vendredi 14 mai 2021

Ric Hochet (tome 14) : "Ric Hochet contre le Bourreau" (Le Lombard ; février 1972)

"Ric Hochet contre le Bourreau" est le quatorzième "Ric Hochet"titre lancé par le Tournaisien André-Paul Duchâteau (1925-2020) et le Français Gilbert Gascard (1931-2010) dit Tibet ; il est paru au Lombard en février 1972 après avoir été prépublié dans "Le Journal de Tintin", entre le 4 août (nº31/70) et le 22 décembre 1970 (nº51/70). Ce recueil format 22,5 × 30,0 cm à couverture cartonnée contient quarante-quatre planches. Série-fleuve culte comptant soixante-dix-huit volets, "Ric Hochet" s'étend sur près de cinquante ans ; le dernier est sorti en 2010. 
Duchâteau écrit le scénario. Tibet produit la partie graphique (dessins, encrage, mise en couleur) ; Tibet ne réalisait pas les décors et les confiait à des assistants ; ici, à Christian Denayer

Un soir de pluie, probablement en Allemagne de l'Est. Une chasse à l'homme touche à sa fin. Elle est menée par l'inspecteur Schültz. Le bandit qu'ils traquent est un Français : Angel le Corse, auteur de plusieurs attaques à main armée. Schültz a fait appel au commissaire Bourdon et à Ric Hochet pour le pister et le coincer ; Angel s'est réfugié au sommet d'un immeuble en construction, d'où il répond aux demandes de reddition de la police par des rafales de mitraillette ou des cocktails Molotov. Schültz prévient Bourdon : Angel est un dur à cuire, mais chez eux "les chiens enragés" sont abattus et cloués "sur les portes des villages". Schültz estime avoir perdu assez de temps ; il veut donner l'ordre de l'assaut. Les lance-flammes "grilleront ce tueur". Mais Ric s'interpose : il propose au policier d'outre-Rhin de le laisser procéder à sa manière pour que le criminel soit appréhendé. Réticent, Schültz accepte néanmoins. Ric demande qu'un tir de barrage le couvre afin qu'il puisse monter ; les policiers s'exécutent. Ric réussit à emprunter l'ascenseur du chantier. Arrivé en haut, il est surpris par Angel, qui lui ordonne de mettre les mains sur la tête, puis d'avancer au bord du toit... 

"Ric Hochet contre le Bourreau" est une véritable évolution dans la série, et un album qui se distingue fortement des autres par les choix scénaristiques de Duchâteau ; l'auteur s'éloigne en effet des romans policiers à énigme ou des intrigues d'espionnage où le criminel n'est démasqué qu'à la fin. Là, les lecteurs découvrent le Bourreau d'abord par son initiale : "B". On apprend de la bouche de ses sbires que l'homme est perfectionniste et exigeant. Puis on le voit, à la dixième planche : physiquement, c'est un peu l'anti-Ric Hochet par excellence, un reflet diamétralement opposé, autant dans la forme que dans le fond. On le sent également menaçant et peu enclin à la compassion. Son objectif ? La vengeance. Car contrairement aux albums précédents, il n'est là nullement question de secrets d'État ou d'argent. Le plan du Bourreau est machiavélique et brillamment pensé. Duchâteau soigne ses effets et met son lectorat dans le bain dès le départ : un forcené corse isolé dans un décor sinistre dans un pays qui a tout d'une dictature militaire et où l'omniprésente police ne fait pas dans la demi-mesure. Étrange élément scénaristique de la part de cet auteur, qui n'a jamais évoqué les bouleversements sociaux des années soixante et soixante-dix, ni de près ni de loin. Puis vient une belle course-poursuite d'une douzaine de planches dans laquelle la tension est encore accentuée par l'utilisation, inhabituelle chez Duchâteau, de cartouches narratifs denses. Évidemment, le ton étant plus sombre qu'à l'accoutumée, pas de professeur Hermelin ici ; même le commissaire Bourdon, toujours employé comme faire-valoir, a dans cette aventure une fréquence d'apparitions nettement inférieure à celle des volumes précédents. Nadine est présente, mais seulement en filigrane et dans les scènes plus légères. Ces points, y compris l'épilogue inusuel, car mi-figue mi-raisin, contribuent à faire de "Ric Hochet contre le Bourreau" un album à part. Peu importent ses faiblesses (une introduction longuette et une vraisemblance malmenée lors de certaines séquences), reconnaissons le risque pris par l'auteur alors que son titre est confortablement établi auprès du public. 
La partie graphique répond au canon de la série. Après douze volumes, le tandem formé par Tibet et Denayer semble être rôdé et le résultat est terriblement efficace, car tout y est : le dynamisme, la lisibilité de l'action (moins de flèches rouges pour indiquer le sens de lecture et surtout plus discrètes), la variété des perspectives, le soin apporté aux automobiles (la Mercedes-Benz Heckflosse et l'Opel Rekord C), et la fameuse bichromie pour accentuer les moments de tension émotionnelle. 

Malgré ses défauts, "Ric Hochet contre le Bourreau" est le tome le plus original depuis le début de la série, avec "Les Spectres de la nuit". Il est sensiblement plus noir, plus violent que les précédents, et offre à "Ric Hochet" un bond qualitatif étonnant. 

Mon verdict : ★★★★★

Barbüz 

2 commentaires:

  1. Wouhaaah ! 5 étoiles.

    Existe-t-il seulement une trace de potentielles interviews où l'auteur s'exprimerait sur cette évolution notable de sa série ? C'est une question me traverse l'esprit : l'importance d'un appareil critique pour attester de la vitalité d'un art, et établir des traces de ses productions, de son évolution.

    En revenant sur Terre : une course-poursuite d'une douzaine de planches. De mon expérience, c'est beaucoup plus difficile qu'il n'y paraît pour instaurer un rythme et une tension sur une page dont le lecteur décide du rythme de progression, que dans un film où le rythme est fixé par le réalisateur.

    Tout y est : ça me laisse penser que tu t'es fait une image très claire de ce que tu attends d'une aventure de Ric Hochet.

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    1. On est plus proches de quatre étoiles et demie que de cinq, mais peu importe ; en tant que tel, l'album n'en mérite peut-être que quatre. Mais considéré comme un pan d'une globalité, il en mérite quatre et demie ou cinq en comparaison avec les autres productions de la série. J'ai eu l'impression que l'espace d'un tome, Duchâteau avait réussi a se débarrasser de quelques-unes des scories inhérentes à "Ric Hochet".

      Est-ce que j'ai une image très claire de ce que j'attends d'une aventure de Ric Hochet ? Pour moi et dans mes souvenirs, "Ric Hochet" ce sont des enquêtes teintées de fantastique qui ont un dénouement tout à fait rationnel et qui se déroulent en province. Bien souvent, je me rends compte que ma perception de la série n'était pas entièrement exacte.

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