"Velvet" est une minisérie d'espionnage. En version originale, elle a été publiée chez Image Comics en quinze numéros (d'octobre 2013 à juillet 2016). La version française consiste en trois volumes, reprenant chacun cinq numéros ; ils sont sortis chez Delcourt entre octobre 2014 et juin 2017. Le premier, "Avant le crépuscule" ("Before the Living End"), paru en octobre 2014, comprend les "Velvet" #1-5 (d'octobre 2013 à mai 2014) ; c'est un ouvrage relié (cartonné) de dimensions 19,0 × 28,5 cm. Delcourt a publié une intégrale qui regroupe les trois volumes (sortie en octobre 2021).
"Velvet" a été créé par Ed Brubaker et Steve Epting. Brubaker écrit tous les numéros et Steve Epting dessine les quinze épisodes. Epting encre ses planches, également. Les deux hommes avaient déjà travaillé ensemble : sur la franchise "Captain America". La mise en couleurs, enfin, a été produite par Elizabeth Breitweiser.
Paris, 1973. Jefferson Keller, l'agent X-14 de l'ARC-7, y est en mission. Tout se passe très vite. Il abat de son pistolet automatique deux hommes qui dînaient en terrasse (une balle chacun), puis bondit vers la fenêtre de l'immeuble voisin. Il repense alors à une discussion qu'il avait eue, il y a quelques années, avec quelques autres agents X. Buvant un verre après un briefing du lieutenant Simonson, ils s'étaient aperçus qu'ils avaient tous eu une relation avec Velvet Templeton, l'assistante du directeur Manning, alors que chacun était certain d'avoir été le seul. Des agents surentraînés, dupés. Toujours concentré malgré ses pensées, il neutralise un représentant des forces de l'ordre, évite une ruelle surveillée. À l'époque, il avait compris que Velvet était dangereuse, aucun d'entre eux ne la connaissant réellement ; il se dit qu'il aurait dû lui en parler. Il réussit à regagner son véhicule : un coupé Aston Martin DB5 bleu. C'est alors que quelqu'un s'approche de lui, par-derrière ; il se retourne, mais est abattu d'une décharge de fusil de chasse à canon scié, qui atteint son visage et l'épaule gauche...
"Velvet" peut s'apparenter à un exercice de style : une intrigue d'espionnage qui se déroule (dans le premier tome) dans l'Europe du début des années soixante-dix avec des analepses qui remontent sur trois décennies (les années quarante, cinquante, et soixante). Brubaker bouscule (gentiment) les codes d'un registre qui fut longtemps le fief de personnages masculins, car c'est une héroïne qu'il met en scène : Velvet Templeton. La séduisante quadra (elle a quarante-trois ans) est dotée d'une mémoire eidétique, brille aux armes à feu comme au close-combat, est intrépide ; occupant un poste de secrétaire de direction, elle est tirée de sa réserve par le meurtre d'un agent. "Velvet", revanche de Miss Moneypenny ? Cela va plus loin, car l'intrigue est bien plus intéressante que la simple revanche d'un genre et beaucoup plus tortueuse qu'un "James Bond" avec un énième méchant mégalomane aspirant à dominer le monde. Brubaker imagine une intrigue avec une taupe ; l'auteur est fidèle à lui-même, il tire l'atmosphère du scénario vers le registre du polar, voire du roman noir, même si John Le Carré (1931-2020) avait déjà démontré que les deux genres partageaient des points communs - dont un pessimisme certain. Ici, les espions sont conscients de n'être que des pions qui choisissent une autre vie avant tout, par jeu, afin d'éviter l'ennui, avec les quiproquos tragiques que cela implique. L'ambiance n'est pas à l'introspection existentielle, pour autant, car l'action est omniprésente. "Velvet" ne fait pas dans la dentelle : fusillades explosives, bagarres sauvages, courses-poursuites spectaculaires, meurtres brutaux, etc. Malgré ses multiples analepses, la trame n'est pas exemple d'une certaine linéarité, provoquée par les nombreux déplacements (Londres, Vienne, Monaco, etc.), telle une ligne parsemée de points. De plus, il y a là quelques invraisemblances telles que le contact que l'on retrouve vingt ans plus tard et qui saute à pieds joints dans l'aventure. En dépit de cela, Velvet captive autant par son intrigue rythmée que par l'indéniable séduction qui se dégage de son héroïne, et Brubaker prend soin de respecter les autres conventions du genre.
Epting produit une partie graphique très réaliste et particulièrement soignée. Décors, armes, mobilier, costumes, machines, ou accessoires divers : la densité de détail est généralement très satisfaisante. Rares sont les planches où l'artiste se laisse aller à la facilité et la rapidité d'un arrière-plan rationalisé ; en témoignent ses scènes urbaines nocturnes, toutes en lumières et contrastes. Epting reproduit les véhicules (principalement voitures et motos) avec une minutie que les amateurs apprécient. Le découpage est impeccable. L'expressivité pouvait difficilement être plus poussée sans tomber dans l'exagération. En revanche - bien que Velvet soit instantanément identifiable -, la variété des physionomies est perfectible. En planche trois, le dessinateur glisse un clin d'œil - appuyé - à James Bond, avec l'Aston Martin.
La traduction est signée Jacques Collin. Elle est honorable, mais il y a du déchet : "du ARC-7" pour "de l'ARC-7", "suite à" pour "à la suite de", "traître" pour "traîtresse".
"Avant le crépuscule" ouvre une série d'espionnage prometteuse, noire, souvent violente, qui flirte avec le polar. La présence de ce personnage féminin comme héroïne ne suffira assurément pas à renouveler ce genre, mais là n'est pas le but de l'auteur.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz
Espionnage, Polar, Velvet, Ed Brubaker, Steve Epting, Elizabeth Breitweiser, Image Comics, Delcourt
Excellent souvenir de lecture. Je sais que je lâche 5 étoiles plus facilement que toi, et je n'avais pas hésité pour celui-ci.
RépondreSupprimerEpting produit une partie graphique très réaliste et particulièrement soignée : ça m'avait également sauté aux yeux, en particulier la qualité de la reconstitution historique : le carrousel d'appareil de projection de diapositives, les modèles de voitures, la salle occupée par des ordinateurs massifs à bande magnétique, les modèles de maillots de bain (sur une plage des Bahamas en 1956). J'avais également bien aimé les clins d’œil à James Bond ou Modesty Blaise, ou encore à Nick Fury (version Jim Steranko, avec la combinaison permettant de planer), ainsi que les jeux d'ombre en cohérence avec la recherche de la vérité dans laquelle se lance Velvet Templeton, dans le monde de faux-semblants qu'est l'espionnage.
L'intrigue est bien plus intéressante que la simple revanche d'un genre et beaucoup plus tortueuse qu'un "James Bond" avec un énième méchant mégalomane aspirant à dominer le monde : tout pareil pour moi. En outre, Brubaker ne transforme par Velvet Templeton en une superhéroïne, ou une Nick Fury au féminin, encore moins en James Bond en jupon. Il déroule d'abord une intrigue haletante, avec l'enquête sur les circonstances de l'exécution de l'opérateur 14, et en même temps l'histoire personnelle de Velvet Templeton dépourvue de toute niaiserie, et plausible dans le cadre du récit de genre de type Espionnage.
https://www.babelio.com/livres/Brubaker-Velvet-tome-1--Avant-le-crepuscule/650640/critiques/698373
Figure-toi que j'ai hésité un moment entre trois et quatre étoiles. Va savoir pourquoi, mais j'ai dû recommencer cette lecture trois fois en l'espace de quelques mois. Je pense que c'est dû à l'intrigue et au travail d'Epting. C'état un artiste dont je ne connaissais rien, et son réalisme, le côté maintes fois déjà-vu de l'histoire, ainsi que la vague ressemblance physique entre deux protagonistes m'avaient gêné - je ne trouve pas d'autre terme. La troisième tentative a été la bonne, et là j'ai hâte de découvrir la suite.
RépondreSupprimer