lundi 12 décembre 2022

Les Dossiers de Hellblazer (tome 1) : "Mauvais sang" (Urban Comics ; février 2012)

"Mauvais sang" est le premier tome des "Dossiers de Hellblazer", une série terminée qui ne contient que deux volets - sur BDGest, elle est "en cours" alors que son dernier titre à ce jour, "Pandémonium", date de 2013. Ce recueil inclut les versions françaises de la minisérie "Hellblazer: City of Demons" dans son intégralité, soit les #1-5, sortis entre décembre 2010 et février 2011 en version originale. Ce livre relié (couverture cartonnée) de dimensions 17,5 × 26,5 centimètres est paru en février 2012, dans la collection "Vertigo Classiques" d'Urban Comics ; il compte - approximativement - cent onze planches, toutes en couleurs. 
Le scénario est signé par un Britannique, Si Spencer (1961-2021). Spencer a notamment écrit plusieurs numéros de "Judge Dredd" (il m'est difficile d'affirmer s'ils ont été publiés en version française). Les dessins et l'encrage sont produits par le Nord-Américain Sean Murphy, connu principalement pour "Punk Rock Jesus", "The Wake", "Tokyo Ghost" et quelques titres consacrés à la franchise Batman. La mise en couleurs est composée par Dave Stewart, le coloriste aux dix prix Eisner - excusez du peu. 

Londres, Essex Road, en soirée. Constantine est installé au comptoir d'un pub dont il semble être l'unique client. Intérieurement, il se réjouit que l'endroit soit à nouveau fréquentable : sans Sky Television, sans armes, "propre", "calme", ce qui "tranche avec le quartier alentour". En sirotant une Guinness et en écoutant les petites railleries de Luce, la barmaid, il étudie les pages des faits divers de quelques journaux. Un article mentionne une victime qui a reçu cent quatre-vingt-dix-huit coups de couteau ; un autre une adolescente de quinze ans poignardée sur le seuil de son domicile... Il sort griller une cigarette, pendant que Luce lui ressert une Guinness. En lui-même, il ironise sur l'avertissement de son paquet de Silk Cut : "Femmes enceintes, fumer nuit à la santé de votre enfant." A priori, cela ne le concerne pas, mais rien n'est à exclure, surtout vu son style de vie. À côté, deux jeunes dealers utilisent la cabine téléphonique ; leur conversation finie, ils sortent des couteaux et interpellent Constantine... 

Premier point : "Mauvais sang" propose-t-il une porte d'entrée intéressante pour qui découvre Constantine ? Oui et non. Oui, car Spencer se réfère peu à la continuité ; non, car le lecteur demeurera sur sa faim à propos des origines de Constantine. Ici, le héros est caractérisé par les éléments qui le définissent d'ordinaire : son humour pince-sans-rire - mélange d'autodérision, de cynisme, et de noirceur -, son rejet de l'autorité, son penchant pour la binouze, son tabagisme, son comportement grivois, sa faiblesse pour la gent féminine. Passons sur le côté punk (trop souligné par certains lecteurs), car il n'y en reste pas grand-chose, si ce n'est une brève nostalgie que l'on perçoit lors des soliloques, ou certains propos éculés concernant les "nantis". La solitude de Constantine est flagrante : rien, pas un ami, pas de famille, à peine un foyer. Le désert total. Pas étonnant qu'il tombe dans les bras de son infirmière après avoir failli perdre la vie dans un accident de la route, donc. Son corps est entre la vie et la mort, mais l'esprit - à l'instar de la forme astrale du Dr Strange -, indemne, mène son enquête le temps du rétablissement. L'auteur nous emmène alors sur un itinéraire narratif rempli de faux-semblants et de surprises pour que le lecteur oublie sa linéarité. Le ton oscille en permanence entre le gore le plus assumé et le plus débridé et la tragicomédie (conf. la scène de l'hôpital). L'hémoglobine dégouline abondamment : animaux qui s'automutilent, décapitations, amputations, énucléation, égorgement, éventration, fusillade. Les seconds rôles sont réussis. Marie Cameron a la vedette, mais les deux savants fous, en bons médecins bourgeois, aussi cyniques qu'hédonistes - un clin d'œil à Mr. Wint et Mr. Kidd ? -, ne déméritent pas. Spencer parvient à gérer le suspense avec efficacité (sauf ces longueurs à la fin), à maintenir éveillé l'intérêt du lecteur, à éviter l'écueil du grand-guignol, à créer des moments touchants, et à placer quelques piques bien senties et intelligentes - car ambigües - sur la société britannique contemporaine, mais il n'en demeure que son intrigue, bien que solide, est finalement moins originale dans le fond que dans la forme. 
"Mauvais sang" a la chance de bénéficier du talent supérieur de Murphy. Son style peut être rangé dans la catégorie réaliste ; ce qui est remarquable, c'est que l'artiste se permet souvent de s'amuser avec les appendices nasaux des personnages, sans jamais sombrer dans la caricature. Son approche minutieuse du détail, que ce soit en intérieur ou en extérieur, son travail de l'expressivité, et son sens du mouvement ne pourront que convaincre les plus exigeants. Sa Londres, entre tours de béton et de verre et ruelles lugubres, n'a franchement rien d'accueillant ! La mise en page ne propose rien de très novateur, mais Murphy a l'art de savoir placer une pleine page là où il faut. Enfin, la mise en couleurs de Stewart parachève la réussite impeccable : choix idéal des teintes, contrastes étudiés, travail sur l'ombre et la lumière. 
Philippe Touboul signe la traduction. Texte cohérent, mais deux fautes, une d'élision, et pas d'accord après la construction de l'auxiliaire avoir et de la préposition "en".

"Mauvais sang" nous propose une histoire complète de Constantine qui varie les plaisirs, entre humour macabre et ambiance horrifique - mais pas trop quand même, le premier atténuant l'impact de la seconde... Le débutant n'apprendra rien de spécial au sujet du personnage, ce qui n'ôte rien à la qualité de sa caractérisation. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Fantastique, Horreur, Constantine, Hellblazer, Sean Murphy, Vertigo

2 commentaires:

  1. Un récit de John Constantine qui ne m'avait pas enthousiasmé non plus, tout en étant agréable à lire.

    L'artiste se permet souvent de s'amuser avec les appendices nasaux des personnages : une caractéristique qui m'avait également sauté aux yeux, dérangé au départ, et comme tu l'expliques elle était passée en arrière-plan en cours de lecture grâce à la qualité des dessins.

    Les dossiers d'Hellblazer tome 2 - Pandemonium, de Jamie Delano & Jock se trouve-t-il dans ta pile ?

    Conclusion de mon commentaire amazon - Malgré tous ces bons cotés, c'est vrai que j'ai trouvé qu'il manquait un petit quelque chose à cette histoire pour obtenir une place spéciale dans le panthéon des horreurs affrontées par John Constantine. Du début à la fin, il apparaît comme un tout petit peu trop distant. Le choix d'indiquer au lecteur dès le début le fin mot de l'histoire désamorce également tout suspense. À la fois, Spencer et Murphy présentent des idées et des situations prenantes (la scène finale avec les sex-toys mérite également d'être citée), et à la fois il s'en faut de très peu pour que les enjeux et les horreurs n'arrivent à complètement impliquer le lecteur. Du coup je ne mets que 4 étoiles à cette histoire par comparaison avec les plus réussies du personnage.

    Le commentaire complet :

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    1. Oui, effectivement, c'est bien vu, ça, la distance : c'est le juste terme pour cette sensation que j'ai éprouvée et sur laquelle je ne suis pas parvenu à mettre un mot.

      Oui, je vais lire "Pandémonium" ; j'avais déjà commencé, en fait. Mais je vais devoir reprendre à zéro, parce que ça m'a semblé ennuyeux et terriblement long. Ou alors était-ce parce que j'avais plusieurs lectures sur le feu en même temps ? Surtout ne m'en dis rien avant que j'aie fini.

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