dimanche 4 août 2019

Les Sentinelles (tome 2) : "Septembre 1914 : La Marne" (Delcourt ; mai 2009)

"Septembre 1914 : La Marne" est le deuxième des quatre volumes de la série "Les Sentinelles". Cet album cartonné, publié chez Delcourt en mai 2009, comprend soixante-trois planches.
L'intrigue est signée Xavier Dorison, scénariste français prolifique, connu pour "Le Troisième Testament", "Long John Silver", "Le Maître d'armes", "Undertaker", ou "W.E.S.T.", ainsi que pour ses participations à "Thorgal" et "XIII Mystery". Les dessins, l'encrage et la mise en couleur sont réalisés par l'Argentin Enrique Breccia (fils d'Alberto Breccia), qui a illustré un roman graphique sur la vie de Lovecraft (Soleil, 2004) et travaillé, entre autres, pour le label Vertigo de DC Comics, avec vingt-et-un numéros de "Swamp Thing" à son actif, entre 2004 et 2006.

À l'issue du tome précédent, tandis que les Allemands sont informés du projet français, Mirreau est convoqué par Gallieni. Il autorise les Sentinelles et Taillefer et leur confie une mission.
En ce début du mois de septembre 1914, un biplan français d'observation survole la région ouest de Soissons. De Clermont, le pilote n'en revient pas : aucun Prussien depuis la ville. Il ordonne à Paluche, son photographe et opérateur radionavigant, de transmettre à l'État-major. Paluche s'exécute, puis, autant apeuré qu'impatient, demande au capitaine s'ils prennent le chemin du retour, mais l'officier veut descendre afin que Paluche puisse réaliser des clichés. Désagréablement surpris, l'autre souhaite savoir si son supérieur hiérarchique plaisante ; de Clermont désire-t-il donc qu'ils reçoivent un pruneau prussien ? Mais le pilote le rassure ; en bas, c'est le désert. Il fait piquer l'appareil ; cela est tellement improbable que l'État-major ne les croira que s'ils ramènent des photographies. Normalement, ils devraient apercevoir les troupes de la Ire armée du général von Kluck, mais il n'y a personne en dessous...

Ce "Chapitre deuxième" est celui de l'acceptation progressive de sa condition par Gabriel Féraud. Et pourtant. L'abattement est toujours là. Tandis qu'il fait sa toilette, il songe à ce qu'on lui raconte ; qu'il est indestructible, qu'il peut faire la différence à lui seul. Il se coupe avec la lame de son rasoir tenu par sa main mécanique, une première fois, puis une seconde, et cède brusquement à un coup de déprime. Son défaitisme ne le quitte point, même lorsqu'il rencontre les officiers les plus gradés. Gallieni, cependant, a l'intelligence de mettre l'autoritarisme de côté pour évoquer les responsabilités et les tragédies qui pourraient être évitées. Et Féraud finit par plier, tout en refusant de devenir un outil de propagande, surtout devant cette naïveté fataliste affichée par les troupiers. Dorison développe un scénario linéaire, mais jalonné de scènes émotionnellement puissantes : la toilette de Féraud, l'argumentaire de Gallieni, le vieil homme qui veut enterrer son petit-fils, ou l'assaut de Montmirail. L'auteur évoque clairement l'angoisse de l'affrontement, qui dégénère en une volonté de saboter la mission et en une querelle fratricide, une occasion pour Féraud de démontrer sa compassion. À chaque instant, c'est la peur de la mort. Le lecteur éprouvera un pincement au cœur en voyant les cadavres de ces soldats français alignés dans la cour, ou ces autres entassés dans une vulgaire brouette après le bombardement. Le scénariste dépeint la cohue des grandes manœuvres ou des replis. Il traduit le défaitisme après les pertes sévères. Dorison écrit d'excellents dialogues, sait diriger l'intrigue, insuffle un irrésistible lyrisme à quelques moments-clés, et gère ses rebondissements à la perfection. Féraud, dépassé par sa popularité montante, accède ainsi pleinement à la condition de héros malgré lui, sans que Dorison commette une infidélité à la caractérisation de départ. Breccia réalise une partie graphique marquante. Le découpage, plus clair que dans l'album précédent, présente une densité de cases qui évolue selon la compression de la narration ou son intensité. L'enchaînement de l'action est limpide, à l'exception de l'avant-dernière planche. L'artiste varie les plans et offre une belle diversité de physionomies, dont il renforce les aspects grotesques en exagérant certains traits. Les trois pages du bombardement de Montmirail, particulièrement marquantes, mettent en scène un Taillefer ne sachant pas où donner de la tête dans un enfer de poussière et de sang qui résonne de terribles des coups de canon et de déchirants appels à l'aide.

"Septembre 1914 : La Marne" est une véritable réussite dans laquelle intrigue, texte, et dessins fusionnent pleinement. Les auteurs y connectent tragédies humaines et escarmouches "anecdotiques" avec les batailles et événements majeurs de l'Histoire.

Mon verdict : ★★★★★

Barbuz

4 commentaires:

  1. Tu passes de 4 étoiles pour le tome 1 à 5 étoiles pour le tome 2 : la qualité de l'ouvrage se confirme. Je dois dire que la situation que tu évoques (Gabriel Féraud est déjà un héros avant d'avoir rien fait, et son ressenti est en total décalage) est très alléchant.

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    1. Ravi de te relire.
      J'espère que les vacances ont été bonnes.
      J'ai effectivement beaucoup aimé ce second tome, plus lyrique que le premier ; le désespoir cède progressivement à l'espoir.

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  2. Très bonne vacances en Irlande, je te remercie. Et toi ?

    J'étais parti sans ordinateur ce qui explique que je n'ai pas commenté, même si j'ai lu tes articles au fur et à mesure.

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    1. Heureusement, que tu es parti sans ordi !
      Rien de mon côté cet été, mais nous étions partis deux semaines en avril.

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