"Enquête dans le passé" est le dix-huitième "Ric Hochet" - un titre lancé par le Tournaisien André-Paul Duchâteau (1925-2020) et le Français Gilbert Gascard (1931-2010) dit Tibet. L'histoire fut d'abord prépubliée dans "Le Journal de Tintin" du 8 mai au 17 juillet 1973 (soit du nº19 au nº29/73) puis est rééditée en album chez Le Lombard en janvier 1974. Cet ouvrage au format 22,5 × 30,0 cm à couverture cartonnée inclut quarante-quatre planches. Culte, cette série-fleuve en soixante-dix-huit volets s'étend sur près de cinquante ans. Le dernier est sorti en 2010.
Duchâteau écrit le scénario ; Tibet produit la partie graphique (dessins, encrage, mise en couleurs). Tibet ne réalisait pas les décors et les laissait à des assistants. Le nom du décoriste des nº18 à 25 est inconnu ; frère d'un célèbre dessinateur, l'artiste préfèrera conserver l'anonymat. Son identité reste un mystère.
Un soir pluvieux d'hiver 1938. Une MG modèle TA dévale la pente d'une route de campagne, qu'elle éclaire du faisceau de ses phares. Malgré l'averse, la visibilité est suffisante : à gauche, la voiture dépasse un calvaire. Devant elle, en bas de la route, juste après un virage, se dresse une modeste masure, puis vient un autre tournant, en épingle à cheveux. Un champ, et plus loin, au bout, juché au bord d'une falaise, le manoir des Rambaud. Richard Hochet est arrivé à destination. La grille d'entrée du domaine est ouverte. Hochet remonte l'allée bordée d'arbres qui mène à la demeure et gare son bolide écarlate devant le perron. Il est accueilli par les frères Rambaud, Edgar et Martin, et le chien de garde, Tigre. Martin essaie de calmer celui-ci, qui s'est soudainement mis à aboyer. Edgar, qui a prévu un parapluie pour leur invité, remercie Richard d'avoir répondu à son appel. Richard avoue que les "causes mystérieuses" le "passionnent" ; Edgar précise que son frère et lui le connaissaient déjà de "réputation", et qu'ils se sont donc "permis" de le contacter...
Cet album commence de façon surprenante. À la première planche, le lecteur se demande si Duchâteau se livre à un exercice de style (une histoire hors continuité, en quelque sorte) ou s'il s'agit d'un rêve de Ric. À vrai dire, ce n'est ni l'un ni l'autre ; car c'est bien Richard Hochet, le père de Ric, qui enquête dans la première partie de cette affaire. Ce n'est pas la première fois que Duchâteau et Tibet emploient cette ressemblance physique (aussi marquée que facile et pratique) entre père et fils. Ça avait déjà été le cas dans "Alias Ric Hochet" - le neuvième tome et le récit dans lequel le personnage de Richard fut créé. Si la première partie (douze planches) a lieu en 1938, il y a donc trente-cinq années (environ) qui se sont écoulées entre les deux chapitres. Développer une même intrigue sur des lignes narratives séparées par le temps n'était bien sûr pas nouveau. Dans l'absolu, l'exercice n'est pas aisé pour autant, à cause du risque de sensation de répétition et de la nécessité de concevoir des évolutions à long terme aussi cohérentes que possible pour les protagonistes malgré une liberté de création qui semble évidente. Ici, Duchâteau respecte ce cahier des charges. Il prend soin de pimenter le scénario en ajoutant une rivalité amicale entre père et fils : lequel des deux aura le fin mot de l'histoire ? Une question purement rhétorique, bien entendu. Le scénariste réussit à créer une intrigue globalement convaincante, sans invraisemblance ou incohérence majeures. Mais surtout, il excelle à multiplier les pistes, notamment à les brouiller, c'est une des marques de fabrique de cette série. Les habitués de "Ric Hochet" se poseront d'abord la bonne question - à qui profite le crime - avant de se laisser piéger par les mécanismes narratifs bien huilés de Duchâteau, alimentés par un mélange efficace de suspense et d'humour, et une maîtrise consommée de la narration, en tout cas dans le genre policier. Néanmoins, ces éléments - aussi savamment dosés soient-ils - ne parviennent pas à faire oublier que le modèle d'intrigue se répète au fil des tomes. Ici, en l'occurrence, l'identité du coupable est aisée à deviner malgré les artifices que déploie l'auteur.
La partie graphique voit donc arriver un nouveau décoriste ; il est fort probable que le lecteur, s'il n'est pas au courant de ce changement, ne s'en rende pas compte. Il restera séduit par la quantité de détails hautement satisfaisante, les paysages (les scènes en extérieur sont très soignées), la densité des forêts, les façades travaillées des bâtiments, les intérieurs, ou encore les objets de la vie quotidienne. Tibet ne montre aucun signe de faiblesse. Son Ric a atteint sa maturité graphique. La mise en page évolue peu (quatre bandes horizontales), mais gagne en complexité dans l'une ou l'autre planche ; Tibet - à nouveau - préfère recourir aux flèches directionnelles afin d'indiquer le sens de lecture, bien que toutes ne soient pas nécessaires. Les amateurs retrouvent la diversité des physionomies, l'expressivité des protagonistes, et la bichromie dans les moments tendus. Enfin, notons que l'artiste a représenté le commissaire Berger sous les traits de l'acteur français Bernard Blier (1916-1989).
"Enquête dans le passé" est une énigme policière dont l'originalité principale est de se dérouler en deux parties sur une période de trente-cinq années et d'éveiller une émulation pleine d'humour entre père et fils ; trois étoiles, quatre en tirant un peu.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
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Passage de 5 étoiles pour le tome 17, à 4 étoiles pour le tome 18.
RépondreSupprimerNéanmoins, ces éléments ne parviennent pas à faire oublier que le modèle d'intrigue se répète au fil des tomes : Peut-on faire mieux ou faire différent à chaque fois ? Les créateurs doivent-ils innover à chaque nouvelle histoire , Quand j'établis le parallèle avec les groupes de musique que j'ai suivis sur des décennies, j'avoue que je ne sais plus trop. Quand j'écoute AC/DC, je viens chercher plus de la même chose, et surtout pas d'expérimentation. J'ai fini par accepter un peu plus de fantaisie chez Motörhead. Je sais qu'Alice Cooper change plus régulièrement de sous-genre de Hard Rock, et j'espère qu'il fera un album différent. Je présume que pour Ric Hochet, je serais plus proche d'une approche AC/DC que d'une approche Alice Cooper. D'un autre côté, y a-t-il assez de variations ou pas ?
Le nom du décoriste a été oublié : étrange que personne n'ait vendu la mèche après quelques décennies.
Tibet préfère recourir aux flèches directionnelles : comme dans le tome précédent. Faut-il en déduire que c'était un outil graphique normal et banalisé à cette époque ? Ce qui expliquerait son utilisation sans arrière-pensée.
Je ne sais pas si on peut faire différent à chaque fois, mais ce qui est clair, c'est que Duchâteau a trois modèles de scénarios : espionnage, énigme, et policier-fantastique, avec des frontières parfois poreuses. Évidemment, tout dépend de la qualité de l'intrigue.
SupprimerL'identité du décoriste : effectivement, cela reste un mystère encore aujourd'hui.