samedi 12 octobre 2019

Bouncer (tome 2) : "La Pitié des bourreaux" (Les Humanoïdes associés ; mai 2002)

"Bouncer" est une série française de western créée par Alejandro Jodorowsky et François Boucq. Bien que Jodorowsky l'ait quittée au neuvième volume ("And back", 2013), elle est toujours en cours à ce jour, Boucq assurant désormais l'écriture du scénario en plus du dessin. Les sept premiers tomes ont été publiés chez Les Humanoïdes associés, les suivants chez Glénat. Sorti en mai 2002, "La Pitié des bourreaux" est le second tome.
Le scénario de cet album cartonné de cinquante-neuf planches est signé par le Franco-Chilien Alejandro Jodorowsky, connu entre autres pour "L'Incal", "Les Technopères" ou "La Caste des Méta-Barons". Les illustrations sont du Lillois François Boucq, grand prix 1998 de la ville d'Angoulême, qui a travaillé sur "Little Tulip", "Le Janitor", "XIII Mystery", ou "Bouche du diable", notamment. Enfin, Nicolas Fructus façonne la mise en couleur. 

À l'issue du tome précédent, le Bouncer finit son histoire, celle de ses deux frères, Blake et Ralton, et de sa mère Lola, qui se suicide par pendaison sans dévoiler la cachette du diamant.
Un cheval portant deux cavaliers, Seth et son oncle, le Bouncer, progresse péniblement à travers les montagnes enneigées, contre le vent, sous un ciel de plomb, entre les arbres morts. Le visage protégé par un foulard, le crâne engoncé dans son chapeau, et le corps emmitouflé dans une gabardine de fourrure, le Bouncer jure, car après la neige et le vent viendront la pluie, puis la boue. Il enjoint à son neveu de résister et de ne pas s'endormir. Seth, engourdi, répond par l'affirmative, mais chute, épuisé. Son oncle met pied à terre pour l'aider. Il lui fait ingurgiter une boisson et l'informe qu'ils seront arrivés dans deux heures. Seth, impatient, lui demande une énième fois où ils vont ainsi. Son oncle cède : ils se rendent chez celui qui lui apprit l'art de tuer, Crazy Butterfly. Seth en sera le disciple...

"La Pitié des bourreaux" est un album surprenant dans la mesure où Jodorowsky évite l'écueil d'étirer cette histoire de vengeance sur plusieurs tomes au risque de la rendre interminable, et donc de la surexploiter. En quelque sorte, "Un diamant pour l'au-delà" et "La Pitié des bourreaux" constituent un diptyque devant permettre à l'auteur de continuer à développer l'univers de cette série. Le premier volume mettait en scène une famille de meurtriers asociaux et irrécupérables. Celui-ci démarre presque aussi sauvagement que le précédent, avec les mêmes (le capitaine Ralton et sa bande de maraudeurs), dans un bel étalage de violence : attaque de diligence, exécutions sommaires, lâcheté de certains pour sauver leur vie, etc. Cependant, la suite prend une autre dimension ; le lecteur accompagne d'abord Seth dans cette quête presque initiatique, un apprentissage censé le métamorphoser en un vrai tueur avec une métaphore sur la transmission du savoir d'une génération à la suivante, et pour les cinéphiles, un passage qui a servi de toute évidence d'inspiration à "Blueberry, l’expérience secrète", le film de Jan Kounen (2004). Cette transformation, cette évolution du jeune homme (après avoir été brutalement et brusquement exposé à la violence et la cruauté des hommes dans "Un diamant pour l'au-delà") se fera dans la douleur : il découvre l'amour, les improbables coïncidences, et finit par comprendre qu'il peut se haïr avant d'être sauvé par son mentor, le Bouncer. Ce dernier fait montre d'abnégation jusqu'à la fin, peut-être pour racheter sa famille dysfonctionnelle, et offrir ainsi une chance à cette nouvelle génération (il parle bien de "ses neveux"). Enfin - et c'est difficilement envisageable après avoir terminé le premier tome -, Ralton parvient presque à expier ses crimes ; l'improbable rédemption a donc lieu, malgré lui, car si le personnage reste mauvais jusqu'au bout, son acte ultime profitera à d'autres. Jodorowsky mène son intrigue tambour battant et captive l'attention du lecteur, qui pourra regretter que la violence et la cruauté d'une approche qui se veut naturaliste l'emportent sur l'émotion, bien que la conclusion laisse place à l'espoir. La partie graphique est superbe. Boucq produit rarement plus de huit vignettes par planche, et il les présente dans un découpage cinématographique, en 16/9e, avec des bandes qui occupent la largeur de la page. La diversité des physionomies, des plans, et le sens de la perspective sont admirables. La réussite est parachevée par la mise en couleur de Fructus grâce à une opulente palette de tons.

"La Pitié des bourreaux" est un bon album qui surprend par son optimisme, malgré la sauvagerie et la violence inhérentes à cette série. La tragédie familiale apparaît comme définitivement conclue, et le dénouement laisse entrevoir un certain espoir.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

3 commentaires:

  1. Je n'ai pas gardé plus de souvenirs que pour le premier tome, et je constate que la dose de cruauté continue de te déranger. Je suppose qu'il s'agit plutôt d'un bon signe. :)
    Maintenant que j'y repense la violence avec maltraitance des corps, les blessures et la cruauté sont des ingrédients qu'on retrouve régulièrement dans les œuvres d'Alejandro Jodorowsky.

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    1. Je ne sais pas si c'est bon signe :-) ; j'avais trouvé que Jodorowsky forçait franchement le trait dans le premier tome de la série. Comme tu le soulignes si justement, ce sont des ingrédients récurrents dans son œuvre ; il y a peut-être une quinzaine d'années de cela, j'avais lu quelques tomes de "La Caste des Méta-Barons", et ça m'avait déjà marqué à l'époque.

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  2. La caste des Méta-Barons : extraordinaire souvenir de lecture en ce qui me concerne.

    J'ai offert quelques albums de Jodorowsky à mon fils et il est devenu un de ses auteurs favoris. Une fois que j'aurais fini mes séries en cours, je lui emprunterai Le lama blanc.

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