jeudi 31 août 2023

Conan le Cimmérien : "Chimères de fer dans la clarté lunaire" (Glénat ; mai 2019)

Publié en mai 2019, "Chimères de fer dans la clarté lunaire" est le sixième numéro de la collection que Glénat consacre aux adaptations en bande dessinée des récits que l'auteur texan Robert E. Howard (1906-1936) écrivit pour Conan le Cimmérien. Ce recueil - de dimensions 24,0 × 32,0 cm, relié, avec une couverture cartonnée - inclut cinquante-sept planches, toutes en couleurs. En bonus, une carte géographique de David Demaret, une postface de Patrice Louinet (trois pages), des crayonnés et cinq pages d'hommages de Gaëlle Hersent, Michaël Sanlaville, Béatrice Tillier, Vince, Sylvain Guinebaud et Cromwell
Le principe de cette collection est clair : un ouvrage = une aventure complète = une vision = une équipe artistique. Là, c'est à l'artiste Virginie Augustin qu'a été confiée l'adaptation. La Catovienne a planché dans le milieu de l'animation, notamment chez les studios Disney. Elle réalise cet album sous toutes ses coutures : le scénario de l'adaptation, les dessins et l'encrage, ainsi que la mise en couleurs des planches. Parmi ses autres œuvres, notons encore "Alim le tanneur" ou "Joe la pirate"

Un marais sous un ciel gris. Une jolie jeune femme légèrement vêtue a lancé sa monture au galop pour fuir cet endroit. Son beau cheval blanc s'effondre à cause de la fatigue ou d'un mauvais appui, précipitant sa cavalière sur le sol fangeux ; elle se relève et se met à courir éperdument. Soudain, une voix retentit : "Olivia !" Quelqu'un l'appelle par son prénom. Un cavalier en armure surgit derrière elle et lui ordonne de s'arrêter. Il reconnaît que la retrouver "n'a pas été chose facile", mais aucun destrier "à l'ouest de la Vilayet" ne peut distancer le sien ! L'homme qui s'exprime est Shah Amurath, un seigneur hyrkanien. Il regrette devoir la poursuivre, alors que le peuple fête "sa victoire sur ces chiens de Kozaki" ! Olivia le prie de lui laisser sa liberté, mais il refuse : il a l'intention de la ramener à Akif. Elle insiste ; il explique à Olivia que sa résistance lui plaît, et se demande s'il peut se lasser d'elle. En tout cas elle restera tant qu'il éprouvera du plaisir à ses souffrances et ses larmes... 

La nouvelle "Chimères de fer dans la clarté lunaire" fut publiée en avril 1934 ; intitulée "Iron Shadows in the Moon" par son auteur, elle fut renommée "Shadows in the Moonlight", peut-être lors d'une réédition postérieure à la mort de Howard. Louinet, dans une postface très instructive, mentionne la nature alimentaire de ce travail. Le secteur nord-américain de l'édition était affecté par la récession. Pour l'écrivain, ce devait être une source d'inquiétude. Louinet écrit que "Chimères de fer dans la clarté lunaire" est un texte dans lequel Conan est en retrait. Olivia assure le premier rôle. Effectivement, Conan symbolise la force brute protectrice ; c'est seulement à la fin qu'il retrouve son élément et reprend l'initiative. Ne nous limitons pas aux atours légers d'Olivia : nous découvrons une jeune femme farouche, qui n'aspire qu'à la liberté et n'hésite pas à avouer (avec une fausse candeur ?) à Conan qu'elle le craint. Olivia est une authentique princesse : l'une des filles du roi d'Ophir, vendue par son père comme esclave, car elle refusait un mariage arrangé avec un prince de Koth. Une parabole qu'utilise Howard pour illustrer un thème récurrent : la cruauté et l'inhumanité de ces sociétés soi-disant civilisées, qui pourtant craignent et méprisent les Barbares, à qui ils reprochent leur prétendue sauvagerie. Quoi qu'il en soit, et comme l'a souligné l'autrice, les intérêts d'Olivia et de Conan convergent et cela est figuré de façon assez naturelle. Mais l'histoire ne se limite pas à ses considérations et évolue. D'abord, un passage qui rappelle invariablement les récits de naufrages ou d'explorations, marqué par un superbe changement de décor ; puis une transition vers le cœur de l'intrigue, qui a donné ce titre au texte. L'atmosphère évolue à nouveau et plonge dans le registre fantastique et horrifique, entre matérialisations des phobies, fantômes, tragédies cruelles et conflits divins, dans lesquels l'être humain ne peut jouer d'autre rôle que celui de témoin impuissant. Ces idées et ces thèmes sont parfaitement restitués par Augustin, qui signe une belle adaptation, dans le respect du texte malgré les coupures auxquelles il a évidemment fallu procéder. 
Le coup de crayon d'Augustin regorge de qualités qui frappent dès la première planche, révélatrice. Une densité de détail très satisfaisante, une remarquable diversité des angles de prises de vues, une belle maîtrise du mouvement, et une lisibilité irréprochable. Seuls les yeux (trop) ronds trahissent son passage par les studios Disney. Tant pis : le lecteur devra s'y habituer. Le Conan de l'artiste est convaincant : il exhale puissance et rapidité. Il n'est pas trop massif et conserve sa félinité. Autre force d'Augustin, la variété des décors grâce aux contrastes de sa mise en couleurs : le marais hyrkanien, le palais royal d'Ophir, la forêt, les ruines et tout ce qui s'y déroule. La manière dont l'artiste réussit à varier la mise en page suscite l'admiration : gouttières blanches pour les scènes diurnes et noires pour les scènes nocturnes (évident, mais rendu garanti), emploi millimétré de l'insert, équilibre entre horizontalité et verticalité des vignettes. À cet égard, la scène du sacrifice est représentative. 

Tous les textes de Howard ne peuvent être à égalité dans le cœur du public. Malgré le côté alimentaire, "Chimères de fer dans la clarté lunaire" est l'une des nouvelles de l'écrivain que l'on retient. Avec le recul des six albums précédents, il apparaît qu'Augustin réalise l'un des plus réussis depuis le lancement de cette collection. 

Mon verdict : ★★★★☆ 

Barbüz 
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz 

Conan, Olivia, Shah Amurath, Sergius de Khrosha, Virginie Augustin, Robert E. Howard, Glénat

2 commentaires:

  1. Chic un autre album de cette série que je peux découvrir sans l'avoir lu, merci.

    Louinet, dans une postface très instructive : je me souviens de celle pour La fille du géant du gel qui m'avait beaucoup plu.

    J'ai beaucoup aimé ton analyse qui met en lumière les différentes phases avec chacune leur ambiance.

    Tant pis : le lecteur devra s'habituer aux yeux trop ronds... C'est pas du tout sûr que je sois capable d'y arriver.

    Virginie Augustin réalise l'un des plus réussis depuis le lancement de cette collection : tu m'as fait aller chercher tes chroniques sur les précédents tomes. Il n'y a qu'à La reine de la côte noire que tu as mis 3 étoiles, tous les autres ont eu droit à 4.

    J'ai mis le prochain sur ma liste : Le maraudeur noir, paru hier, de Jean-Luc Mabou.

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    1. La note - Oui, mais je ne pouvais pas mettre cinq étoiles. Mais ces quatre étoiles-là penchent plus du côté des cinq que du côté des quatre. Il y a toujours des nuances.

      Prochain étape en ce qui me concerne : "Les Clous rouges" (2019 aussi). Mais j'attends avec impatience "La Tour de l'éléphant".

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