mardi 27 septembre 2022

Ric Hochet (tome 20) : "L'Homme qui portait malheur" (Le Lombard ; avril 1975)

"L'Homme qui portait malheur" est le vingtième "Ric Hochet", titre créé par le Tournaisien André-Paul Duchâteau (1925-2020) et le Français Gilbert Gascard (1931-2010) dit Tibet. Il est prépublié dans "Le Journal de Tintin" entre le 21 mai (nº21/74) et le 7 août 1974 (nº32/74) puis sort en album chez Dargaud en avril 1975. Il est réédité chez Le Lombard. Cet ouvrage, format 22,5 × 30,0 cm, couverture cartonnée, inclut quarante-quatre planches. Série-fleuve (soixante-dix-huit volets), "Ric Hochet" s'étend sur près de cinquante ans. Le dernier est sorti en 2010. 
Duchâteau écrit le scénario. Tibet produit la partie graphique (dessins, encrage, mise en couleurs). Tibet ne réalisait pas les décors et les laissait à des assistants. Le nom du décoriste des nº18 à 25 est inconnu. Frère d'un célèbre dessinateur, l'artiste préfèrera conserver l'anonymat, son identité reste un mystère. 

Paris, en fin de journée, dans le quartier de l'Arc de triomphe. Le ciel est d'un gris sombre, presque noir. Une pluie soutenue vient perturber la circulation, déjà dense. Ric, au volant de sa Porsche 911 jaune, manœuvre à travers le flot des véhicules. Il est surpris par la conduite cavalière d'une Peugeot 201 Confort, décorée avec des fleurs sur la carrosserie. Ne désirant pas rester dans les parages de ce conducteur "qui fonce à l'abordage comme un vrai dingue", Ric est prudent ; mais alors que les deux voitures sont côte à côte, une Ford Galaxie 500 XL surgit de la gauche et coupe la route de la Peugeot, qui - obligée de se rabattre sur la droite - percute la Porsche. Les deux véhicules terminent leur course jusqu'au trottoir pendant que la Ford s'éloigne. La colère de Ric retombe comme un soufflé lorsqu'il reconnaît son ami Romain Daverny, accompagné de son chien. Coïncidence : Ric avait justement rendez-vous avec Daverny. Daverny, celui que ses camarades de classe surnommaient déjà "le verni" ; douze ans que Ric et Daverny ne s'étaient plus vus !... 

Voilà un numéro qui est un peu à part dans la série. Ric y retrouve Romain Daverny, un ami d'enfance - une première, sauf erreur. Au fil des pages, le journaliste - et le lecteur avec lui, évidemment - en arrive peu à peu à douter des intentions réelles de ce camarade, qui semble être un poissard né ! "L'Homme qui portait malheur" est donc éloigné du canevas de l'enquête policière usuelle : bien que Ric fasse fonctionner ses méninges en fonction des indices dont il dispose afin de parvenir aux bonnes conclusions, il n'y a pas ce petit groupe habituel de suspects parmi lesquels il doit démasquer le ou les coupables et au bout de quelques pages c'est autour de Daverny que cristallisent les doutes et les interrogations ; les réflexions de Ric y incitent d'ailleurs les lecteurs au cas où ceux-ci n'en seraient pas encore arrivés là. C'est plutôt Daverny la vedette, mais pas non plus au point d'atténuer l'efficacité du personnage du reporter. Tandis qu'à l'ordinaire c'est Bourdon qui sert de caution comique, c'est ici au personnage de Daverny - avec sa Peugeot bariolée, son chien, et surtout son incroyable malchance - que ce rôle est dévolu. Duchâteau force peut-être un peu la dose ; nul doute que l'ouvrage aurait eu une part plus sombre si ce jeune homme n'avait pas eu cette nature de comique triste. Romain est au-delà du reflet déformé ; c'est presque l'exact opposé de Ric, au fond. Puis - c'est bien sûr à des fins scénaristiques - le lecteur découvre de nouvelles facettes du journaliste, qui a l'occasion de se montrer généreux, compatissant, véritablement bienveillant, mais qui de l'autre côté n'est pas entièrement épargné par l'envie de vengeance brutale et implacable. En revanche, Nadine est à nouveau cantonnée à un tout petit rôle ; décidément, il est dit qu'elle ne retrouvera plus jamais le premier plan ! Ici, c'est compréhensible : c'est la relation Ric - Romain qui est au centre de tout. Malgré l'un ou l'autre point restant obscurs lors du dénouement (la ressemblance de Graven ; pourquoi il n'a pas été éliminé) et la caractérisation trop farfelue de Daverny, voici un thriller captivant, construit sur une idée dont la mécanique fonctionne dès la première page. 
Vraiment aboutie, la partie graphique renforce l'allure de polar de cet album. Les amateurs y retrouveront cette lisibilité de haut niveau - malgré l'utilisation superflue de flèches rouges qui indiquent le sens de lecture dans les planches à la mise en page plus sophistiquée -, la diversité des physionomies, l'expressivité particulièrement satisfaisante des visages, l'emploi de la bichromie lors des séquences tendues (bien qu'il soit ici très fréquent), le classicisme de la mise en page, et la forte densité en action. Le travail du décoriste est impeccable même si les plans manquent certainement de variété de manière générale. Enfin, les fanas apprécient le soin pointilleux apporté aux véhicules, une caractéristique inhérente à une certaine bande dessinée franco-belge. Notons encore ce travail sur l'atmosphère par l'ombre et la lumière : seules quatre ou cinq planches sur quarante-quatre se déroulent en plein jour dont la fusillade du boulevard périphérique pour des raisons évidentes de lisibilité. 

Malgré la caractérisation exagérée de Daverny, "L'Homme qui portait malheur" appartient aux réussites de la série grâce à ce travail sur l'atmosphère, mais sans égaler les sommets tels que "Ric Hochet contre le Bourreau" et "Épitaphe pour Ric Hochet"

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
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Bande dessinée franco-belge, Thriller, Policier, Ric Hochet, Bourdon, Nadine, André-Paul Duchâteau, Tibet, Dargaud, Le Lombard

4 commentaires:

  1. Il n'y a pas ce petit groupe habituel de suspects parmi lesquels il doit démasquer le ou les coupables : cet écart par rapport aux caractéristiques immuables de la série doit apporter un vent d'air et une sensation de renouvellement, sans pour autant trahir l'esprit original, pas mal comme numéro d'équilibriste.

    Le lecteur découvre de nouvelles facettes du journaliste : un approfondissement du personnage, voilà qui doit faire l'effet d'une récompense pour le lecteur de longue date. Mais c'est peut-être aussi une forme de début de continuité, initiant toutes les contraintes qui vont avec ?

    La lisibilité de haut niveau : il s'agit d'une exigence implicite, mais je m'aperçois également qu'avec les années qui passent je commence à y être plus sensible et à détecter quand c'est le cas, alors qu'à la lecture cette qualité se fait d'abord sentir quand elle est en défaut.

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    1. Oui, je trouve que Duchâteau est très convaincant lorsqu'il sort des contraintes de l'énigme policière. Ce sont souvent mes albums préférés.

      Je ne sais pas si l'approfondissement du personnage va faire date ; j'en doute fortement. Mais je reconnais que c'est réussi et que ça a été surprenant. Je ne l'ai pas pris pour une récompense, mais l'idée est plaisante, oui.

      La lisibilité est pour moi un point majeur. Le fait de ne pouvoir décrypter une case ou un enchaînement m'agace profondément. Avec quel artiste m'est-ce arrivé, récemment ?... Jock ?... Albuquerque ?... Je ne sais plus.

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    2. Je confirme : il m'est déjà arrivé de m'interroger sur ce qui était représenté dans un comics dessiné par Jock.

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    3. Tu me rassures ! Je crois bien que c'était dans le premier tome de "Losers".

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