"La Forteresse invisible" est le dix-neuvième tome de "Thorgal". Sorti chez Le Lombard en novembre 1993, c'est le second volume du Cycle de Shaïgan-sans-Merci - à ce jour, le plus long.
L'histoire est de Jean Van Hamme, qui reste le scénariste de la série jusqu'en 2007, date à laquelle il se retire. Couverture, dessins et encrage ont été réalisés par Grzegorz Rosinski, toujours dessinateur du titre à ce jour. La mise en couleurs est signée Graza Kasprzak. L'album compte quarante-six planches.
À l'issue du tome précédent, Orgoff est renversé. Thorgal jette l'arme d'Ogotaï, récupère ses affaires chez le fermier qui l'a trahi, et il reprend la route. Kriss de Valnor s'invite à ses côtés.
Thorgal est revenu. Aaricia, souriante, l'attend. Elle tient Louve, leur petite fille, dans les bras. Elle est entourée de Jolan et de son chien Muff. Thorgal prononce leur nom, mais reste étrangement immobile et inexpressif. Le garçon court vers son père, lorsque le sol s'ouvre brusquement devant lui ; le gamin et son animal s'arrêtent juste à temps. Derrière Aaricia, une grande ombre noire apparaît, menaçante. Thorgal essaie de les prévenir, mais l'ombre pousse les êtres aimés dans la crevasse bouillonnante. Le Viking se réveille en sursaut ; ce n'était qu'un cauchemar. Il fait sa toilette dans la rivière et se rase, tandis que Kriss de Valnor, qui vient de s'éveiller, le raille ; il a encore fait le même vilain rêve, l'expression de la culpabilité qu'il éprouve à l'égard de son épouse. Pourquoi a-t-il donc quitté sa petite princesse blonde ? Thorgal rétorque qu'elle ne pourrait comprendre, mais Kriss réplique que personne ne croirait cette histoire de malédiction. La vérité, ajoute-t-elle narquoise, c'est que Thorgal en avait assez de la vie de famille et qu'il est parti pour retrouver la liberté. Son compagnon de voyage lui ordonne de se lever et de s'occuper de feu pendant qu'il ira chasser. Deux hommes armés, à la mine patibulaire, les observent, dissimulés derrière un buisson...
Dans "La Forteresse invisible", Thorgal, qui en a déjà tant vu, devra encore repousser les limites de ses croyances et accepter que l'impossible puisse se réaliser. "La Forteresse invisible", c'est l'histoire d'un désir, d'une culpabilité et d'un sacrifice. Le désir, c'est celui qu'éprouve Thorgal. Il n'aspire qu'à retrouver sa famille et ses enfants, à vivre en toute quiétude, en toute tranquillité, à être oublié des dieux pour jouir d'une vie "normale", entouré des siens. C'est en tout cas ce qu'il prétend, car la sémillante Kriss de Valnor a une interprétation de ses rêves qui est diamétralement opposée à la sienne. Sûre d'elle, la belle archère n'hésite d'ailleurs pas à proposer au taciturne Viking un road-trip sanglant façon Conan-Bêlit dans "La Reine de la côte noire" (confer planche 6), avec pouvoir et richesses à la clé. Van Hamme joue de cette dichotomie avec art, et insinue le doute dans l'esprit du lecteur ; après tout, se pourrait-il que Thorgal ne soit qu'un menteur hypocrite ? Suite à cette offre, l'Enfant des étoiles, telle une girouette, décide brusquement de rentrer chez lui et de retrouver les siens, mettant ainsi à mal l'archétype du héros résilient. Puis vient la culpabilité, celle qu'il devra affronter sur le chemin de la délivrance ; elle est entretenue par les siens, qu'il a abandonnés pour leur épargner l'intérêt des dieux, par tous ces compagnons morts à ses côtés, mais aussi par ses adversaires, qui ont fini par le payer du prix de leur vie. Pour le lecteur, cette succession de pages pourra susciter un certain ennui ; car Van Hamme, comme il le fait dans son autre série phare, "XIII", optimise sa mythologie en ne cessant de remettre en scène des personnages et des lieux de récits ou de cycles précédents. En dernier lieu vient le sacrifice, celui lors duquel Thorgal accepte de renoncer à tout ce qui le définit pour préserver les siens ; le Viking fait preuve d'une abnégation trop immédiate pour être entièrement crédible. Le clou de l'album est sa fin, au bout du compte : Kriss obtient ce qu'elle désirait, tandis que pour l'Enfant des étoiles, c'est la page blanche, avec toutes les possibilités que cela implique pour un scénariste tel que Van Hamme. Graphiquement, c'est d'un classicisme abouti. Rosinski maîtrise le découpage, l'équilibre entre narration et action, et le dosage de la deuxième. Il n'hésite pas à mettre en scène la nudité de Kriss. Il propose plus de portraits qu'habituellement.
"La Forteresse invisible" est sauvé par son dénouement. Van Hamme a-t-il pioché dans "XIII" pour renouveler son inspiration et tenter de relancer un titre qui vivait sur ses deux fameux cycles ? Espérons que la conclusion sera exploitée pour le meilleur.
Optimiser sa mythologie en ne cessant de remettre en scène des personnages et des lieux de récits ou de cycles précédents - Une observation très éclairante sur les choix qui s'offrent à un scénariste dans une série longue : continuer sans cesse à explorer de nouveaux territoires, ou approfondir et détailler de plus en plus précisément les territoires défrichés. Je me souviens d'une ou deux séries manga proposant un point de départ immédiatement accrocheur, et ne faisant apparaître les enjeux globaux qu'en ne prenant progressivement de la hauteur.
RépondreSupprimerOui. Ici j’ai davantage de recul, car j’ai fini « XIII » il y a quelques mois seulement. Et donc, le mécanisme par lequel Van Hamme exploite ses séries me paraît plus évident.
SupprimerLes vacances ont été bonnes :-) ?
Excellentes vacances, je te remercie : 3 semaines passées à découvrir le Danemark. Et toi ?
SupprimerPas grand-chose, voire rien de mon côté ; changement de statut, nouvel employeur... Peut-être une semaine en octobre, de préférence au soleil. Ça ira mieux l'an prochain !
SupprimerTrois semaines au Danemark ! Non seulement, tu as dû en avoir un aspect exhaustif, mais en plus j'imagine que le temps s'est maintenu et que ça a été réussi.