lundi 18 mars 2024

Buck Danny - Origines (tome 1) : "Le Pilote à l'aile brisée" (Dupuis ; janvier 2022)

Intitulé "Le Pilote à l'aile brisée", cet album est le premier tome du diptyque "Buck Danny - Origines", une minisérie dérivée de "Buck Danny", parue chez Dupuis entre 2022 et 2023. Le premier volet est sorti en janvier 2022 sous la forme d'un recueil relié (dimensions 24,1 × 32,0 centimètres ; couverture cartonnée) qui compte quarante-six planches, toutes en couleurs. 
Le scénario est écrit par Yann (Le Pennetier), auteur des séries "Dent d'ours" (2013-2018) et "Angel Wings" (2014-2023) entre autres ; "Buck Danny" n'est donc pas sa première incursion dans la bande dessinée d'aviation de la Seconde Guerre mondiale. Giuseppe De Luca produit les dessins (les crayonnés et l'encrage) ; il est connu pour "Les Enragés du Normandie-Niémen". Le personnage de Buck Danny ne lui est pas étranger, l'Italien avait participé au hors-série "Histoires courtes - 1968-2020" (chez Dupuis, en septembre 2020). Et pour terminer, la mise en couleurs a été confiée à Ketty Formaggio et Valeria Romanazzi

Juin 1942, à New York. Un DC-3 arborant la cocarde des États-Unis se prépare à atterrir sur l'aéroport La Guardia : quelques pilotes en descendent, tous en uniforme et portant leur barda. Parmi eux, Buck Danny, qui essaie de réconforter Dickie, l'un des camarades. Un autre aussi : pour Dickie, "le casse-pipe est définitivement terminé". Buck continue : après sa "glorieuse blessure" lors de la bataille de Midway, Dickie mérite bien d'être démobilisé. En plus, il revient entier et décoré d'une Silver Star. L'autre en rajoute : lui n'a ramené que la dysenterie et la malaria, et il n'a que trois jours de permission. Buck insiste : leurs camarades ont raison. Ayant hâte de retrouver sa mère et son petit frère, il prend congé de Dickie, qui acquiesce : "La famille, c'est sacré". Mais il n'oublie pas le devoir pénible qui l'attend : annoncer aux parents de son coéquipier que leur fils a disparu et leur raconter sa dernière mission. Il préférerait "mille fois encore affronter les Japs". Buck se fait déposer chez ses parents en taxi. Le chauffeur encourage Danny à profiter de sa permission : "Ça a l'air de sacrément chauffer là-bas"... 

Nouveau titre dérivé pour Buck Danny, ce pilote dont les aventures fascinent les lecteurs depuis plus de soixante-quinze ans. Alors que deux autres séries sont en cours au même moment ? Relativisons, car il s'agit d'une minisérie aussi réduite que possible : deux tomes. Et puis Yann n'est pas le premier venu. Les raisons pour lesquelles Dupuis lui a confié ce projet sont évidentes : sa notoriété, sa prolificité et son intérêt pour l'aviation de la Seconde Guerre mondiale, confer les titres cités plus haut à son actif. Yann n'oublie pas que "Buck Danny" est une série qui mêle guerre, aventures et exotisme. Son diptyque n'échappe pas à la règle. L'action se déroule quelques jours après Midway. Le Japon a subi un coup d'arrêt définitif et les tactiques de combat des pilotes de l'US Navy contre les Mitsubishi A6M "Zero" commencent à s'avérer efficaces. Les férus de joutes aériennes seront satisfaits ! Dans ce contexte, Yann imagine des péripéties dans lesquelles l'aviateur s'illustrera par son courage, son sens de l'initiative et sa débrouillardise. Il est envisageable que l'auteur ait été inspiré par les tribulations d'un autre pilote célèbre, Gregory "Pappy" Boyington (1912-1988). Autre chose : la caractérisation de l'ennemi gagne en profondeur, un bon point. Mais l'objectif est surtout de revenir sur des aspects encore peu traités, la famille et la relation au père. Yann procède en évoquant certains moments importants de la jeunesse de Buck, le film "King Kong" (1933), les magazines sur l'aviation, la sévérité du père, les bagarres et ce geste malheureux sur la fille du patron. La notion de classe est présente : de la modestie des Danny au rapport de force en leur défaveur. Mais c'est surtout le patriotisme de la mère de Buck, simple, vibrant et émouvant, qui touchera invariablement le lecteur s'il est sensible à cet argument ; Yann a compris la puissance de ce sentiment chez les classes laborieuses à l'époque et évite l'écueil de l'aborder par un prisme trop français. Autre thème important : celui des occasions perdues de se réconcilier avec un être cher. La somme demeure équilibrée et cohérente, malgré les ellipses au couteau et une narration au compresseur. Les dialogues souffrent d'un tic d'écriture de Yann, l'abus d'interjections en anglais ("Gee", "Damn", "Hell"), qui s'avèrent agaçantes au fil des pages (comme dans "Angel Wings"). 
De Luca compose une partie graphique qui s'inscrit dans le registre de la bande dessinée d'aventures franco-belge des années cinquante et soixante. L'exercice de style est globalement réussi, le trait est fin et élégant, les vignettes sont soignées et détaillées (le salon des Danny, la salle de briefing, le pont de l'USS Enterprise lors de la cérémonie) et la mise en page, bien que traditionnelle, n'empêche en rien les scènes spectaculaires. Les avions sont splendides. De Luca ne singe pas le style de Victor Hubinon (1924-1979), mais une légère raideur se retrouve chez l'un et l'autre. L'Italien, en revanche, exagère l'expressivité ; Buck a trop souvent l'air hagard. Notons le clin d'œil au personnage de Lady X en planche 31. La mise en couleurs est irréprochable. La cocarde du DC-3 (planche 1) n'a été d'application qu'à partir de 1947. 

Dans l'ensemble, le premier volet de ce diptyque de type "origines" est plutôt réussi ; le récit qu'il propose est intéressant. Cette histoire s'adresse peut-être davantage à ceux qui ont envie de redécouvrir un personnage qu'ils connaissent de nom sans forcément en avoir lu les aventures par Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz, pour ASKEAR
Copyright © 2014 Les BD de Barbüz

Capitaine Buck Danny, Walter Danny, Madame Danny, Microbe, USS Enterprise, Grumman F4F Wildcat, Aichi D3A "Val", Mitsubishi A6M "Zero", Kawanishi H8K "Emily", I-47, Douglas SBD Dauntless, Dupuis, Askear

2 commentaires:

  1. Aaaah ! Le retour de tes articles : un vrai plaisir que d'élargir ainsi mes horizons de lecture, grâce à une analyse d'une BD que je ne tenterais pas de moi-même.

    Rien qu'en lisant le début du récit, on sent que le scénariste utilise les repères historiques avec une bonne maîtrise, et pas juste superficiellement comme un artifice. Même si...

    La cocarde du DC-3 (planche 1) n'a été d'application qu'à partir de 1947. - Total respect : j'aurais été totalement incapable de détecter un tel anachronisme. Je me demande si cette erreur a échappé à Yann, ou s'il n'a pas relu les planches.

    Gregory "Pappy" Boyington (1912-1988) ! - Je ne m'étais jamais demandé s'il s'agissait d'un personnage réel, j'en étais resté à Robert Conrad et à la série Les Têtes brûlées.

    Beaucoup de thèmes : la famille et la relation au père, des expériences marquantes de jeunesse (King Kong, les magazines sur l'aviation, la sévérité du père, les bagarres, un geste malheureux sur la fille du patron), la notion de classe, le patriotisme, les occasions perdues de se réconcilier avec un être cher, voilà qui fait une histoire déjà bien dense.

    Une narration visuelle traditionnelle et des scènes spectaculaires : ça me rappelle une de test remarques sur la ligne claire (Comment peut-on s'en lasser ?) et je me dis que je lis toujours avec plaisir une bande dessinée aux pages classiques.

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    1. Une BD que tu n'aurais pas tenté - Eh bien moi non plus, mais Askear m'a passé commande. C'était le seul dénominateur commun entre leur liste (j'étais aussi partant pour "Hacendado", le tome 2 de "Hawkmoon" ou "Immportal Hulk") et la mienne.

      La cocarde - Pour un fana d'aviation et ex-modéliste, ça me paraît normal. Je ne pense pas que c'est à Yann que ça ait échappé, plutôt à De Luca, je suppose.

      Pappy Boyington - Figure-toi qu'il a même écrit une autobiographie, qui a été traduite en français. Je ne l'ai pas lue et je le regrette un peu, d'autant plus qu'elle est aujourd'hui indisponible ou vendue trop chère.
      https://www.babelio.com/livres/Boyington-Tete-brulee/1223401

      toujours avec plaisir une bande dessinée aux pages classique - Effectivement, la ligne claire, on ne s'en lasse pas. Pas moi, en tout cas. C'est un peu comme une valeur refuge lorsque j'en ai marre des comics ou des manga ou que je sature. Dans ces moments-là, je reviens à la ligne claire et l'envie demeure.

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