jeudi 15 décembre 2022

Tif et Tondu (tome 15) : "Tif rebondit" (Dupuis ; janvier 1969)

"Tif et Tondu" est une série de bande dessinée qui fut créée par Fernand Dineur (1904-1956), un Bruxellois, en 1938. Ce titre a un historique de publication assez compliqué, la numérotation des volumes ayant changé avec le temps. Si au début Dineur cumule les postes de scénariste et de dessinateur, cela évolue à l'arrivée de Will - Willy Maltaite (1927-2000) -, qui se charge des illustrations dès 1949. Puis Dineur quitte le titre en 1951. Il est remplacé par Henri Gillain alias Luc Bermar (1913-1999), et par Albert Desprechins (1927-1992), avant que Maurice Rosy s'installe jusqu'à cet album-ci, qui sera son dernier. 
"Tif rebondit" est prépublié dans "Spirou" du nº1566 (18 avril 1968) au nº1587 (12 septembre 1968). Et en janvier 1969 Dupuis le réédite en un album de quarante-quatre planches : le quinzième de la seconde série classique depuis la réédition de 1985. Rosy écrit le scénario ; Will produit la partie graphique, les dessins, l'encrage, et la mise en couleurs - sauf erreur. 

Précédemment, dans "Tif et Tondu", Tif maîtrise de plus en plus les effets de l'étrange matière verte et parvient à stopper le professeur Fauchetout. Tif, Tondu, et Vertendron sont reçus par le ministre, qui leur transmet ses remerciements. 
Un soir de pluie ; le ciel est envahi par des nuages noirs, et les branches des arbres plient sous le souffle du vent. Le paysage est lugubre. Une automobile s'arrête devant le domicile de Tif et Tondu, une villa isolée à la campagne : c'est Vertendron (ou Vertandron). Il a une trousse de médecin avec lui. À l'intérieur, Tondu sirote un alcool dans le salon en lisant paisiblement un quotidien au coin du feu. La sonnette retentit, il sait que c'est le botaniste. Celui-ci n'est pas encore entré qu'il s'enquiert de la santé de Tif. Tondu répond qu'il va bien, mais que lui est à bout : voir Tif rebondir sans arrêt a fini par l'épuiser. Se voulant rassurant, Vertendron désigne sa mallette et déclare que "tout va peut-être rentrer dans l'ordre, grâce à ceci". Tondu retient "peut-être". L'autre tient une ampoule : ce produit devrait annuler l'effet de la matière verte dans le corps de Tif... 

Décidément, elle suscite les convoitises, cette matière verte. Dans le volume précédent, c'était un savant fou, là ce sont les espions de la Moumagnie, une nation dont tout laisse présumer qu'elle se situe derrière le rideau de fer. Et pour mettre la main sur cette fameuse matière, quoi de mieux que d'enlever celui à qui Fauchetout l'a injectée ? Rosy souligne le caractère léger, irresponsable, puéril de Tif, qui sort se promener malgré l'interdit. L'auteur en profite pour insérer une série de gags un peu longue : chute, gâteau écrasé puis tête dans le gâteau, effets indésirables du projectile employé par les espions sur l'agent de quartier et le gardien, quiproquos à tout va, atmosphère de vaudeville. Bref, soit Rosy veut faire du remplissage, soit il veut amuser le jeune lecteur. Il y a sans doute un peu des deux. Il faut presque attendre la vingtième planche pour que quelque chose se passe : un enlèvement. Là, Rosy surprend par le sérieux du procédé, malgré des coïncidences décidément faciles. Mais soit. Ici, pas de grand-guignol : une manœuvre rapide, un appel téléphonique clair, sans équivoque, et qui incite au calme, une fausse ambulance, un manoir isolé à la campagne, et enfin, un avion qui amène tout ce beau monde en Moumagnie sans histoire. Les espions moumagniens sont donc plus des professionnels que des gaffeurs. Le sérieux s'arrête là, puisque nos deux compères vont ridiculiser les forces moumagniennes à eux seuls, évidemment. D'ailleurs, la phase finale de l'histoire n'est qu'un prétexte pour illustrer l'étendue des propriétés de la fameuse matière verte. Rosy imagine toutes les acrobaties possibles : Tif utilise son corps comme un lance-pierre, assène des coups de poing à distance en allongeant les bras, se transforme en catapulte, etc.  L'histoire est très linéaire, mais construite sur trois actes bien découpés, et une fin rythmée avec une action très soutenue, ce qui - avec le nombre limité de quarante-quatre planches - permet d'empêcher que la lassitude arrive trop vite. À la toute dernière planche, le lecteur parvient néanmoins à l'intime conviction que Rosy a voulu étirer le plus possible une intrigue franchement très succincte. 
Will a à peine passé la quarantaine. Sa partie graphique est dans l'exacte lignée des volumes précédents. Aucune évolution, mais avec huit albums en quatre ans, il est peu probable que le dessinateur ait eu le loisir de s'interroger sur la nature de son art. Il doit réaliser plus d'une planche par semaine, sans inclure ce qu'il produit aussi pour la Collection du Carrousel ; il a la tête dans le guidon, sans doute, et rien ne laisse supposer que son coup de crayon est susceptible de changer. L'artiste applique scrupuleusement les directives de l'école de Marcinelle, c'est-à-dire le style "gros nez" et tout ce qui va avec. La mise en page des planches est très structurée, de type gaufrier, bien que les "pouvoirs" récents de Tif poussent souvent Will à approfondir la verticalité. Enfin, s'il ne fallait retenir qu'un point en particulier où Will démontre un talent supérieur, c'est sa lisibilité, un découpage narratif aussi cristallin qu'impeccable et des enchaînements sans la moindre friction... C'est irréprochable. 

Suite et fin de ce qui est le premier diptyque de "Tif et Tondu". C'est également la fin d'une époque, puisque le tandem Rosy et Will sera resté une dizaine d'années sur cette série (sans compter cette longue pause de sept à huit ans). Après "Tif et Tondu", Rosy travaillera dans la publicité et illustrera des livres pour la jeunesse. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
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Franco-belge, École de Marcinelle, Tif, Tondu, Matière verte, Vertandron, Vertendron, Moumagnie, Rosy, Will, Dupuis

2 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Ni recul ni lassitude, cher ami. Plus un manque de temps et un retard considérable sur mon planning de lecture. Cela étant, comme tu le soulignes plus tard, je ne regretterai pas Rosy en tant que scénariste...
    ... d'autant que c'est Maurice Tillieux qui lui succède. J'ai beaucoup aimé "Gil Jourdan" et il n'y a pas de raison que Tillieux ne fasse pas quelque chose d'intéressant avec Tif et Tondu. Je suis d'ailleurs en train de lire le tome 16.

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