mardi 6 décembre 2022

Le Convoyeur (tome 1) : "Nymphe" (Le Lombard ; mai 2020)

"Nymphe" est le premier tome de "Le Convoyeur", série post-apocalyptique créée par des Français, Tristan Roulot et Dimitri Armand, et lancée en mai 2020 aux éditions Le Lombard. C'est un volume relié (avec couverture cartonnée), de dimensions 24,4 × 32,0 cm. Le recueil compte cinquante-quatre planches exactement, toutes en couleurs. 
Le scénario a été écrit par Tristan Roulot. Né en 1975, Roulot est connu pour "Arale""Goblin's", "Le Testament du capitaine Crown", "Hedge Fund", ou encore "Irons". Les dessins, l'encrage, et la mise en couleurs sont réalisés par Dimitri Armand ; né en 1982, Armand aura déjà œuvré sur "Bob Morane : Renaissance", "Sykes", sa suite "Texas Jack", et "Indians!", pour ne citer que quelques exemples. "Le Convoyeur" est la première collaboration entre Roulot et Armand. 

Le futur ; quelque part en France, dans l'Aveyron, vraisemblablement, au pied des ruines du viaduc de Millau. Le convoyeur caresse l'encolure de son destrier noir charbon ; la bête aux yeux rouges est calme. Derrière, des jumeaux siamois attachés de la tête au bassin. Le convoyeur se tourne vers eux ; il les incite à ne pas traîner en route. L'un des jumeaux lui demande s'il tiendra sa promesse. Le convoyeur enfourche sa monture et répond que sa parole est sa loi. Puis il s'éloigne. Partout sur son itinéraire, des ruines de maisons, d'immeubles, d'infrastructures, de supermarchés, des épaves de véhicules ; tout a été abandonné. Le convoyeur était enfant lorsque la Rouille a frappé ; une bactérie venant de nulle part, s'attaquant au fer des usines, des ordinateurs, des chaudières, des outils, etc. La vie à laquelle les humains étaient habitués "s'est arrêtée du jour au lendemain". "Les clous, les vis, les armatures dans le béton armé" : tout a cédé, la civilisation aussi. "Fin de l'âge de fer, retour à l'âge de bronze". Les villes furent confrontées à la surpopulation, les entrepôts pillés, puis ce fut la famine - suivie d'un exode urbain vers les campagnes -, les conflits pour les terres cultivables, et les bandes organisées de brigands... 

Roulot et Armand proposent une série post-apocalyptique dont l'action se déroule dans un futur que l'on devine proche en observant les détails des planches. Au centre de cette série, le convoyeur, un personnage solitaire que l'on assimilera davantage au chevalier errant qu'au cowboy. Cet homme sans âge (la quarantaine, peut-être ?) se promène à travers le pays, sur un destrier qui semble sorti tout droit de l'enfer. Si le convoyeur réussit la mission qui lui a été confiée, le client devra avaler un œuf étrange. Roulot joue ainsi pleinement l'ambiguïté : le lecteur, conditionné, voit ici un redresseur de torts, mais le convoyeur en est-il vraiment un, au fond ? Autour du convoyeur, l'auteur met plusieurs factions en scène. Violente, cruelle, la pègre cherche à inspirer la peur ; les membres de communautés organisées aspirent à la paix, mais doivent se protéger de tous ; le clergé - dont l'emblème ressemble à celui des Faisceaux italiens de combat, vaguement - est davantage porté sur l'eugénisme que sur la spiritualité ; les Fonges sont des champignons humanoïdes intelligents, agressifs, qui tiennent plus d'un Alien que d'un cèpe (influence : "The Last of Us" ?). Enfin, il y a des mutants, la Rouille s'étant également attaquée au fer présent dans notre organisme. Bien entendu, entre la franchise "Alien", "Total Recall" (1990), les super-pouvoirs (car il y en a !), les nombreuses œuvres prenant place dans un monde post-apocalyptique, et cette mille et unième redite du thème du cavalier solitaire, tout cela a un air de déjà-vu décidément très prononcé, en dépit des efforts de Roulot pour ajouter des éléments originaux à son propos (par exemple, l'action se déroulant en France ; l'œuf). Le scénariste se démène, insuffle une cadence d'un niveau soutenu à son intrigue, et joue tour à tour la carte de l'action, de l'horreur, du suspense, mais rien de tout ça ne fonctionne de façon franchement convaincante : le palpitant du lecteur ne parvient pas à s'emballer de manière durable. Pourtant les pages se tournent sans déplaisir aucun, mais malheureusement, l'émotion reste généralement absente, en dépit des nombreuses tentatives de Roulot pour la susciter. 
Armand produit une partie graphique aussi réaliste que moderne ; son style semble avoir été nourri autant à la bande dessinée européenne moderne qu'aux comics US. Le contour est fin et régulier ; tout est dans le respect des règles de l'anatomie (non fantastique). L'idée de la mutation lui offrait une possibilité de créativité dans les trognes à dessiner. Certains éléments sont peut-être trop récurrents. Proposer quelques portraits ou gros plans bien placés des visages les plus saisissants aurait été un véritable plus. Le coup de crayon de l'artiste demeure d'une belle lisibilité lors des scènes d'action, ce qui est une vraie force, d'autant que les temps morts sont brefs. Armand dynamise son travail par une expressivité marquée, parfois un rien exagérée, le sens du mouvement, l'originalité du quadrillage, une réflexion sur le choix des couleurs afin de coller au mieux à l'atmosphère voulue, une retranscription efficace des séquences-chocs, ainsi que les contrastes entre ombres et lumières. 

Il y a quelques bonnes idées dans cet album, et il est bien construit, avec un équilibre entre épisodes et fil rouge à long terme. Mais certains lecteurs y percevront des influences trop évidentes. De plus, "Nymphe" ne parvient pas à engendrer suffisamment de lyrisme et d'émotions (à part de rares moments, dont la dernière planche). 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz, pour ASKEAR
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Bande dessinée franco-belge, Post-apocalyptique, Science-fiction, Convoyeur, Tristan Roulot, Dimitri Armand, Le Lombard

3 commentaires:

  1. Une bande dessinée dont la couverture m'a attiré l’œil, sans que je n'aille jusqu'à la compulser. Je me souvenais de ton article sur Arale, que je suis allé relire pour l'occasion pour me remémorer ton analyse du scénario.

    Des éléments originaux à son propos : par exemple, l'action se déroulant en France - C'est exactement la réflexion que je me suis faite sur le défi de situer l'action en France et d'en faire un lieu intéressant avec une vraie personnalité, et pas juste l'Amérique en plus petit.

    Une fois encore, j'ai beaucoup aimé ton paragraphe sur la partie graphique. La référence à une influence comics me refroidit direct : c'est très personnel parce que je recherche dans les BD franco-belges ou similaires, une sensibilité différente des comics.
    Certains éléments sont peut-être trop récurrents : je ne suis pas sûr que j'aurais été capable de relever cette caractéristique. Les rares fois où ça m'arrive, cela produit sur moi, un effet très désagréable car j'associe ça soit à un manque de compétence, soit à du travail fait trop vite.

    Ton analyse me permet d'écarter cette BD de mes lectures potentielles et d'alléger d'autant ma pile à lire. Merci.

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    1. J'avais oublié de te répondre.
      "Le Convoyeur" m'a longtemps fait de l'œil, à moi aussi, mais j'ai fini par l'écarter. Je ne l'aurais jamais lu si ASKEAR ne m'avait pas commandé un article sur ce premier tome.
      Le style comics dans la BD européenne ne me dérange pas. Je trouve que les styles fusionnent, les frontières deviennent floues, et parfois tu tombes sur un artiste nord-américain qui illustre son comic book comme le ferait un artiste européen, et vice versa.

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    2. Les frontières deviennent floues : même s'il existe des exceptions, deux caractéristiques restent significatives à mes yeux. La première réside dans le chapitrage en tranche de 20 ou 22 (ou un peu plus) pages pour les comics avec leur sérialisation : cela induit une façon de structurer le récit qu'on ne retrouve pas en franco-belge, sauf cas particulier comme la Brigade chimérique qui a été construite sur ce modèle. La seconde réside dans la liberté de format physique : d'un côté le format B4 pour les comics, de l'autre une multiplicité de formats (la référence du 48CC étant dépassée depuis plus de 20 ans) de taille généralement plus grande (en termes de dimensions de la page) pour le franco-belge ce qui induit des paysages potentiellement plus ouverts.

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