jeudi 13 octobre 2022

"Docteur Strange" : L'Intégrale 1968-1969 (Panini Comics ; mai 2018)

Publié en mai 2018, le troisième volume de l'intégrale que Panini Comics France consacre au personnage du docteur Strange est un album de 17,7 × 26,8 centimètres, de deux cent soixante-quinze planches approximativement, avec couverture cartonnée et jaquette amovible. Il contient les versions françaises des "Strange Tales" #164-168 (de janvier à mai 1968), des "Doctor Strange" #169-178 (juin 1968 à mars 1969), et du "The Avengers" #61 (février 1969) ; si le titre obtient son magazine, sa numérotation ne change pas, et continue sans redémarrer au #1. En bonus : la plupart des couvertures, sauf celles des "Strange Tales" avec "Nick Fury, Agent of SHIELD", et de brèves bios des auteurs principaux. 
Jim Lawrence et Dennis O'Neil (1939-2020) se partagent l'écriture des "Strange Tales"Roy Thomas devient scénariste lorsque le personnage obtient sa série. Il écrit aussi le "The Avengers". Les dessinateurs sont : Dan Adkins (1937-2013), George Tuska (1916-2009), Tom Palmer (1941-2022), puis Gene Colan (1926-2011), John Buscema (1927-2002) se chargeant du "The Avengers". Outre Adkins et Palmer, l'autre encreur est Joe Sinnott (1926-2020) ; George Klein est celui du "The Avengers". Aucun crédit, pour finir, à propos de la mise en couleur : une pratique usuelle à l'époque. 

Précédemment, dans "Docteur Strange" : Strange aide à vaincre Nebulos en lui arrachant son sceptre. Le Tribunal vivant l'envoie par la pensée retrouver Victoria Bentley, prisonnière de Nebulos. 
Physiquement éprouvé, Strange traverse les dimensions. Une image se forme dans son esprit, c'est le visage de Victoria Bentley. Il distingue des machines en arrière-plan et en déduit que des "créatures intelligentes" vivent dans "ce monde de cauchemar" où il va chercher la jeune femme. Les illusions se dissipent. Il est à nouveau englouti par le vide noir de l'espace lorsqu'une planète apparaît juste en bas ; la pesanteur l'entraîne jusqu'à sa surface... 

Ce recueil commence donc par une quête, celle de Victoria Bentley, jeune femme britannique. Pur sens du devoir, semble-t-il, car le cœur de Strange est déjà pris par Clea ; profitons-en pour noter que les femmes ont beau être peu nombreuses dans cette série, leur place est importante. Le docteur, lors de cette quête, rencontre un nouvel adversaire : Yandroth. Rapidement, ce combat se bâtit sur l'opposition entre magie et science : sortilèges contre pistolets laser, un robot géant (Voltorg), divers systèmes de sécurité automatisés. Magie contre science ? Nous sommes chez Marvel : le lecteur devinera aisément laquelle de ces deux disciplines l'emportera. Cet arc pourra surprendre par sa durée : cinq numéros. Il est satisfaisant, malgré quelques longueurs et la caractérisation cabotine et manichéenne de Yandroth. Il précède un retour sur les origines du personnage particulièrement réussi, conçu par Thomas ; eh oui, le bon docteur fume. Un numéro sans faiblesse, qui sème l'intrigue à venir, et fait passer Strange de la gloire à la déchéance avant de le lancer sur sa voie. Dans la suite, Thomas, nouveau sur le titre, pioche surtout dans ce la période Steve Ditko (1927-2018) ; on retrouve ainsi Cauchemar ("Nightmare") et Dormammu. Il se lance enfin dans un arc plus ambitieux, avec Lord Nekron et les Fils de Satannish, dans un New York qui reflète l'insécurité croissante de la mégalopole en cette fin des années soixante, sans doute. Il y a là d'excellentes idées, mais c'est poussif, et l'entrée en scène des Avengers est incongrue. Puis, dans le #177, Thomas, voulant sauver la série du couperet, commet l'irréparable : masquer Strange, décision contre-productive qui enlève son humanité au sorcier et le rend "ordinaire". Pour finir, le docteur est connu pour ses expressions : "Loué soit Agamotto", "Par les vapeurs de Valtorr", "Par les hôtes chenus d'Hoggoth", etc. Lawrence en abuse, jusqu'à trois par planche, au risque d'agacer le lecteur ; heureusement, O'Neil et Thomas calment le jeu. 
Palmer et Adkins n'ont pas la notoriété d'autres artistes, mais ils réalisent là des planches admirables et montrent créativité et imagination dans les formes et paysages psychédéliques, les créatures et la mise en page. Mais lorsque Colan arrive sur le titre, le niveau monte brusquement d'un cran. Il apporte un élément fondamental qui manquait un peu : le mouvement, ou plutôt la fluidité. Dès lors, plus rien n'est figé. Colan donne vie aux lumières, brouillards ou nappes de brume, tandis que vents et explosions viennent dynamiser ces histoires ; il y a comme une folie subite, quelque chose de puissant et d'incontrôlable qui vient animer ces planches, dont la mise en page est incroyablement organique. La quarantaine, Colan est au sommet de sa forme et se lâche dans un titre taillé pour lui. Il a la chance de collaborer avec Palmer, qui devient encreur titulaire. Un superbe témoignage du classicisme de l'âge de bronze. Pour terminer, la restauration des couleurs est une indéniable réussite. 
La traduction a été répartie entre Geneviève Coulomb, Nicole Duclos et Laurence Belingard. Le fana frémira à la vue de ces noms, mais leurs textes sont impeccables.

Pour sauver le titre, Thomas fait du sorcier un héros masqué qui s'avère banal, au fond ; de plus, Stan Lee avait déjà condamné la série, semble-t-il. Cela n'enlève rien aux bonnes idées de ces épisodes ou à l'épatante performance du duo Colan-Palmer. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Docteur Strange, Doctor Strange, L'Ancien, Clea, Cauchemar, Dormammu, Mordo, Satannish, Roy Thomas, Gene Colan, Tom Palmer, Marvel, Panini Comics

3 commentaires:

  1. Ainsi donc ce tome marque l'arrivée de Gene Colan. Marvel a bien entamé la réédition des aventures de Stephen Strange dans le format Epic Collection. Pour le moment, je n'ai cédé à la tentation que pour le tome 4 qui regroupe Doctor Strange (1974) 6 à 28, Doctor Strange Annual (1997) 1, Tomb of Dracula 44, c'est-à-dire la période 1974-1978. Il y a un peu de Jim Starlin dedans, et du Gene Colan. Le tome 2 de cette collection qui regrouperait les épisodes de cette intégrale 1968/69 n'est pas encore paru.

    Les femmes ont beau être peu nombreuses dans cette série, leur place est importante : une remarque fort édifiante, d'autant plus que nous avons conscience, que ces séries étaient destinées avant tout à un public de jeunes adolescents mâles.

    Roy Thomas commet l'irréparable : masquer Strange. - Un décision certainement imposée ou fortement incitée par les responsables éditoriaux également, à moins que Thomas n'ait été son propre superviseur éditorial à l'époque.

    Mais lorsque Colan arrive sur le titre, le niveau monte brusquement d'un cran : plus les années passent, plus je me rends compte du talent de cet artiste et son unicité. Il ne me vient pas à l'esprit d'autres dessinateurs qui auraient tenté de l'imiter.

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    1. Je crois que Thomas avait plus ou moins carte blanche, si un tel concept existait toutefois dans l'esprit de Lee. Et je crois bien qu'il s'agit de son idée (à Thomas) ; cela étant, il a certainement demandé au grand patron de l'approuver par peur de se faire tirer les oreilles.

      Concernant Colan, il y a un épisode intéressant de Comic Tropes sur le dessinateur en général et son travail sur "Tomb of Dracula" en particulier.

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    2. Merci pour la mention de Comic Tropes car j'ai négligé d'aller y jeter un coup d’œil ces derniers temps.

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