Intitulé "Chaos", sorti en novembre 2019, cet ouvrage est le second tome de "Cyberwar", une trilogie publiée chez Delcourt. C'est un volume relié (dimensions 24,0 × 32,0 centimètres ; avec couverture cartonnée) de quarante-six planches, toutes en couleurs. "Chaos" est sorti directement au format album, c'est-à-dire sans la moindre prépublication dans un magazine.
Le scénario a été écrit par Daniel Pecqueur. Pecqueur, un vétéran de la bande dessinée, est connu notamment pour sa série "Golden City". La partie graphique - les crayonnés et l'encrage - est confiée à Denys Quistrebert, dit Denys. Il a travaillé sur plusieurs tomes de "Jour J". Jean-Paul Fernandez a composé la mise en couleurs. Les couvertures sont de Nicolas Siner.
Précédemment, dans "Cyberwar" : Le président Anderson, sur les conseils de son chef d'état-major et de Feller, a décidé de gagner le Canada afin de préparer une contre-offensive contre les terroristes, et ce malgré les menaces de leur leader.
Canada, Ottawa, à l'ambassade des États-Unis : Monsieur l'Ambassadeur est en plein acte avec une call-girl sur le canapé de son bureau. La sonnerie de son téléphone fixe retentit. L'ambassadeur peste : pas moyen d'être "tranquille", il faut toujours "qu'un emmerdeur" le dérange. La prostituée émet l'hypothèse que c'est son épouse. Improbable : il a raconté qu'il serait en déplacement aujourd'hui. Il décroche : c'est le président Anderson, qui est à bord d'un hélicoptère. Ses conseillers et lui ont décidé de se replier sur Ottawa. Il lui donne l'ordre de venir le chercher à l'aéroport, ils y atterrissent dans moins d'un quart d'heure. Qu'il prévoie plusieurs voitures, ils sont "nombreux". La conversation terminée, l'ambassadeur lève les yeux au ciel. Il doit aller chercher Anderson. La jeune femme s'apprêtant, il lui glisse qu'il la rappellera dès qu'il aura du temps libre. Elle acquiesce et quitte le bâtiment. Une fois dehors, elle passe un appel depuis son smartphone. Elle informe son interlocuteur que le président atterrira à l'aéroport dans quelques minutes ; elle voit les limousines de l'ambassade prendre la route...
Ce second volet procure un effet similaire à celui du premier. Ce titre est révélateur. Pour une grande puissance comme les États-Unis, le chaos ce n'est pas seulement le désordre généralisé, c'est aussi la fuite. Leur gouvernement est forcé à l'exil et balloté d'un pays à l'autre. Expulsé du Canada, nation voisine et amie, le voilà obligé de traverser le Pacifique pour chercher refuge au Japon, vaincu de 1945 sur lequel les États-Unis lâchèrent deux bombes atomiques et qu'ils occupèrent jusqu'en 1952. Cruelle ironie. Pour un peu, le lecteur éprouverait de la compassion pour l'administration états-unienne. Concernant sa construction, Pecqueur continue à exploiter ses trois fils narratifs - un antidote à la linéarité - et en intègre un nouveau lorsque deux d'entre eux se rejoignent. "Day One" souffrait de quelques invraisemblances, c'est similaire dans "Chaos", où tout s'enchaîne avec des coïncidences qui pourraient difficilement être plus folles. Le sommet se trouve dans les planches 4 à 12 : Nora Parks pose son avion sur l'autoroute et tombe sur les policiers qui viennent d'arrêter Jack. S'ensuit une course-poursuite à laquelle participent les deux assassins de Lily. Quel faisceau de coïncidences ! Alors, le lecteur mettra son esprit critique en sourdine et se persuadera que cela sert une intrigue qui doit avancer. Rappelons que Pecqueur n'a que quarante-six planches pour caser ce projet. Autre faiblesse passagère : certains dialogues qui manquent de naturel - un point déjà relevé dans le premier tome - et dont le texte semble tiré d'un article de journal ou d'encyclopédie. Mais l'intrigue est très fluide, et urgence et suspense sont encore au rendez-vous. L'impitoyable Lancaster est toujours chantre de la raison d'État et Jack toujours aussi difficile à cerner. Quant à Nola (la Rosa de l'exploration spatiale ?), ne serait-elle qu'un deus ex machina ? Pecqueur évite de se disperser, les conséquences de l'attaque au quotidien sont en arrière-plan comme dans "Day One". En revanche, si l'humour était absent du premier volume, ici Pecqueur brocarde ces messieurs les hauts-fonctionnaires, en témoigne la partie de jambes en l'air entre l'ambassadeur et sa "maîtresse".
La partie graphique présente les mêmes défauts que dans le recueil précédent, elle aussi : le principal, pour ne pas dire le seul, ce sont ces visages qui pâtissent d'une régularité aléatoire, et sans perturber la lecture outre mesure, ça peut malheureusement être flagrant d'une case à l'autre. Toutefois, Denys a pris le soin de varier les particularités physionomiques, donc cela n'empêche pas d'identifier les protagonistes immédiatement : c'est ce qui compte, au fond. Le travail de Denys conserve aussi ses qualités primordiales. Entre autres exemples, la perspective et la ligne de fuite, irréprochables, la variété des angles de prises de vues, la clarté de découpage, les paysages fonctionnels, mais soignés (les rues d'Amsterdam, la côte néerlandaise, les vues de La Havane) et l'animation des vignettes grâce à une densité de détail aussi plaisante que contrôlée (car cela n'empêche point la présence de fonds de case réduits à une simple couche de couleur unie) sont particulièrement réjouissants.
Ainsi, voilà un deuxième album qui est dans la lignée parfaite du premier, avec les mêmes qualités et les mêmes défauts, et bien entendu avec le même résultat final. Car malgré tout, il sera aussi difficile de refermer cet album avant de l'avoir achevé que de résister à la tentation de découvrir le dénouement de cette intrigue.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz
Cyberwar, Président Anderson, Winston Feller, Jack, Nora Parks, Cole, Lancaster, Kristen, Karl Müller, Ottawa, Amsterdam, Cuba, Cyberguerre, Delcourt
On sent que le rythme de succession des tomes est à l'image de la rapidité narrative.
RépondreSupprimerQuel faisceau de coïncidences : une astuce narrative très classique dans les romans d'aventure et dans les films, mais qui se voit comme le nez au milieu de la figure.
La variété des angles de prises de vues : c'est également un choix narratif qui me saute aux yeux. le plus souvent, je suppose que c'est lié aux délais de production, et que l'artiste s'affranchit de dessiner les arrière-plans dès que la séquence le lui permet. Dans les comics, les artistes les plus aguerris avaient pris l'habitude de réaliser une case plus grande en début de séquence où ils représentaient le décor, puis de ne le rappeler que par un objet ou un meuble par la suite.
Cela m'a tout l'air d'une bonne série B.
C'est une bonne série B, je ne l'aurais pas mieux formulé.
SupprimerCela étant, elle est aussi dépouillée (si le scénariste avait eu le temps et carte blanche, il aurait sans doute été capable de produire quelque chose de bien plus costaud) que compressée, et elle ne fonctionne que si le lecteur accepte de mettre son esprit critique en sourdine.