"Les Tours de Bois-Maury" est une série de l'artiste belge Hermann (Huppen) dont le titre a été changé en "Bois-Maury" à partir du onzième tome ("Assunta", 1998). Bien qu'Hermann ait œuvré seul sur les onze premiers numéros, son fils Yves H. le rejoint comme scénariste au douzième tome ("Rodrigo", 1991).
"Le Seldjouki", le huitième volume, est un album cartonné comptant quarante-cinq planches sorti dans la collection "Vécu" de Glénat en avril 1992. À ce jour, il y en a eu deux rééditions.
À la fin de l'épisode précédent, Bois-Maury et ses pèlerins, retranchés dans une église, échappent aux villageois orthodoxes à l'issue d'un baroud effrayant aussi spectaculaire que meurtrier.
Sous un soleil de plomb, un cavalier solitaire - un Seldjoukide - traverse la steppe au galop. À force de pousser son cheval, ce dernier finit par s'effondrer, mort d'épuisement. L'homme sort indemne de sa chute. Il se relève en sueur et regarde derrière lui avec inquiétude ; il aperçoit un nuage de poussière à l'horizon. Ses poursuivants ne sont pas loin. Sans un œil pour sa monture, il court en direction des collines rocheuses avoisinantes. Ceux qui sont à ses trousses - une escouade de chevaliers occidentaux - ne tardent pas à arriver sur les lieux. Ailleurs, une autre troupe, celle de Bois-Maury, se repose au frais à l'ombre. L'un des pèlerins qu'escorte le chevalier s'approche en douce d'une gourde attachée au paquetage de l'une des mules du convoi. Mal lui en prend, car une main le saisit par le colback et le tire en arrière ; c'est Olivier, qui menace d'égorger l'homme s'il s'avise de toucher à nouveau à l'eau qu'il reste. Aymar et Hendrik empêchent les autres d'intervenir. L'un d'eux s'est éloigné pour explorer les environs. Il découvre quelques pastèques sur le sol, au pied d'un arbre. Exalté par cette trouvaille, il en ramasse une et court prévenir ses compagnons. Au moment où il les hèle d'un aplomb rocheux en brandissant le trésor, une flèche vient lui transpercer le buste...
"Le Seldjouki" conte une double rencontre dans une situation riche en complexité. Celle du guide byzantin Miltiadès, à qui Bois-Maury et son groupe ont fait appel pour traverser la contrée, et celle de Sandjar, un Turc chargé d'une mission spéciale qui devient prisonnier de Bois-Maury. Le premier, malgré ses conseils avisés et sa connaissance du terrain, finira par cristalliser une véritable méfiance au sein de la maigre troupe ; peut-être à cause de sa discrétion ? Le second ne dira mot ; il sera cependant traité avec un certain respect, mais restera cruel et farouche jusqu'au bout. La force d'Hermann, c'est d'intégrer la petite histoire dans la grande. L'auteur met en scène un contexte aux ramifications géopolitiques bien moins simples qu'il n'y paraît, entre Seldjoukides, Byzantins, Danichmendides, et Francs, et livre un propos à des lieues de tout manichéisme limitatif ; non, il n'y a pas ici de bons croisés et de mauvais musulmans, ni l'inverse d'ailleurs, mais des hommes qui se battent autant pour survivre que pour un but, et des factions qui défendent leurs intérêts, en devant pour cela parfois forger des alliances contre-nature, comme le laisse sous-entendre le moment des tractations entre Byzantins et Turcs seldjoukides. La notion de foi est toujours (volontairement ?) absente de ce qui pourra être qualifié de "trilogie des croisades", bien que le comportement de Miltiadès surprenne ; c'est peut-être ça, au fond, le véritable acte de foi, car le personnage devient martyr pour permettre le salut de croisés d'Occident qui ne lui ont guère montré d'amour fraternel. Graphiquement, cet album offre aux paysages de la Cappadoce et à cet environnement aussi magnifique qu'hostile une place privilégiée. Sans égaler les sommets atteints par Fraymond, l'artiste soigne la mise en couleurs et les contrastes entre ombre et lumière. Il faut retenir les paysages, l'intérieur de cette église byzantine perdue dans les cheminées de la Cappadoce, ou les charges sauvages entre Francs et Turcs. La scène finale entre Miltiadès et Sandjar n'est pas des plus limpides. La transcription des dialogues est déroutante ; les phylactères sont tantôt "standard" (c'est-à-dire du texte dans une bulle à fond blanc), tantôt transparents, sans contour continu, et sans fond blanc, ou parfois dans une autre teinte (gris, violet, jaune, etc.) ; cela pourra nuire à la représentation imaginaire des dialogues.
"Le Seldjouki" est un album réussi, qui permet à Bois-Maury de croiser un autre destin tragique. Aymar, Olivier et Hendrik, sans tout à fait comprendre ce qu'il se passe autour d'eux, font front avec bravoure sur une terre sauvage qui ne les ménage pas.
À la fin de l'épisode précédent, Bois-Maury et ses pèlerins, retranchés dans une église, échappent aux villageois orthodoxes à l'issue d'un baroud effrayant aussi spectaculaire que meurtrier.
Sous un soleil de plomb, un cavalier solitaire - un Seldjoukide - traverse la steppe au galop. À force de pousser son cheval, ce dernier finit par s'effondrer, mort d'épuisement. L'homme sort indemne de sa chute. Il se relève en sueur et regarde derrière lui avec inquiétude ; il aperçoit un nuage de poussière à l'horizon. Ses poursuivants ne sont pas loin. Sans un œil pour sa monture, il court en direction des collines rocheuses avoisinantes. Ceux qui sont à ses trousses - une escouade de chevaliers occidentaux - ne tardent pas à arriver sur les lieux. Ailleurs, une autre troupe, celle de Bois-Maury, se repose au frais à l'ombre. L'un des pèlerins qu'escorte le chevalier s'approche en douce d'une gourde attachée au paquetage de l'une des mules du convoi. Mal lui en prend, car une main le saisit par le colback et le tire en arrière ; c'est Olivier, qui menace d'égorger l'homme s'il s'avise de toucher à nouveau à l'eau qu'il reste. Aymar et Hendrik empêchent les autres d'intervenir. L'un d'eux s'est éloigné pour explorer les environs. Il découvre quelques pastèques sur le sol, au pied d'un arbre. Exalté par cette trouvaille, il en ramasse une et court prévenir ses compagnons. Au moment où il les hèle d'un aplomb rocheux en brandissant le trésor, une flèche vient lui transpercer le buste...
"Le Seldjouki" conte une double rencontre dans une situation riche en complexité. Celle du guide byzantin Miltiadès, à qui Bois-Maury et son groupe ont fait appel pour traverser la contrée, et celle de Sandjar, un Turc chargé d'une mission spéciale qui devient prisonnier de Bois-Maury. Le premier, malgré ses conseils avisés et sa connaissance du terrain, finira par cristalliser une véritable méfiance au sein de la maigre troupe ; peut-être à cause de sa discrétion ? Le second ne dira mot ; il sera cependant traité avec un certain respect, mais restera cruel et farouche jusqu'au bout. La force d'Hermann, c'est d'intégrer la petite histoire dans la grande. L'auteur met en scène un contexte aux ramifications géopolitiques bien moins simples qu'il n'y paraît, entre Seldjoukides, Byzantins, Danichmendides, et Francs, et livre un propos à des lieues de tout manichéisme limitatif ; non, il n'y a pas ici de bons croisés et de mauvais musulmans, ni l'inverse d'ailleurs, mais des hommes qui se battent autant pour survivre que pour un but, et des factions qui défendent leurs intérêts, en devant pour cela parfois forger des alliances contre-nature, comme le laisse sous-entendre le moment des tractations entre Byzantins et Turcs seldjoukides. La notion de foi est toujours (volontairement ?) absente de ce qui pourra être qualifié de "trilogie des croisades", bien que le comportement de Miltiadès surprenne ; c'est peut-être ça, au fond, le véritable acte de foi, car le personnage devient martyr pour permettre le salut de croisés d'Occident qui ne lui ont guère montré d'amour fraternel. Graphiquement, cet album offre aux paysages de la Cappadoce et à cet environnement aussi magnifique qu'hostile une place privilégiée. Sans égaler les sommets atteints par Fraymond, l'artiste soigne la mise en couleurs et les contrastes entre ombre et lumière. Il faut retenir les paysages, l'intérieur de cette église byzantine perdue dans les cheminées de la Cappadoce, ou les charges sauvages entre Francs et Turcs. La scène finale entre Miltiadès et Sandjar n'est pas des plus limpides. La transcription des dialogues est déroutante ; les phylactères sont tantôt "standard" (c'est-à-dire du texte dans une bulle à fond blanc), tantôt transparents, sans contour continu, et sans fond blanc, ou parfois dans une autre teinte (gris, violet, jaune, etc.) ; cela pourra nuire à la représentation imaginaire des dialogues.
"Le Seldjouki" est un album réussi, qui permet à Bois-Maury de croiser un autre destin tragique. Aymar, Olivier et Hendrik, sans tout à fait comprendre ce qu'il se passe autour d'eux, font front avec bravoure sur une terre sauvage qui ne les ménage pas.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbuz
Je retiens de cet article qu'Hermann est un scénariste qui sait intégrer la petite histoire dans la grande, et qu'il sait retranscrire la complexité d'un contexte géopolitique, ce qui n'est pas donné à tout le monde et qui me convaincrait de replonger dans cette série, si ma pile de lecture n'était pas déjà dangereusement élevée. Du coup, je me dis que ta remarque sur l'expression de la foi par les actes plutôt que par le dogme doit effectivement correspondre à l'intention de l'auteur.
RépondreSupprimerLes variations de style des phylactères : ce que tu décris me rappelle une lecture de BD (que j'ai depuis oublié) où j'avais été confronté à la même hétérogénéité de forme, sans avoir pu relier ces formes à un fond ou une intention narrative, très bizarre comme ressenti à la lecture.
Je trouve toujours intéressant le travail de recherche préalable à un album. Ici, nul doute qu'Herrman a dû faire quelques recherches. À cette époque où Internet n'était pas encore démocratisé, cela signifie de nombreuses heures en bibliothèque.
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