jeudi 11 avril 2024

"X-O Manowar" : Tome 2 (Bliss Comics ; octobre 2022)

Cet ouvrage est le second tome d'un diptyque qui rassemble les neuf numéros de la cinquième saison éditoriale (volume) de "X-O Manowar". Paru chez Bliss Comics - petit éditeur bordelais - en octobre 2022, cet album comprend les "X-O Manowar" #5-9, sortis entre août et décembre 2021 en version originale chez Valiant. Il compte précisément cent planches, toutes en couleurs. À la fin de ce recueil viennent s'ajouter onze pages de bonus, dont des variantes de couvertures et des planches en noir et blanc. 
Ces quatre numéros ont été écrits par le scénariste Dennis Hopeless (Dennis Hallum de son vrai nom) ; Hallum s'est fait connaître en travaillant sur quelques franchises Marvel de premier plan. Emilio Laiso réalise les crayonnés. Ce Campanien a principalement dessiné pour des titres "Star Wars" (et Marvel). Ici, contrairement au premier tome, il confie ses planches à un encreur : Raffaele Forte. Un autre artiste participe à plusieurs séquences du #8Jim Towe. À la mise en couleurs, l'Irlandaise Ruth Redmond

Précédemment, dans "X-O Manowar" : assisté par Whitaker, Aric combat l'essaim de nanites sous l'eau. Celui-ci a gagné en masse. Il malmène Aric, qui se défend avec ardeur. Sous la pression et les coups, la visière de Shanhara commence à se fendiller.
Aric est sur le point de s'évanouir. Il ne se souvient pas de la dernière fois qu'il s'est entendu penser. "Les bavardages irritants" de Shanhara, "les données et les chiffres", "le jugement et la stratégie". Ça lui bourdonnait dans les oreilles, mais le faisait avancer. Maintenant, son monde est devenu silencieux, l'essaim de nanites est en train de le dévorer vivant. "Un homme qui passe trop de temps dans ses pensées se fait prendre". Et là, il est pris. Il aperçoit alors l'épave d'un submersible russe, couchée sur le flanc. Il l'attire à lui avec les pouvoirs de son armure ; cela provoque une explosion suffisamment puissante pour repousser l'ennemi. Aric est alors projeté hors de l'eau. Surveillant la scène depuis son module, Whitaker récupère le corps d'Aric, qui crache l'eau de ses poumons et reprend connaissance aussitôt. Mais la créature, menaçante comme jamais, n'a pas été éliminée pour autant... 

Dans cette suite et fin, Hallum exploite la notion de singularité : un futur où progrès technologique et intelligence artificielle deviendront si avancés qu'ils dépasseront la capacité de compréhension de l'être humain et généreront des bouleversements sociétaux imprévisibles et radicaux. Pour résumer cette intrigue, l'antagoniste va se servir de Shanhara pour provoquer ce phénomène puis chercher à le maîtriser en vue de parvenir à améliorer l'humanité. Il s'agit là d'énièmes variations sur les thèmes 1) du génie scientifique plus visionnaire que méchant qui s'approprie le pouvoir de reformater l'humanité à sa guise, 2) du chemin de l'enfer pavé de bonnes intentions, et 3) de l'impact du virtuel sur le réel et de la porosité croissante de la frontière entre les deux univers. En plus de cela, le scénario explore d'autres axes secondaires : la relation Aric-Shanhara-Troy, sur un modèle inspiré du trio amoureux, et le parcours des autres personnages, principalement Tina et son fils Desmond. Confronter une amure tangible extraterrestre à un reflet numérique terrien était une idée qui méritait d'être examinée. Mais pour y parvenir, Hallum a pensé qu'un approfondissement de l'incarnation de Shanhara était nécessaire. Et donc après l'avoir réduite à un vulgaire appareil connecté susceptible de subir une mise à jour informatique, voilà que l'auteur lui donne un visage et un corps humanoïdes, à l'instar de ceux d'une adolescente ; l'aura mystique de l'armure est ainsi complètement dissipée. Passons de plus sur les rôles attribués aux personnages secondaires : de la mère, cantonnée à de la pure figuration, au fils de treize ans, qui sauve le monde, ou presque. Le spectacle est au rendez-vous, les évènements sensationnels s'enchaînant, entre accidents et destructions de monuments iconiques (l'Arc de Triomphe). Cela confirme la légèreté du ton du premier tome et - peut-être - la volonté de reconnecter la franchise à un public plus jeune. Mais entre questions sans réponses (ces séparatistes ukrainiens), analepses et verbiage teinté de vocabulaire issu du jeu vidéo (exemple : "nerfer"), ce tome présente trop souvent une conclusion aussi peu inspirée que touffue. 
En cela, le scénario n'est pas aidé par la partie graphique. D'abord, il y a la question du style : malgré une volonté permanente de dynamisme, ces dessins (qu'il s'agisse de Laiso ou de Towe) sont sans grande originalité, voire banals. Ils ne sortent aucunement du lot de la production actuelle, d'autant que la qualité des finitions est très irrégulière. La clarté n'est pas non plus leur grande qualité ; les premières planches du #5 ne sont pas vraiment limpides, par exemple. Ce cas est isolé dans le recueil, mais quand même : ça commence mal, convenons-en ! Les compositions de Laiso et de Towe dans les derniers numéros ont des airs de déjà-vu en cela qu'ils rappellent invariablement le film "Tron" (1982), de Steven Lisberger ; il faudra certainement voir cela comme un hommage, mais le rendu a un aspect indéniablement daté. 
La traduction est effectuée par Florent Degletagne, comme dans le tome un. Le résultat est exemplaire et le travail sur le texte est irréprochable, ni faute ni coquille.

L'amateur, s'il est un minimum exigeant, ne pourra en aucun cas être pleinement satisfait de ce run ; car les auteurs départissent le titre de sa noirceur et de son côté épique, le privent de sa facette space opera, démythifient Shanhara et suivent une direction grand public insipide qui véhicule un peu tous les poncifs du genre. 

Mon verdict : ★★☆☆☆

Barbüz
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X-O Manowar, Aric de Dacie, Shanhara, Troy Whitaker, Essaim de nanites, Tina Morris, Desmond Morris, Valiant Comics

2 commentaires:

  1. Deux étoiles : la messe est dite.

    Hallum exploite la notion de singularité : Pourtant, ça partait bien comme idée de base, avec les trois thèmes que tu développes ensuite. Ils m'ont également fait penser à la créature qui échappe à son créateur (le monstre de Frankenstein).

    L'aura mystique de l'armure est ainsi complètement dissipée : y verrais-tu une trahison ou un contresens quant à ce personnage Shanhara ?

    Nerfer : merci pour ce mot qui vient enrichir mon vocabulaire, et pour le lien qui m'a permis de découvrir son sens.

    Les dessins sans grande originalité, voire banals, ne sortent aucunement du lot de la production actuelle, la qualité des finitions est très irrégulière, la clarté n'est pas non plus leur grande qualité […] : ça donne l'impression de l'éditeur a embauché des petits jeunes pour réduire les coûts de production.

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    1. Effectivement, l'idée était intéressante. En fait, pour élargir le débat, je trouve que les scénaristes de comics pèchent souvent par un manque d'utilisation des nouvelles technologies. L'humanité augmentée, les objets connectés, l'intelligence artificielle... tout cela est maladroitement exploité, je trouve, dans les comics. Je trouve que sur cet aspect-là il y a beaucoup plus d'imagination dans les mangas.

      L'armure - Pour moi, c'est une trahison. Que dis-je : une hérésie ! Ma réaction m'a rappelé certains commandements religieux sur les icones et les interdictions de représentations. Je dois être un iconoclaste au sens propre, voire pire : un ayatollah de "X-O Manowar".

      Je n'ai pas raffolé des dessins, c'est certain, mais je leur reconnais une force : ils collent à l'esprit du scénario.

      Maintenant, j'aimerais que Bliss traduise "Unconquered" pour ne pas rester sur cette cinquième saison. Mais en attendant, j'ai aussi "Le Châtiment d'Aric" qui m'attend sagement.

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