"Le Dernier Spartiate" est le septième tome de la série créée par le Français Jacques Martin (1921-2010) en 1948. Cette histoire est d'abord prépubliée dans l'édition belge du "Journal de Tintin", entre août 1966 et février 1967, puis Casterman (la maison a repris "Alix" à Le Lombard en 1965 et a réédité les cinq premiers tomes entre 1965 et 1973) l'édite en album en 1967. Cette bande dessinée comprend soixante-deux planches.
Martin est également célèbre pour d'autres séries, telles que "Lefranc", ou "Jhen". En 1991, il est hélas diagnostiqué d'une dégénérescence maculaire qui le rend quasiment aveugle et l'éloigne des tables de dessin dès l'année suivante. Il délègue alors le dessin à d'autres artistes et se fait assister à l'écriture.
À l'issue du tome précédent, Alix et ses compagnons sont secourus par César lui-même Les sixième et septième légions d'Horatius ont été dévastées par des tribus en révolte. Le complot de Pompée a cependant échoué. Alix offre une sépulture à Agérix, qu'il enterre et, avec lui, la fameuse épée de Brennus.
Ce matin-là, la côte ionienne vient d'essuyer une tempête. Les rayons du soleil percent les derniers nuages. La mer est redevenue calme. Alix gît au sol, inerte, au fond d'une crique. Il est réveillé par la lumière. S'interrogeant sur ce qu'il fait là - il ne s'en souvient pas - il se met en marche. Ses vêtements sont en lambeaux et il éprouve des difficultés à retrouver ses esprits. Après un effort, il lui revient qu'il naviguait sur le Mercure, en compagnie d'Enak et d'autres. Le sommet de la crique offre une vue dégagée sur une plage. Le sable est parsemé de restes d'épaves, dont celle d'un navire qui achève de se consumer. Alix s'en approche et reconnaît ce qu'il subsiste du Mercure. Malgré une terrible migraine qui rend la tentative douloureuse, il replonge dans les méandres fragmentés de sa mémoire. Voilà ! Il se souvient ! Invités par le général Horatius en Grèce, Enak, lui et les autres avaient embarqué à Brindisium...
"Le Dernier Spartiate" est assurément l'un des plus grands albums de la série. Martin commence à intégrer des femmes dans ses intrigues : enfin ! Et pour son premier personnage féminin qui tient un rôle d'importance, la réussite est pleine ! On a ainsi - en la personne d'Adréa - une reine et mère aussi forte que fragile, autoritaire, tout en ayant parfois des difficultés à contrôler la promptitude machiste des guerriers dont elle est entourée. Bien qu'elle sache faire preuve de miséricorde, Adréa peut se montrer tout autant inflexible, voire sans pitié. C'est un personnage investi de sa mission, plus passionné que hiératique, mais conscient de la dignité qu'exige son rang. La souveraine de cette petite cité est déroutante, touchante, dotée d'une psyché particulièrement approfondie ; il s'agit du meilleur second rôle depuis le début de la série. Alix, de son côté, surprend en révélant un caractère farouche, dur comme celui de la reine. Entre les deux, le général Alcidas, lui aussi passionné, mais cruel, narcissique et tyrannique. Ses traits ne sont pas sans rappeler ceux de l'Axel Borg de "Lefranc". L'officier représente une incarnation type de l'adversaire d'Alix, avec un physique et un caractère typiques que l'on retrouvera dans "Le Tombeau étrusque". L'ensemble forme un triangle amoureux peu commun, les sentiments d'Adréa à l'égard d'Alix étant ambivalents et mal définis, certainement par volonté de l'auteur. Enak, lui, est toujours le boulet de service. Martin commence à aborder l'esclavage, sans doute avec un clin d'œil à Spartacus. Il évoque également toutes ces civilisations (partiellement) détruites - ou en tout cas conquises - par Rome, dont certaines veulent renaître (une idée que l'on trouve déjà dans "Le Sphinx d'or" et qui revient dans "Le Tombeau étrusque"). Les scènes-chocs sont nombreuses, les dialogues et les répliques, fameux. Cet excellent album est un chef-d'œuvre, bien que Martin fasse durer l'introduction un peu trop longtemps. Graphiquement, c'est superbe. Le découpage de l'artiste n'évolue pas ; on est toujours sur une moyenne de trois à quatre bandes par planche et de trois à quatre cases par bande. Martin n'hésite plus à produire de gros plans de visages. Les scènes d'action (l'insurrection !) sont spectaculaires. Ce soin maniaque que le dessinateur apporte aux paysages, bâtiments ou aux magnifiques uniformes (la Garde noire !) est un vrai ravissement.
"Le Dernier Spartiate" est un véritable petit bijou, un grand moment de bande dessinée, produit par un Martin décidément inspiré, du genre qui laisse une empreinte sur une série. Un classique, et l'un des meilleurs épisodes du titre. À lire et à relire.
Mon verdict : CHEF-D'ŒUVRE
Barbuz
Martin commence à intégrer des femmes dans ses intrigues. - L'absence ou la faible représentation des femmes dans les BD franco-belges de cette époque (Tintin, Blake & Mortimer) m'étonne. Je me rends compte que cette absence ne m'avait pas marqué lorsque je les lisais étant jeune, mais qu'elle m'apparaît plus maintenant. J'en suis toujours à me demander si c'était un choix conscient des auteurs, si c'était une habitude que personne en songeait à remettre en question parce qu'il était entendu que le lectorat était 100% masculin, ou s'il pouvait s'agir d'une consigne éditoriale.
RépondreSupprimerPour moi, nul doute que cela est dû à la loi sur les publications destinées à la jeunesse de 1949.
Supprimerhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_du_16_juillet_1949_sur_les_publications_destin%C3%A9es_%C3%A0_la_jeunesse
Merci pour cette référence dont je ne suis pas familier. J'avoue qu'à la lecture de l'article de wikipedia, je n'arrive pas à me faire une idée de l'ampleur de l'autocensure qu'il peut générer, même en essayant d'établir un comparatif avec le Comics Code Authority dont je suis plus familier.
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