Publié chez Pika Éditions (groupe Hachette Livre), dans la collection "Pika Seinen" de l'éditeur, en septembre 2022, cet album est le premier numéro de la version française du manga "Batman: Justice Buster". C'est un recueil broché, de dimensions 15,0 × 21,0 centimètres (soit à mi-chemin entre le format habituel d'un manga - 13,0 × 18,0 - et celui d'un comic book, en quelque sorte) ; il est protégé par une jaquette illustrée amovible. Il compte cent quatre-vingt-seize planches - qui se lisent de droite à gauche - en noir et blanc avec des nuances de gris, ainsi que trois pages de bonus, des études de personnages. Au Japon, la série est prépubliée dans "Morning" (qui est l'un des magazines seinen de l'éditeur Kōdansha Ltd), depuis décembre 2021.
Ce premier recueil de "Justice Buster" est produit par le scénariste Eiichi Shimizu et le dessinateur Tomohiro Shimoguchi ; ces deux hommes sont célèbres pour "Ultraman". J'ignore si c'est DC Comics ou Kōdansha qui a pris l'initiative de la collaboration. Je crois bien qu'il s'agit du premier, bien que la stratégie de DC Comics en la matière me paraisse aussi timide que floue.
Gotham City, un soir : dans une ruelle, deux malfrats presque dos à dos braquent leurs pistolets automatiques dans toutes les directions. Bien qu'ils soient sur leurs gardes, ils ne voient Batman fondre sur eux que trop tard. Le Chevalier noir les maîtrise facilement et rapidement avant de lancer son Bat-grappin et de continuer sa ronde. Pendant ce temps, dans un appartement modeste, le jeune Danny, attablé, mange une pomme ; il attend patiemment que son oncle Sam achève de réparer la montre de son père. Sam semble avoir des difficultés à finaliser sa tâche. Danny l'incite à abandonner : même sans montre, il ne sera pas en retard - enfin, c'est ce qu'il pense. Opiniâtre, Sam croit avoir trouvé la solution : il n'y a plus qu'à fermer le couvercle ! Danny douche l'enthousiasme de son oncle en montrant une pièce qui a été oubliée, le mécanisme est donc incomplet. Danny lui répète de laisser tomber, car cela n'en vaut "pas la peine"... Mais Sam insiste, il s'agit d'un souvenir du père de Danny...
Les aventures de Batman en manga : a priori, une combinaison susceptible d'attirer les lecteurs de deux genres très codifiés... Évidemment, cet exercice n'est pas une première. Certains se souviendront de "L'Enfant des rêves" ou de "Hong Kong", tandis que d'autres suivent "Batman & the Justice League", peut-être. Seulement, voilà : il faut bien reconnaître que dans ce domaine, la réussite artistique est plus souvent l'exception que la règle, sans doute pour des raisons culturelles, et "Justice Buster" ne déroge malheureusement pas au postulat. Shimizu se trouve d'abord face à une équation : comment faire du neuf (ou au moins quelque chose de différent) avec un personnage de fiction âgé de plus de quatre-vingts ans ? La proposition de l'auteur est tout sauf inintéressante, loin de là ; mais elle compte une grande part de risque. Ce risque, encore faut-il avoir suffisamment de métier pour savoir en éviter l'écueil. Tout est à l'identique, y compris la majorité des protagonistes (Alfred Pennyworth, le commissaire Gordon, le Pingouin, le Sphinx, Killer Croc, Deathstroke, Clark Kent) à l'exception de trois personnages-clés à qui Shimizu a appliqué un traitement pour le moins déconcertant. Par exemple, Robin est une intelligence artificielle de classe supérieure qui seconde Batman lors de ses interventions jusqu'à prendre certaines décisions particulièrement critiques à la place du justicier, mais n'est pas et n'a jamais été un être humain. Richard Grayson a été recueilli par un oncle, pas par Bruce Wayne ; il n'a donc jamais été Robin. Le Joker, enfin, est un anti-héros qui s'affiche aux côtés de Batman, malgré les protestations de ce dernier ; affublé d'un masque, n'ayant rien à voir avec la version que l'on connaît, ce clown-là est dénué d'intérêt, bien que le lecteur se laisse un moment séduire par l'éventualité d'un Joker devenu justicier et d'un partenariat entre les deux hommes. Pour le reste, Shimizu dispose d'une écriture suffisamment efficace pour tromper l'ennui, et qui joue beaucoup sur les non-dits et sur le mystère pour maintenir éveillé l'intérêt du lecteur. Regrettons le rôle quasiment inexistant des femmes - véritable comble pour Bruce Wayne !
Shimoguchi produit une partie graphique tout à fait honorable. Ses personnages sont (pour la plupart) identifiables au premier coup d'œil. On retrouve la juvénilité des visages et la finesse du trait, souvent associées au manga en général. L'artiste distille des idées intéressantes, telle sa gigantesque tour Wayne blanche, ultramoderne, et immaculée, comme si elle était le rempart ultime face au crime dans cette ville gothique et ancienne. Shimoguchi force l'admiration par la variété de ses angles de prises de vues et son utilisation de la perspective. Cela étant, la lisibilité de son trait n'est pas des plus élevées ; malheureusement, il y a là quelques cases à la teneur sibylline, notamment lors des scènes d'action. En outre, le coup de crayon de Shimoguchi n'a rien de particulier et ne se distingue en rien de ceux de ses confrères.
La traduction est signée par le studio Charon. Impossible de comparer avec la version originale sans être japonisant, mais le texte est impeccable, ni faute ni coquille.
Ce premier tome de "Justice Buster" intrigue dès les premières planches ; mais une fois passé ce sentiment, bien que les pages se tournent sans la moindre lassitude, il manque quelque chose à ce manga - une véritable profondeur, sans doute ?... - pour être suffisamment convaincant et donner vraiment envie de découvrir la suite.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
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Manga, Batman, Robin, Superman, Dick Grayon, Joker, Killer Croc, Pingouin, Sphinx, Deathstroke, Shimizu, Shimoguchi, Pika
Double surprise : je ne m'attendais à un Batman version manga, et je n'avais même pas connaissance de celui-ci. Merci pour la découverte.
RépondreSupprimerUne combinaison susceptible d'attirer les lecteurs de deux genres très codifiés : une phrase qui m'a fait sourire, car, pour mon petit cas personnel, cette combinaison a tout pour me faire fuir. J'avais lu L'enfant des rêves de Kia Asamiya et ça ne m'avait pas convaincu.
Rôle quasiment inexistant des femmes : est-ce en prenant de l'âge que cette facette d'un récit saute plus facilement aux yeux ?
La juvénilité des visages : c'est une caractéristique que je ne parviens pas à accepter concernant les superhéros en manga, car ce choix visuel ne fait pas sens pour moi. Il attire mon attention sur la jeunesse du personnage, plutôt que sur son énergie ou son entrain intérieur.
Je te présente mes meilleurs vœux pour 2023 : puisse cette année voir se réaliser les projets qui te tiennent à cœur !
J'ai acheté ce bouquin en voulant concilier mon envie de Batman et le souhait de persévérer dans le manga. Hélas. Un double échec, parce que ce n'est pas le Batman que je souhaitais et que je n'ai pas non plus trouvé ce que je cherchais en manga.
RépondreSupprimerJ'avais lu "L'Enfant des rêves", moi aussi, et ça ne m'avait pas convaincu non plus. Pas plus que "Batman : Hong Kong", d'ailleurs.
L'importance du rôle des femmes avec l'âge : c'est possible, mais je ne pense pas. Il y a toujours eu des femmes dans Batman ; ici, n'en voir qu'une seule (je passe sur Martha Wayne) le temps de sept cases et sans qu'elle dise le moindre mot m'a semblé... déplacé.
Merci pour tes vœux, à moi de te présenter les miens : une santé de fer et une année pleine de satisfaction et de réalisations ! À très bientôt sur ton blog ou le mien.