Le troisième et dernier tome de la série "Les Fantômes de Knightgrave", consacrée au personnage de Choc, génie du crime en smoking dissimulant son visage sous un heaume, l'ennemi juré de Tif et Tondu, et le chef de l'organisation de la Main blanche, est sorti chez Dupuis en avril 2019. C'est un album à la couverture cartonnée (24,0 × 32,0 centimètres) qui compte quatre-vingt-six planches, comme les deux tomes précédents.
"Choc" permet à Éric Maltaite - fils de Willy Maltaite, alias Will (1927-2000) - de donner une nouvelle jeunesse à l'œuvre de son père. Maltaite, qui partage la tâche de mise en couleur avec Cerise, illustre l'intrigue de Stéphan Colman, l'auteur des derniers scénarios en date du titre "Marsupilami", notamment.
À l'issue du tome précédent, en 1936, William abat Kinley. Eden bat à mort Henry, fils de Lord Essex. Ils fuient en traversant la Manche. Après une halte à Ostende, ils partent pour Berlin.
Istanbul, nuit du 6 au 7 septembre 1955. Des émeutes visant les minorités grecques, arméniennes, chrétiennes ou juives dégénèrent en pogrom dans un déluge de violence. Une Ford vert foncé, prise en chasse par plusieurs véhicules de police, se fraye un chemin à travers l'anarchie ambiante. Son arrière est criblé de balles ; le tireur de la banquette a été descendu, mais un autre à l'avant mitraille leurs poursuivants, qui répliquent au pistolet. Les gangsters lancent deux grenades puis abattent un chauffeur, dont la voiture fait une embardée spectaculaire. La course-poursuite aboutit sur un boulevard qui longe les quais. Le tireur est éliminé. Les forces de l'ordre gagnent du terrain. Le dernier passager, Choc, est indifférent qui chaos qui l'entoure. Son conducteur slalome entre deux rames de tramway, mais ne peut éviter une camionnette. Le choc frontal et violent envoie la Ford piquer dans les eaux du port...
Colman finit de relier entre elles les intrigues semées dans les tomes précédents. Il y parvient d'autant plus brillamment que la tâche n'est pas simple, puisqu'il a, depuis le début, travaillé sur trois lignes temporelles en parallèle. Colman maîtrise les enchaînements de son scénario. Comme dans les premiers volets, il évoque les événements historiques et y plonge ses personnages, mais il a la sagesse d'éviter la vanité d'auteur en ne leur confiant aucun rôle majeur ; bien qu'ils rencontrent les figures importantes de leur temps, ses protagonistes subissent, comme l'être humain ordinaire, à la différence que ce sont ces bouleversements qui forgeront leur destin. Colman revient ainsi sur le pogrom d'Istanbul, l'ascension du Troisième Reich, avec la mise à l'index de l'art "dégénéré" et la nuit de Cristal, jusqu'à son recul, avec les raids nocturnes de la Royal Air Force sur Hambourg lors de l'été 1943 (c'est l'opération Gomorrhe). Eden continue sa métamorphose dans la douleur ; Colman désintègre toute vision romantique de sa mère tandis que le jeune homme se rend à Marcoing, dans le Nord, avant un pied-de-nez du sort qui suit. William, brillant, charismatique, plein de verve, lui pique la vedette un bon moment, et le principal intéressé, taciturne, est presque relégué au second plan. Au fond, Eden ne prend réellement son envol qu'à la mort de son confident et seul ami, et il aura fallu une bombe pour que le crime accouche finalement d'un nouveau monstre. Les passages bavards sont nombreux, et l'orientation de l'intrigue semble incertaine ; néanmoins, la boucle est magistralement bouclée grâce à ce lien avec "Tif et Tondu contre la Main blanche". Colman évite à Choc oubli et risque de ringardise : mission accomplie. La partie graphique est aboutie. Certaines planches sont étonnantes ; Maltaite a un véritable don pour retranscrire les scènes de chaos (Istanbul, Hambourg). Il allie un trait semi-réaliste avec un sens du détail admirable (représentation de la une d'un quotidien turc d'époque, soin apporté aux véhicules, aux bâtiments, etc.). Ses personnages sont immédiatement identifiables. Il ne produit des arrière-plans que lorsque cela se justifie. Son découpage classique, à la densité de cases variée, est très lisible, à une ou deux exceptions près, et offre une belle diversité de plans. La perspective de la planche 53 implique que les avions volaient en formation très serrée et lâchaient leurs bombes sont prêter attention aux camarades d'en dessous ; improbable - sauf erreur de ma part. Encrage et mise en couleur sont remarquables.
Choc manque de se faire voler la vedette dans un ultime volet captivant, mais fort bavard. Malgré quelques digressions, Colman recentre son intrigue dans le dernier quart. Maltaite présente un travail abouti. Cette trilogie réussie évite l'oubli à Choc.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbuz
Étant passé à la FNAC cette après-midi, j'en ai profité pour feuilleter ce tome que je n'aurais jamais ouvert son ton commentaire : j'en suis ressorti impressionné par la manière dont les dessins accommodent à la fois une histoire adulte, à la fois une apparence quasiment tout public. Ton analyse explique avec clarté comment le scénariste sait mettre en scène que les individus sont modelés par les événements historiques qui forgent leur histoire personnelle, et met en valeur qu'il ne se limite pas à des nazis génériques déconnectés de la réalité historique. Si ma pile de lecture n'était pas déjà aussi haute, je me laisserais tenter.
RépondreSupprimerC'est une très bonne trilogie, qui m'a convaincu de me mettre sérieusement à "Tif et Tondu". J'y reviendrai prochainement.
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