dimanche 10 juin 2018

Blake et Mortimer (tome 4) : "Le Mystère de la Grande Pyramide" (Le Papyrus de Manéthon) (Blake et Mortimer ; mai 1954)

"Le Mystère de la Grande Pyramide" est le second récit (du point de vue de l'historique de publication) de la série des "Aventures de Blake et Mortimer". Il a d'abord été prépublié dans l'édition belge du "Journal de Tintin", du 5 janvier 1950 (nº1) au 28 mai 1952 (nº22). La maison Le Lombard éditera  ensuite cette saga dans une version retravaillée par Edgar P. Jacobs (dessins et texte) en deux tomes (1954 ; janvier 1955).
L'histoire a été entièrement produite par Edgar P. Jacobs (1904-1987), véritable légende du neuvième art, hélas trop peu prolifique ; il ne réalisera que onze albums pendant ses quarante-cinq ans de carrière. Jacobs collabora aussi avec Hergé sur "Tintin au Congo", "Tintin en Amérique", "Le Sceptre d'Ottokar", "Le Lotus bleu", "Les Sept Boules de cristal", "Le Temple du Soleil" pour dessiner notamment des décors ou du matériel.

23h40. Un Lockheed Constellation en provenance de Londres approche les côtes égyptiennes. Le professeur Ahmed Rassim Bey, le conservateur du Musée égyptien du Caire, se trouve à l'aéroport. Il s'enquiert de l'arrivée du vol de Londres ; un policier lui répond qu'il atterrira dans quinze minutes. À bord de l'avion de ligne, Mortimer et Nasir devisent. Mortimer est en vacances. Il a hâte de revoir son ami Ahmed Rassim, qui l'a invité à participer au déchiffrement de ses dernières trouvailles, dont une découverte importante ignorée du public. Pendant ce temps, au Caire, deux personnages dont les visages restent dans l'ombre conversent par téléphone. Le premier, qui s'annonce sous le prénom ou le diminutif de Ben, informe le second que Rassim s'est rendu à l'aéroport pour accueillir un ami, le professeur Mortimer, vers minuit. L'autre répond qu'il avisera et qu'il avertira Ben par la voie "K" s'il y a du nouveau. À bord du Constellation, l'hôtesse demande aux passagers d'attacher leurs ceintures. Mortimer, impatient de mettre pied à terre, se chargera des passeports, tandis que Nasir récupérera les bagages. L'avion amorce enfin sa descente...

Cette première partie est intitulée "Le Papyrus de Manéthon". Parlons d'abord contexte, car à la même époque, les deux autres représentants de l'école de Bruxelles se distinguent : Hergé produit les premières planches du visionnaire "On a marché sur la Lune", et Martin continue l'écriture du "Sphinx d'or", une nouvelle aventure d'Alix lancée une année plus tôt. Dans ce "Papyrus de Manéthon", trois ans se sont écoulés depuis la Troisième Guerre mondiale. Jacobs opère un virage à cent quatre-vingts degrés : adieu la course à l'armement, les grands mouvements de troupes, les scènes de guérilla ou la guerre totale, voici la chasse au trésor, les contrebandiers sans scrupules, et les mystères et les secrets de l'Égypte antique, l'une de ces trois civilisations légendaires évoquées dans l'œuvre de Jacobs, avec le peuple du prince Nazca, inspiré des Incas, dans "Le Rayon U", et les Atlantes dans "L'Énigme de l'Atlantide". Cet album est remarquablement conçu. Jacobs commence ce diptyque avec une double page d'introduction au ton à la fois docte et respectueux ("ami lecteur") qui révèle, d'emblée, tous les talents de conteur du maître, et après laquelle le lecteur est impatient de se plonger dans l'intrigue. Une intrigue dans la tension monte rapidement et en paliers ; au stade des soupçons et des filatures succède une phase d'action digne des grands films de gangsters de l'époque, suivie par une dernière section presque hitchcockienne, dans une ambiance d'espionnage et de guerre froide, avec une fin absolument pétrifiante. Et, toujours, ce contrôle accompli et inégalé du dialogue très fourni et de la vulgarisation scientifique. Graphiquement, c'est magnifique. L'artiste produit, en moyenne, une douzaine de cases par planche dans un découpage classique parfaitement lisible. Quelques scènes choisies : la partie de cache-cache dans le musée et ses contrastes entre ombre et lumière, ou encore l'attaque de la boutique de Youssef Khadem. La représentation des grands monuments est remarquable (voir Mortimer à cheval au pied de la pyramide). L'influence Hergé et de l'univers de Tintin est perceptible et se fait particulièrement sentir dans le design de certains personnages secondaires ou de figurants. La mise en couleurs est impeccable. L'accentuation est totalement absente du lettrage des cartouches, dans cette édition en tout cas. Cela a certainement été corrigé depuis.

Ce premier tome du "Mystère de la Grande Pyramide" est un chef-d'œuvre de maîtrise narrative qui combine les genres à la perfection (archéologie et aventure, espionnage, mythes et légendes, gangsters), et s'achève sur un suspense imparable.

Mon verdict : CHEF-D'ŒUVRE

Barbuz

3 commentaires:

  1. Je suis bluffé par ton commentaire : je garde un souvenir de lecture laborieux, or les éléments que tu mets en avant me donnent une envie irrépressible d'aller détailler ces pages pour regarder autrement la mise en scène, le découpage et l'éclairage.

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    1. Tu sais, je suis certainement incapable d'être objectif à l'égard de cet album ; aussi loin que je me souvienne, c'est l'une des premières BD que l'on m'ait offerte (avec le Superman contre Spider-Man : "Le Combat du Siècle"). À partir de là...

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  2. N'oublions pas un autre récit de Jacobs sur l'Egypte, court celui-ci, sur la découverte de la tombe de Toutankhamon par Howard Carter. Un récit récemment édité en album dans la Grande Aventure du Journal Tintin. Je ne sais si tu as eu l'occasion de découvrir ce bel et massif ouvrage, mais connaissant ton appétence pour la BD classique !

    Tu m'as en tous les cas, donné envie de me replonger dans mes Jacobs. Dommage qu'ils ne soient pas chez moi ! Il est vrai que c'est avec cette aventure que Jacobs fixe quelque part les standards de la série quand l'Espadon était davantage un galop d'essai (et quel galop d'essai !), qui restera toujours un peu à part dans la série, du moins la série canonique.

    Graphiquement, c'est en effet très hergéen, un peu à l'image précisément des albums de Martin de la même période chez Alix et Lefranc (L'Île maudite et la Grande Menace sont à ce titre les plus significatifs).

    Mister B de Forum Comics

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