mercredi 16 août 2023

Hawkmoon (tome 1) : "Le Joyau noir" (Glénat ; septembre 2022)

Intitulé "Le Joyau noir", cet album paru en septembre 2022 est le premier tome de la série "Hawkmoonpubliée par Glénat. Ce recueil relié (de dimensions 24,0 × 32,0 centimètres, couverture cartonnée) contient cinquante-cinq planches, toutes en couleurs ; c'est une nouvelle adaptation de "La Légende de Hawkmoon", de Michael Moorcock, une œuvre-culte appartenant au registre du merveilleux héroïque, du médiéval fantastique, ou de l'Heroic Fantasy, selon la terminologie en vogue. 
Le scénario est écrit par Jérôme Le Gris. Le Gris a aussi scénarisé la série "Horacio d'Alba" (2011-2016), entre autres. Benoît Dellac et Didier Poli se chargent des dessins. Dellac a notamment travaillé sur "Notthingham" et Poli est directeur artistique de "La Sagesse des mythes". Pour terminer, la mise en couleurs a été composée par Bruno Tatti et Angélina Rodrigues

Cité de Köln, quatre-vingt-sixième année de l'Aigle, la ville étouffe sous les flammes et la fumée, les bâtiments ne sont plus que ruines ; sérieusement endommagée, la cathédrale se tient encore debout. Dorian Hawkmoon, fils du duc de Köln, mène la charge de ses chevaliers contre des soldats granbretons, qui se sont regroupés devant le parvis : les piquiers de l'ordre du Taureau. C'est le fracas des armes sur les armures. Côté granbreton, c'est la déroute ! Le pont est dégagé : les Taureaux ont été laminés. Hawkmoon écoute le rapport de Teutoborg, un de ses officiers. Il l'informe que les ornithoptères ennemis n'ont plus de munitions ; quant au baron Meliadus de Kroiden (le Grand Connétable de l'ordre du Loup), il s'est "retranché avec ce qu'il lui reste d'hommes à l'intérieur de la cathédrale". C'est, selon Teutoborg, la seule place que ces "Granbretons tiennent encore". Il ajoute que le reste de la cité sera "bientôt libéré""À quel prix", se demande Hawkmoon. Il s'enquiert alors de la santé du duc, son père, mais apprend qu'il serait tombé avec sa garde et n'aurait pas survécu, les Loups de Meliadus n'ayant fait aucun survivant. Quelques instants plus tard, Hawkmoon et les chevaliers pénètrent dans la nef de la cathédrale... 

Voici une nouvelle adaptation de "Hawkmoon", la première en français, celle des années quatre-vingt parue chez First n'ayant pas été traduite (à ce jour). "Hawkmoon" (Moorcock écrivit cette saga entre 1967 et 1975) est une dystopie dans laquelle la Granbretanne (la Grande-Bretagne) aspire à imposer son joug au reste du monde, en commençant par l'Europe. Le Gris voit là deux facettes. La première est une histoire classique de vengeance, celle de Dorian Hawkmoon. La seconde est l'Europe "face aux impérialismes" (sic) et le questionnement à la fois géostratégique et politique qui en découle : faut-il s'allier avec ses voisins - ou pas ? Effectivement, il s'agit bien de cela, les nations aveugles et individualistes ayant réagi tardivement pour appliquer le principe de l'union faisant la force. Il est plausible que "Hawkmoon" s'inspire à la fois des accords de Munich (1938) et de la construction européenne, l'Union ne comptant que six États-Membres en 1967. Incarnation étatique du mal, fossoyeuse de civilisations et de cultures et insatiable conquérante, la Granbretanne pourrait aussi bien être le Troisième Reich que l'Empire romain. Airain voit pourtant l'émergence de ce nouvel ordre mondial comme un mal nécessaire qui pourrait mettre un terme à la féodalité et aux conflits régionaux récurrents ; la fin (l'union), peu importe les moyens (la guerre). Bien qu'elle alimente le contexte, cette dimension politique de la saga perd ensuite en importance. Dorian Hawkmoon apparaît plein de caractère, fougueux, colérique, certainement en rage contre lui-même et contre les erreurs qu'il a commises. Le joyau noir l'oblige à être un collaborateur malgré lui, il est sur le point d'atteindre le point de non-retour. Et s'il ne cède pas aux sirènes du suicide (l'éventualité n'est d'ailleurs pas évoquée), c'est seulement parce qu'il voit à plus long terme et que sa soif de vengeance le maintient en vie. Le Gris développe deux, voire trois fils narratifs qui s'entremêlent avec équilibre. Il n'y a aucun maniérisme ici ; les caractérisations sont impeccables, les dialogues sonnent juste. Ce tome captivant répond aux attentes des fanas de Moorcock comme à celles des néophytes. 
Voici une splendide partie graphique, avec plusieurs doubles pages absolument somptueuses. Pour ceux qui lisent "Elric" en parallèle, la filiation visuelle entre les deux franchises est flagrante ; elle était voulue par les auteurs (et peut-être suggérée par le responsable éditorial, Benoît Cousin). Dellac a aussi expliqué dans un entretien les inspirations gothiques, baroques et steampunk pour Londra, la capitale granbretanne (cette tour de Big Ben !), antiques (gréco-romaines et perses) pour la Kamarg. Bien que Poli semble avoir participé à la partie graphique (mais dans quelle proportion : cela n'est pas précisé), le réalisme des dessins n'a aucunement été affecté par les rondeurs qui caractérisent le style de cet artiste, même si ce Meliadus-là n'exsude peut-être pas suffisamment le mal, un point de vue très subjectif. La réussite de l'ensemble est incontestable : décors, costumes, expressivité, découpage, mise en page, ou choix des teintes, le travail de l'équipe artistique force l'admiration. 

Globalement très respectueux de l'œuvre de Moorcock (évidemment, il a fallu tailler dans le texte), ce premier tome est une révélation : Le Gris et Dellac donnent vie à cet univers à la fois original et proche de notre propre histoire en lui insufflant une irrésistible dimension épique. Cette adaptation tient toutes ses promesses.

Mon verdict : ★★★★★

Barbüz, pour ASKEAR
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Dorian Hawkmoon, Comte Airain, Yisselda, Baron Meliadus de Kroiden, Granbretons, Michael Moorcock, Jérôme Le Gris, Benoît Dellac, Didier Poli, Bruno Tatti, Angélina Rodrigues, Glénat

3 commentaires:

  1. Un tome que j'avais ouvert et feuilleté, et reposé n'étant pas attiré par la partie graphique.

    J'ai beaucoup aimé ton analyse sur la filiation historique du récit et le choix d'aller vers une gouvernance unie malgré le coût en vies humaines. Cela m'a permis de voir le parti pris de cette adaptation et de le comparer à une autre adaptation britannique des mêmes romans, celle réalisée par James Cawthorn et rééditée par Titan Comics. ce dernier a opté pour une approche plus mystique et tourments de l'âme humaine.

    Je dois avouer que j'ai lu le cycle de Hawkmoon au siècle dernier et que je n'en garde maintenant aucun souvenir.

    https://www.babelio.com/livres/Moorcock-Hawkmoon-tome-1--History-of-the-Runestaff/1267429/critiques/2389649

    https://www.babelio.com/livres/Cawthorn-Hawkmoon-tome-2--The-Sword-And-The-Runestaff/1403409/critiques/2966492

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    1. J'ai découvert les romans "Hawkmoon" lorsque j'avais une petite vingtaine d'années, je crois. Je n'en garde comme souvenir que les Granbretons et leurs armures.
      De tout ce que j'ai lu de Moorcock, je retiens surtout "La Défonce Glogauer" et le premier tome d' "Erekosë".

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    2. Je garde un souvenir confus de ce que j'ai lu de Moorcock également vers mes 20 ans, et en plus tout n'était pas traduit à l'époque : sept tomes d'Elric, Hawkmoon, peut-être Corum (mais je n'en suis pas sûr), Les danseurs de la fin des temps, Le pacte de Von Bek (mais plus tard vers mes trente ans), et surtout Les aventures de Jerry Cornelius.

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