dimanche 2 décembre 2018

Blake et Mortimer (tome 10) : "L'Affaire du collier" (Blake et Mortimer ; septembre 1967)

"L'Affaire du collier" est la septième aventure (du point de vue de l'historique de publication) de "Blake et Mortimer". Elle fut publiée dans le "Journal de Tintin" (version belge), du 24 août 1965 (nº34) au 19 juillet 1966 (nº29). En septembre 1967, Le Lombard la réédite en un album de soixante-deux planches.
L'histoire a été entièrement produite par Edgar P. Jacobs (1904-1987), véritable légende du neuvième art, hélas trop peu prolifique ; il ne réalisera que onze albums pendant ses quarante-cinq ans de carrière. Jacobs collaborera aussi avec Hergé sur "Tintin au Congo", "Tintin en Amérique", "Le Sceptre d'Ottokar", "Le Lotus bleu", "Les Sept Boules de cristal", "Le Temple du Soleil" et y dessinera notamment des décors ou du matériel.

Paris, par une journée orageuse. Blake et Mortimer, arrivés de Londres par l'aéroport d'Orly, se sont installés dans un taxi qui, aux abords du boulevard de Port-Royal, ne peut que suivre le flot des voitures prises dans les embouteillages. Pour patienter, Mortimer demande un exemplaire de France-Soir à un vendeur de journaux à la criée. Parmi les gros titres, l'affaire du collier ; sir Williamson, un richissime collectionneur anglais, aurait l'intention d'offrir le fameux bijou de Marie-Antoinette à la reine d'Angleterre. L'auteur de l'article s'indigne. Mortimer remarque que cette affaire ne laisse personne indifférent et que le ton monte, ce sur quoi Blake ironise. Il ajoute néanmoins que sir Williamson risque de commettre une lourde faute ; pourtant, leur compatriote connaît bien la France. La circulation est à nouveau stoppée par un agent de police. Les deux Britanniques regrettent de ne pas avoir pris le métro ; à ce rythme-là, ils n'arriveront jamais à temps au palais de justice, où ils sont attendus pour le procès d'Olrik. Lorsque Mortimer interroge Blake sur leur ennemi juré, son compagnon d'armes lui répond qu'il étudie l'archéologie parisienne, et qu'il aurait "dévoré" la bibliothèque de la prison de la Santé. Leur taxi s'arrête une nouvelle fois : contrôle de police...

"L'Affaire du collier" est un album à part dans la série : ni savant fou ni puissance étrangère aux aguets tirant les ficelles ni découverte scientifique utilisée à des fins néfastes. Jacobs abandonne la dimension technologique et scientifique de ses aventures pour livrer une bande dessinée dans la lignée des grands classiques du roman policier et de gangsters. L'enjeu ? Un bijou hautement symbolique, historique, hors de prix, légendaire. L'intrigue convient comme un gant aux deux Britanniques, et Jacobs réussit haut la main ce qui peut être considéré comme un exercice de style ; d'aucuns affirment que l'auteur, déçu d'être éreinté par une certaine critique, avait décidé d'éloigner son titre du contenu habituel. Ce qui a motivé Jacobs à s'inspirer du destin de ce joyau reste à démontrer. L'influence d'Hitchcock (1899-1980) et du thriller avec un soupçon de Boileau et Narcejac (1906-1989, 1908-1998) est perceptible ; c'est flagrant dans les scènes du téléphone, dans la pression psychologique qui est exercée sur Duranton et qui le pousse, lentement mais sûrement, vers la folie, la paranoïa. La bande à Olrik et le langage de ses hommes rappelleront l'ambiance de certains films de gangsters des années cinquante ou soixante. L'amour de l'auteur pour Paris semble évident, et les connaisseurs de la capitale prendront plaisir à suivre l'itinéraire de Duranton, comme ils l'auront fait aussi avec "S.O.S. Météores". Bien que Jacobs réussisse à distiller une atmosphère de mystère dans ce fait divers finalement banal, la lecture est gênée par des longueurs et des sensations de déjà-vu ; ainsi, Blake et Mortimer, suite à un accident, sont coincés dans des décombres souterrains et doivent avancer à l'aveugle, une scène presque récurrente revenant dans plusieurs albums, dont deux fois dans celui-ci. L'assaut du quartier général rappellera celui du château dans "S.O.S. Météores". Enfin, le lecteur remarquera quand même que la police française, menée par ce sosie de Jean Gabin qu'est le commissaire Pradier, ne semble pas particulièrement perspicace et qu'elle doit compter sur le flair de notre tandem pour suivre les bonnes pistes ; c'était déjà le cas - moins flagrant - dans "S.O.S. Météores". La partie graphique est aboutie. La minutie et les détails apportés aux véhicules (ah, les DS et les Peugeot 404), aux costumes et à la variété des visages des figurants sont admirables.

"L'Affaire du collier" est un album captivant, malgré des longueurs et des sensations de déjà-vu. Il occupe une place particulière dans la série, dont il se démarque du ton habituel. Enfin, c'est surtout la dernière aventure complète produite par Jacobs.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

3 commentaires:

  1. J'ai bien aimé voir apparaître en creux les caractéristiques de la série dans ton article : les éléments d'anticipation, la progression dans des décombres souterrains, Olrik, la représentation du paysage urbain, le manque d'efficacité de la police (encore que ce dernier point soit une convention habituelle pour que les héros puissent briller).

    Par curiosité, je suis allé consulter la page wikipedia de la série, pour découvrir que l'un de mes dessinateurs préférés travaille sur un tome à venir : François Schuiten.

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    1. Certains lecteurs m’ont affirmé que la caractérisation de notre police était une marque de cette francophobie typiquement belge, dont Jacobs pouvait faire preuve, lui aussi.
      Je n’ai jamais rien lu de Schuiten. Je suppose que ça manque à ma culture. Tu as une œuvre à me recommander ?

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    2. Ma recommandation : le cycle des Cités Obscures, avec Benoît Peeters. IL s'agit d'une série de récits contenant une histoire chacun, avec un faible niveau de continuité. Généralement les nouveaux lecteurs commencent avec le tome 2 : la fièvre d'Urbicande.

      J'ai commenté l'intégrale de la série (y compris le faux documentaire). Celui sur le fièvre d'Urbicande

      https://les-bd-de-presence.blogspot.com/2018/01/la-fievre-durbicande-le-premier-tome-du.html

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