comme méchants de l'histoire. Il le fait avec beaucoup plus d'humour que pour les Espagnols. D'un côté, les Bataves, rustauds, bagarreurs, s'exprimant dans un français laborieux avec un accent marqué ; leur officier est un efficace gaillard roux un peu candide. De l'autre, les Anglais, hautains, cruels (ils bardent les chiens d'explosifs). Leur officier est un petit homme au visage peu gracieux (son nez pointu et ses longues dents lui font un faciès de rongeur), porté sur la bouteille. De ce fait, le lecteur tombe dans le panneau en sous-estimant rapidement les adversaires de Barbe-Rouge, pensant qu'ils vont se faire rouler dans la farine ; il n'en sera rien, et c'est tout ce qui fait le sel de l'aventure, car Barbe-Rouge est traqué et poussé dans ses retranchements. De son côté, Éric tentera de faire un pacte avec le diable afin de préserver une lueur d'espoir. Dans "Mort ou vif", Charlier démontre à nouveau sa maîtrise du suspense et de la montée en tension. L'enjeu est clair, le rôle des différentes parties l'est aussi. Certains seront néanmoins déçus par le personnage de Stark-le-Noir, autant par son physique (un signe particulier quelconque aurait fait la différence) et sa caractérisation (il est plus fort en gueule qu'habile au sabre) que par le texte et l'attitude que Charlier lui a imaginés. Enfin, si la traque en fin d'album est captivante, l'éruption volcanique est aussi soudaine que brève : aucun signe avant-coureur, et deux planches (à peine), même si les cartouches narratifs sont denses. 
Style réaliste, trait fin et régulier, ombrages discrets, découpage cristallin... Hubinon produit à nouveau une partie graphique de qualité. Déjà en première planche, le lecteur admire la silhouette majestueuse du Seeadler, que l'on voit sous presque tous les angles au fil des planches. Il est flagrant, à l'observation, que l'artiste focalise ses efforts sur les figurants et les embarcations plutôt que sur les décors, qu'ils soient intérieurs ou extérieurs. Le travail d'Hubinon est toujours assez dense et presque compressé (mise en page et quadrillage des planches n'évoluent pas : quatre bandes horizontales) ; cela laisse peu de marge de manœuvre au dessinateur pour étoffer ses paysages et leur donner de l'ampleur. On retrouve aussi l'un des tics d'Hubinon : ajouter des visages de figurants en gros ou en très gros plan d'un côté ou l'autre de la case, au premier plan. Ces visages apparaissent souvent comme figés ; la technique vise sans doute à renforcer la sensation d'immersion dans l'action. 

Malgré ses défauts, l'ouverture de ce nouveau diptyque promet. Notons l'entrée en scène du personnage de Stark-le-Noir, sorte de reflet plus cynique de Barbe-Rouge ; sera-t-il le méchant récurrent qui manque peut-être à cette série depuis le départ ? 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
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Bande dessinée franco-belge, Corsaires, Pirates, Règne de Louis XV, Barbe-Rouge, Stark-le-Noir, Jean-Michel Charlier, Victor Hubinon, Dargaud

2 commentaires:

  1. Ma curiosité est un vilain défaut mais je pose quand même ma question : en découvrant cette critique sur le tome 10, je me demande si tu tiens le rythme que tu t'étais fixé concernant cette série ?

    Sous les signes de l'action, du spectacle, du suspense, et de l'humour : que demander de plus ? Je ne détecte pas de romance dans ton article. Je suppose que cela correspondait au cahier des charges d'un magazine dont le cœur de cible était les préadolescents et jeunes adolescents.

    D'un autre côté, les qualités que tu mets lumière (savant dosage des composantes, éléments historiques, qualité descriptive de la reconstitution historique) sont bien le fait d'auteurs adultes et pelles peuvent être appréciées par des adultes.

    L'éruption volcanique est aussi soudaine que brève : ça n'a pas l'air de le cas ici : parfois dans certains comics du type Marvel Team-up ou Marvel Two-in-one, il était flagrant que scénariste et dessinateur faisaient du remplissage jusqu'à ce qu'il ne reste plus que deux pages, et ils passaient alors en mode résolution expéditive.

    Ajouter des visages de figurants en gros ou en très gros plan : une spécialité de Jack Kirby également, avec ce double effet qui est d'augmenter la sensation d'immersion, et de remplir la case à moindre frais.

    Le méchant récurrent qui manque peut-être à cette série depuis le départ : ta formulation laisse supposer que tu n'es pas entièrement convaincu de la nécessité d'un ennemi récurrent.De mon côté, je n'ai pas d'avis tranché sur la question : l'ennemi récurrent renvoie au héros récurrent, une formule toute faite, son absence fait encore plus ressortir que la vie du héros n'est faite que d'une suite ininterrompue d'aventures arrivant les unes après les autres, ce qui est tout aussi artificiel.

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    1. Je tiens à peu près le rythme, en tout cas pour cette série. J'arrive tout doucement à la moitié. J'ai même décidé de lire plus de tomes que je l'avais planifié à l'origine : vingt-cinq (soit tous les tomes écrits par Charlier).
      Je ne te cacherai pas qu'il en va différemment pour le reste de mes lectures, tous types confondus : je crois que je lirai à peine la moitié de ce que j'avais prévu cette année, soit une soixantaine d'articles.

      Je considère "Barbe-Rouge" comme une série tous publics, mais pas autant que "Blueberry". Je regrette qu'il n'y ait pas plus de romance ; je croyais que Charlier allait jouer cette carte avec Doña Inés, mais non : elle est rentrée en Espagne. Peut-être reviendra-t-elle ?

      Je trouve que cette série manque de personnages - et donc de méchants - récurrents. Je rebondis sur ma remarque au sujet de Doña Inés au-dessus.

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