"Le Spectre aux balles d'or" est le douzième tome de "Blueberry". Cet album cartonné de quarante-six planches est sorti chez Dargaud en juillet 1972. C'est le second et dernier des deux volumes de ce que l'éditeur a appelé (plus tard) "Le Cycle de l'or de la Sierra", un diptyque qui fut entièrement produit en 1972.
"Blueberry" (anciennement "Lieutenant Blueberry") est une série franco-belge créée par le scénariste Jean-Michel Charlier (1924-1989) et par Gir, le dessinateur Jean Giraud (1938-2012).
À l'issue du tome précédent, Blueberry abat Cole Timbley et blesse Wally Blount en duel à la loyale, sortant ainsi MacClure d'une situation impossible. Ils partent sur les traces de Luckner.
Arizona. Trois cavaliers chevauchent à travers les monts de la Superstition ; Blueberry ouvre la marche, MacClure et ses deux mules forment l’arrière-garde, et entre les deux, Wally Blount, leur prisonnier. Autour d'eux, rien d'autre que de la pierre, de la poussière, sous un soleil de plomb. Ils espèrent tomber tôt ou tard sur un point d'eau ; en effet, la soif commence à se faire durement ressentir. Blount croit savoir qu'il y en a un tout près ; il leur montre l'endroit - une mesa isolée - du doigt. Leurs affaires se compliquent, car les Apaches semblent les avoir repérés, et communiquent par signaux de fumée afin de rameuter les bandes locales et de relancer la traque. Le faux chasseur de primes estime qu'ils ont deux heures devant eux. Plus loin, quelqu'un les observe à la jumelle : "Prosit" Luckner, qui craint d'être poursuivi. La distance l'empêche d'abord de les reconnaître, puis il comprend quand même qui est après lui, et devine que ses trois ennemis se sont alliés contre lui. Il suppose immédiatement qu'ils sont à la recherche d'un endroit où se désaltérer ; il va les laisser approcher, puis basculera des rochers sur eux depuis les hauteurs du plateau. Blueberry, MacClure, et Blount trouvent enfin de l'eau. Le lieutenant leur demande d'être prudents. Plus loin, "Prosit" observe, et attend...
"Le Spectre aux balles d'or" est indéniablement l'un des sommets de la série. Charlier conte une course-poursuite dans les paysages austères du grand Ouest. L'ennemi est partout. D'un côté, les Indiens. Superstitieux, ils guettent patiemment leurs proies ; tôt au tard, elles ressortiront de ce lieu maudit et seront scalpées. De l'autre, le soleil, la poussière, la pierre, les sables mouvants, les labyrinthes, les serpents... Toute la désolation du monde semble effectivement s'être donné rendez-vous en cet endroit. Blueberry et MacClure souhaitent retrouver Luckner. Wally Blount aussi, mais il veut d'abord fausser compagnie à ses geôliers. Aux poursuivants de Luckner vient s'ajouter un mystérieux larron, un étrange fantôme qui tire des balles d'or et a l'air de rechercher un but bien précis. Chaque participant a son plan, ses propres objectifs. Tout cela pourrait presque ressembler à un vaudeville s'il n'y avait ce décor lugubre, sinistre, et si la plupart des protagonistes n'étaient pas mus pas une soif presque obscène de métal précieux. Pour cela, ils vont prendre tous les risques, et imaginer toutes les astuces. "Le Spectre aux balles d'or", c'est également - et surtout - cette succession de dix planches absolument phénoménale, incroyable moment d'anthologie dans l'album, moment de cache-cache angoissant dans le cadre macabre de ce village pueblo fantôme, entre un Luckner dévoré, rongé par la paranoïa, et une ombre qui s'amuse avec les nerfs de sa proie. D'un point de vue narratif, c'est longue scène, qui fait monter la tension chez le lecteur et la maintient à un niveau élevé, est un véritable chef-d'œuvre. Si les bulles de pensées ont leurs détracteurs, elles sont ici d'une efficacité à couper le souffle. L'auteur propose un dénouement surprenant que suit un épilogue qui n'est pas sans humour, offrant au diptyque une fin curieusement légère qui tranche avec le corps de son histoire. L'élément graphique participe largement à la réussite de l'ensemble, bien que la fluidité de la lecture puisse buter sur ce découpage en bandes irrégulières (des flèches discrètes indiquent cependant le sens). Giraud alterne les formats de vignette. Il varie les plans, et produit souvent des vues rapprochées sur certaines parties des visages, avec un remarquable niveau de détail. Les couleurs sont globalement ternes, voire grisâtres, et les paysages en pâtissent - sauf lors des scènes nocturnes.
Sans être parfait (après tout, le trait de Giraud n'est pas encore abouti), "Le Spectre aux balles d'or" est un grand moment de bande dessinée, dont le point d'orgue est ce moment vraiment étonnant au milieu d'un village indien perdu dans la montagne.
Mon verdict : ★★★★★
Barbuz
À nouveau, je trouve cette couverture magnifique dans son jeu sur les nuances de bleu, tout en faisant ressortir les volumes, les textures, la profondeur de champ.
RépondreSupprimerTon commentaire fait ressortir une incroyable intensité dans la narration, que ce soit le comportement obsessionnel des individus pour l'or, l'hostilité de la nature, la mise en scène dans le pueblo fantôme. J'avais l'impression de lire la BD, au point que je ne saurais plus dire si je l'ai effectivement lue il y a 20 ans ou plus, ou si ton commentaire vient de me créer des souvenirs provoquant une sensation de déjà-vu si j'ouvrais cette BD.
J'ai également bien aimé tes remarques sur les bulles de pensée, et sur les flèches pour passer d'une case à l'autre. Autant, les bulles de pensée ne me gênent pas à la lecture : c'est une convention narrative de forme pour suivre le flux de pensée du personnage (certes elles peuvent être remplacées par des cartouches, mais le dispositif reste de même nature) ; autant les flèches donnent l'impression soit que l'artiste a mal conçu sa planche et qu'il ne la trouve pas assez lisible, soit qu'il pense que le lecteur n'est pas assez dégourdi ou intelligent pour trouver l'ordre de lecture.
C'est en effet l'une des plus belles couvertures de la série ; facilement dans les trois plus belles.
SupprimerPour en revenir aux flèches indicatives et au découpage irrégulier, cela m'avait surtout embêté dans le tome précédent. Franchement, à certains endroits, il fallait être particulièrement attentif au déroulement des cases. J'estime que c'est un problème de conception de planche, comme tu le suggères.