jeudi 19 octobre 2023

"Brian Azzarello présente Hellblazer" : Volume II (Urban Comics ; juillet 2017)

Publié en juin 2017 dans la collection "Vertigo Signatures" d'Urban Comics, cet épais album est le deuxième du diptyque consacré au run de Brian Azzarello sur "Hellblazer". Cela représente vingt-neuf numéros au total, tous sortis entre mars 2000 et août 2002. Au programme, les versions françaises des "Hellblazer" #162-174 (de juillet 2001 à août 2002) et de "All I Goat for Christmas" ("La Malédiction du bouc"), récit complet issu du "Hellblazer" #250, de février 2009. Il s'agit d'un volume relié (dimensions 19,0 × 28,5 cm), à couverture cartonnée, d'environ deux cent quatre-vingt-dix-sept planches (sans les couvertures), toutes en couleurs. 
C'est donc Azzarello ("Lex Luthor", "Joker" ou "Wonder Woman", entre autres) qui écrit les scénarios de ces dix-sept épisodes. Les dessinateurs sont Guy Davis (premier arc), Marcelo Frusin (arcs deux et trois), Giuseppe Camuncoli (les deux interludes) et Rafael Grampá (le complément). Davis et Frusin encrent leur propre travail, Cameron Stewart celui de Camuncoli et Marcus Penna celui de Grampá. Lee Loughridge a composé les mises en couleurs, sauf deux numéros laissés à James Sinclair, un autre coloriste. 

Précédemment, dans "Hellblazer" : Constantine réussit à débloquer la situation, avec le concours inattendu de l'Homme de glace. Les trois preneurs d'otages meurent l'un après l'autre : Lamar se vide de son sang, Dwight est abattu, Waylon est poignardé.
États-Unis, Montana, au début des années deux mille : Constantine descend d'un car de la Greyhound. Plongé dans ses réflexions, il s'allume une cigarette, avant d'être apostrophé par un agent de police qui lui ordonne d'aller fumer ça "dehors" en montrant un écriteau "No Smoking" du doigt. Constantine rétorque pour que pour un pays "à cheval sur les libertés", c'est "dingue" à quel point les États-Unis ne tolèrent "pas grand-chose". Pas désarçonné, le policier réplique que les non-fumeurs ont des droits - "eux aussi". Constantine s'éloigne en marmonnant qu'ils en ont "apparemment" plus que lui. Il se rallume une cigarette dehors. Rue et trottoir sont jonchés de détritus. Deux sans-abris s'installent devant une palissade recouverte d'affiches de concerts pour la plupart... 

Il sera indispensable de lire le volume précédent pour bien comprendre ces épisodes. Mais quel recueil déséquilibré ! Le premier arc - "Les Lèche-Bottes et les Anglais" ("Lapdogs and Englishmen" en version originale) est un bijou ; Azzarello imagine une farce macabre très convaincante, avec des moments drôles (pas toujours fins), qui se déroule en 1978, à l'époque où Constantine jouait encore dans le groupe punk "Mucous Membrane". Elle sent la pinte de bière, mais l'urine aussi. S'immergeant dans l'ambiance, le lecteur a l'impression d'entendre l'accent cockney résonner dans le pub au fil des phylactères. Le second, "Highwater" ("Highwater"), montre à quel point l'interprétation - voire la relecture à des fins de propagande - de textes religieux s'avère nocive, surtout lorsque c'est sous l'angle du prêche haineux comme c'est le cas ici. De jeunes néonazis tuent le temps au bar du coin et trempent dans des affaires louches dont ils ignorent bien des aspects. Pendant ce temps, des figures tutélaires assurent l'embrigadement de leur progéniture. Mineurs, les deux récits suivants préparent au plat de résistance : "Cendres et poussières dans la cité des anges" ("Ashes and Dust in the City of Angels"). Reconnaissons à Azzarello une capacité à penser ses intrigues sur la longueur, car "Cendres et poussières" est la conclusion de l'intrigue démarrée en ouverture du tome un. Hélas, l'auteur s'échine à pousser la subversivité de Constantine aussi loin que possible. Il n'en ressort que des dialogues abscons et sibyllins autour de la religion ou la sexualité, dans lesquelles les interlocuteurs semblent voués à s'exprimer de façon maniérée en abusant de métaphores et de figures s'avérant toujours plus pénibles et indigestes au fil des pages. Le personnage de Stanley Manor aurait pu être intéressant, comme le jumeau maléfique de Constantine. Mais il y a un décalage entre ce déballage grotesque, la mesquinerie des protagonistes et la perception qu'a le lecteur du personnage de Constantine. C'est un arc sans effet, dénué de suspense et d'émotion, plus vulgaire que subversif, et d'autant plus banalisé par un surnaturel qui n'est présent que par petites touches discrètes. 
Avec ses dessins semi-réalistes, Davis contribue grandement à la réussite du premier arc. Il parvient à retranscrire toute la juvénilité (sans péjoration) de l'histoire, ses éclats de rire et son énorme facétie. Le lecteur apprécie la densité de détail et essaie d'ignorer les arrière-plans réduits à une couche de couleur unie. De toute façon, ils ne sont pas trop nombreux : en moyenne, moins d'un par planche. L'influence d'Eduardo Risso sur le travail de Frusin demeure flagrante (tout est dans les ombres et les contrastes), mais le style de l'artiste a sa personnalité qui lui est propre. Le rictus carnassier presque figé dont il affuble Manor pourra néanmoins agacer. Le travail de Camuncoli est dans une veine similaire, en plus anguleux et plus exagéré dans l'expressivité, sans doute plus proche d'une certaine école moderne de cartoon
La traduction est effectuée par Philippe Touboullà aussi. Il y a de bonnes choses ; notons cependant une ponctuation manquante, une faute d'accord et une de mode.

Malgré quelques histoires franchement bien troussées, le lecteur aura l'impression que la vision qu'Azzarello a de Constantine consiste principalement à lui faire cocher les cases de la subversivité. Cela suscitera l'ennui chez certains, qui déploreront que les runs d'auteurs majeurs sur le titre glissent toujours vers le même thème. 

Mon verdict : ★★☆☆☆

Barbüz
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Constantine, Chas Chandler, Gary Lester, Angie White, Marjorie Fermin, Major Ellison Gage, Stanley Manor, Agent spécial Frank Turro, Vertigo

2 commentaires:

  1. Une autre série (Brian Azzarello présente Hellblazer) rapidement lue et ananlysée.

    Je me souviens que j'avais lu des critiques qui correspondaient à ta conclusion : Azzarello choisit le principe de la surenchère pour cocher le plus de cases possibles de la subversivité.

    Je suis allé chercher mon commentaire pour ces épisodes, car ma mémoire s'est effilochée, et j'ai (re)découvert qu'il date de 2010 :

    Les précédents tomes écrits par Azzarello étaient agréables à la lecture, mais il leur manquait un petit quelque chose pour être inoubliables. Est-ce de savoir qu'il allait bientôt achever son récit ? Est-ce qu'il avait trouvé le bon ton pour ces récits ? Toujours est-il que la première histoire surprend par une profondeur inattendue. Azzarello ne se contente pas de nous servir un énième gang pronazis. Le premier épisode raconte l'histoire majoritairement en image pendant que les cases de texte déroulent la logique doctrinaire qui justifie les actions de ces croyants en une race supérieure. Du coup, Constantine ne s'oppose à une groupe de grosses brutes mal définies, mais à une idéologie dont il utilise les failles.

    L'épisode 168 aborde de front la question des pratiques sexuelles de John Constantine. Il semble logique qu'un individu comme lui ne se soit pas contenté de la position du missionnaire. Cet épisode est à la fois un jeu de provocation avec le lecteur sur les pratiques de Constantine, et aussi une épreuve de force entre Constantine et Turro.

    Et puis pour la dernière histoire, Azzarello fait preuve d'une ambition que je ne lui connaissais pas. Il continue à creuser le thème des pratiques sexuelles en situant le décès de Constantine dans un club sadomaso. Et il utilise une structure narrative complexe avec 2 fils narratifs différents au présent et 2 autres dans le passé, sans perdre son lecteur.

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    1. Je vois que tu as décelé bien plus de qualités que moi dans ces numéros et que tu vas jusqu'à cinq étoiles. Pas possible pour moi, bien que j'aie un moment hésité entre deux et trois. Vu l'effort que la lecture de "Ashes and Dust" m'a demandé, je n'ai pas pu me résoudre à pousser jusqu'à trois.

      Il semble logique qu'un individu comme lui ne se soit pas contenté de la position du missionnaire. - C'est bien vu, mais je préfère le Constantine fou d'amour (pour Kit) d'Ennis que l'amateur de pratiques SM d'Azzarello. Je trouve plus de sens dans le premier, où Constantine est un fou d'amour, que dans le second, où il est fou de plaisir. Pour moi, il y a un décalage qui ne colle pas à l'idée que je me fais du personnage.

      Prochaine étape (bientôt) : Mike Carey.
      (Et non, je n'oublie pas "Xoco", je l'ai lu une première fois, je dois le relire.)

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