mercredi 26 décembre 2018

"Britannia" (tome 2) : "Ceux qui vont mourir" (Bliss Comics ; août 2018)

"Ceux qui vont mourir" est le second tome de "Britannia", un titre lancé par Valiant en 2016. Il a été publié chez Bliss Comics en août 2018 sous la forme d'un album cartonné comptant, à peu près, cent dix planches. Il comprend les numéros 1-4 de la mini-série "We Who Are About to Die", sortie entre avril et juillet 2017.
Peter Milligan a écrit ces quatre épisodes. Juan José Ryp a réalisé les illustrations (et l'encrage) des trois premiers chapitres entièrement seul. Il partage le quatrième avec Ryan Lee (deux planches), puis Roberto de la Torre (deux planches lui aussi, celles de l'analepse). La mise en couleurs est de Frankie d'Armata.

Rome, cinq ans plus tôt. Gaïus Oppius et Craxus, deux Romains de noble extraction, se livrent à des agapes, confortablement installés sur leur triclinium. Une servante, Elissa, leur verse du vin. Le maître des lieux, Gaïus Oppius, juge qu'en tant que sénateur, il devrait être servi par une beauté, ce qui n'est pas le cas d'Elissa, dont il estime que le visage n'est guère séduisant. La jeune femme lui présente ses excuses. Son maître lui ordonne de faire venir une nouvelle esclave, une beauté dont il vante les charmes à Craxus. Entre alors une très jolie fille portant une cruche. Elle a les yeux verts ; elle a été gâtée par les dieux ! Gaïus Oppius l'attire violemment à lui et pose sa main sur sa cuisse. Elle se débat, mais le Romain lui affirme qu'elle lui appartient et qu'elle ne lui dictera pas sa conduite. Craxus mord dans le pilon de poulet et savoure le spectacle ; c'est encore mieux que les jeux ! Oppius arrache la tunique de la jeune femme et, menaçant, lui déclare qu'elle va subir ce que Jules César a infligé à la Gaule. L'esclave, à tâtons, parvient à s'emparer d'un coutelas planté dans la viande de l'assiette de son maître, et tranche la gorge de ce dernier d'un coup rageur. Craxus, estomaqué, ne peut qu'assister aux ultimes instants de son compagnon de ripaille. Il fait emmener la jeune femme par deux serviteurs costauds et lui prétend que Gaïus Oppius ne souhaitait qu'avoir la jouissance de ce qui lui "revenait de droit". Elle mourra pour cela...

Bien que "Britannia" soit une succession de mini-séries, il est préférable de lire le premier tome. Le lecteur retrouve le personnage du centurion Antonius Axia avec plaisir ; ce détective de l'occulte, initié à l'art de la déduction après avoir eu accès au Codex des vestales, a fort à faire une nouvelle fois. Plus que jamais - car c'est non seulement sa propre vie qui est en jeu, mais aussi celle de son fils - Axia fait l'équilibriste entre l'empereur Néron et Rubria. Ici, il s'intéresse à une gladiatrice invaincue qui n'est qu'à quelques combats de la victoire ultime, celle de la liberté, et qui est en passe de devenir une icône du féminisme romain. Cette intrigue, bien que souvent passionnante et bien que l'humour n'en soit pas exclu, souffre d'invraisemblances et de quelques piètres choix narratifs. Parmi les invraisemblances, l'utilisation de la plante et son absence d'effet sur certains protagonistes (et a contrario, ses effets décuplés sur d'autres) figurent au premier rang. Parmi les mauvais choix narratifs, certains éléments du dénouement ; punir l'instigatrice du complot et la condamnant à devenir femme de ménage du temple d'Apollon n'était guère inspiré. Enfin, certains pans du scénario ne trouvent pas leur conclusion et certaines questions restent sans réponses : ainsi, l'analepse avec le nourrisson est sibylline, les prénoms s'emmêlent (Oppius ou Sulla ?), le destin de la "fausse statue" d'Apollon n'est pas révélé, et ce qui arrive à Craxus n'est pas dévoilé non plus. Néanmoins, le lecteur s'abandonne aisément à l'intrigue, et la dernière planche laisse entrevoir une évolution intéressante du titre. Graphiquement, c'est encore un cran en dessous de la première mini-série. Ryp enchante de son trait réaliste saupoudré d'un soupçon d’hyperexpressivité qui  rappellera les mangas, et qui est parfaitement adapté à cet univers. Hélas, la différence avec le style de Lee, qui fait du remplissage, ou avec celui, plus sombre, de de la Torre, est immédiatement décelable. En dernier lieu, la mise en couleur fade de d'Armata fera regretter le travail de Jordie Bellaire.
La traduction est effectuée par Mathieu Auverdin (du studio MAKMA). La tâche d'adaptation sur le texte est honorable, mais celui-ci comporte malheureusement trois fâcheuses fautes de genre. Malgré l'absence de pagination, la maquette est soignée. 

Le scénario de "Ceux qui vont mourir" souffre d'invraisemblances et de questions restées en suspens. D'autre part, cette histoire est visuellement moins aboutie que la précédente. Mais sa lecture n'est pas désagréable, et sa conclusion est prometteuse.

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbuz

4 commentaires:

  1. J'ai trouvé que Juan José Ryp était bien investi dans les 3 premiers épisodes, avec l'usage de l'hyperexpressivité (je retiens le terme), mais aussi pour les tenues et les bâtiments. Je me demande ce que tu penses de la qualité de sa reconstitution historique.

    Dans ce tome, j'ai bien apprécié le traitement de l'enquête policière. Peter Milligan part du principe que les romains croient dans la manifestation concrète des dieux sur Terre et qu'ils sont persuadés que certains événements surviennent par la volonté des dieux, échappant ainsi au lien de cause à effet rationnel. À ces croyances, il oppose les raisonnements de l'enquêteur Antonius Axia, observant d'abord les lieux analysant les motivations des uns et des autres avant d'en tirer des déductions. Outre la conviction du principe de cause à effet, Antonius Axia a également acquis des rudiments de psychologie, lui permettant de deviner les motivations de quelques personnages. Le scénariste n'a pas hésité à manier le paradoxe en expliquant le comportement rationnel de son détective par un phénomène surnaturel.

    En outre dans ce tome 2, les auteurs mettent en scène des phénomènes surnaturels au premier degré, laissant le lecteur supputer, hésiter entre la certitude que tout a une explication rationnelle, mais aussi qu'une intervention divine reste possible. Il est ainsi maintenu dans l'expectative jusqu'à ce qu'Antonius Axia fasse aboutir son enquête. L'histoire mêle à cette enquête des pressions des puissants (Néron, le sénateur, Rubria), ainsi que l'histoire personnelle de la gladiatrice et de son amie Elissa qui rappellent que si tous les citoyens de Rome étaient égaux, tous les êtres humains n'étaient pas des citoyens.

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    1. C'est une bonne question, ça, la qualité de la reconstitution historique. Ça me fait réaliser que j'y prête bien plus attention lorsqu'il s'agit d'un auteur européen que lorsqu'il s'agit d'un auteur américain.
      Ce que tu écris ensuite sur l'opposition narrative entre surnaturel et cartésien me rappelle que cela formait les ingrédients de la première série (l'originelle) "Ric Hochet", qui était construite sur ce modèle. Il y en a bien d'autres, évidemment, mais c'est surtout cet exemple qui me vient en tête. Ici, ça ne m'a néanmoins pas autant intrigué que les mécanismes de l'enquête (j'adore le roman policier d'énigme).

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  2. On peut penser à Scoubidou aussi. :) C'est juste pour être taquin.

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    1. Ah ! Scoubidou ! J'adorais, quand j’étais môme. Et je trouvais même certains épisodes flippants.
      Excellent exemple, Monsieur Présence, excellent exemple :-) !

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