mardi 22 octobre 2019

Harry Dickson (tome 1) : "La Bande de l'Araignée" (Dargaud ; janvier 1986)

"Harry Dickson" est une série de bande dessinée mettant en scène les aventures du personnage rendu célèbre par l'écrivain gantois Raymond De Kremer, alias Jean Ray (1887-1964). Celle-ci (car il y en a deux autres, dont une réalisée par Richard Nolane et Olivier Roman) fut créée en 1985 par les Bruxellois Christian Vanderhaeghe et Pascal Zanon (1943-2017). "Harry Dickson" sera leur unique incursion réussie en bande dessinée. 
"La Bande de l'Araignée" est le premier tome de la série (a priori, toujours en cours à ce jour) ; c'est un album cartonné de quarante-six planches. Le scénario est écrit par Vanderhaeghe. Éditeur, il aura cofondé les Éditions Blake et Mortimer. Les illustrations sont réalisées par Zanon, qui travaillera sur le titre jusqu'en 2014, avant de transmettre le témoin à un autre dessinateur. La mise en couleur a été confiée à Michel Dubois.

Londres, les années 1930, par une nuit d'automne. Une brume lugubre enveloppe la cité. Le détective Harry Dickson veille dans la bibliothèque de son domicile de Baker Street. Vêtu d'une robe de chambre, fumant la pipe, il est installé dans son fauteuil, pensif ; il examine une araignée d'argent, plus ou moins grandeur nature. Cela fait une semaine qu'il trouve cet étrange bijou sur son bureau, tous les matins. Cette nuit, il a décidé de s'enfermer dans sa pièce afin de découvrir le pot aux roses. Une lueur verte émanant du plan de travail envahit progressivement l'espace ; en son centre se matérialise une autre araignée d'argent. Deux coups retentissent à la porte de la bibliothèque : voilà Tom, l'assistant de Dickson. Lorsque ce dernier lui montre le huitième exemplaire, le jeune homme est abasourdi. Ils se mettent à spéculer ; est-ce quelqu'un qui s'évertue à démontrer sa supériorité, une force occulte ? Ayant réussi à entrer de façon mystérieuse, une jeune et jolie femme les interrompt et affirme être celle qu'ils recherchent...

À l'origine, à la vingt des années 1920, "Harry Dickson" est une série allemande de nouvelles policières traduite en néerlandais. Jean Ray en devient l'adaptateur, puis s'approprie l'univers du détective en réécrivant les histoires, voire en en inventant d'autres. Cette somme compte cent soixante-dix-huit numéros, dont "La Bande de l'Araignée", le quatre-vingt-cinquième, qui date de 1933. L'Araignée, c'est Georgette Cuvelier, une jeune et jolie brunette d'une vingtaine d'années à peine. Bien que son entrée en scène ne soit pas amenée de la façon la plus fine, la magie opère instantanément, et l'attirance entre Dickson et Cuvelier et immédiate. Lui est dans la force de l'âge ; il a sans doute une cinquantaine d'années. Mâle célibataire, vraisemblablement aisé, il incarne (sans le représenter), l'establishment de l'époque, dans une certaine mesure. Georgette, elle, semble convertie aux idéologies populistes émergentes - sans les nommer réellement - et désire devenir le suppôt du nouvel ordre mondial qui s'annonce. Ce premier face-à-face est une véritable déclaration de guerre de la part de celle qui est en fait la fille de Flax, un criminel qui joue un rôle dans les nouvelles, mais pas dans la bande dessinée. S'ensuit une captivante et effrénée série de courses-poursuites et de fusillades spectaculaires, comme autant de défis lancés par la séduisante et intrépide Georgette à Harry Dickson, entre deux invitations au flirt. Le scénario baigne dans une atmosphère qui retranscrit bien les fantasmes (souterrains, bases secrètes, ou encore trafiquants asiatiques) que suscitait cette mégalopole tentaculaire qu'était Londres. La partie graphique s'inscrit pleinement dans la tradition de l'école de Bruxelles : la volonté d'un certain réalisme, des passages comportant un texte abondant, des phylactères rectangulaires. Les personnages dessinés par Zanon souffrent de postures figées, statiques, et leurs visages ne sont pas les plus expressifs qui soient. L'artiste recourt à certaines astuces (celle de la surface plane) lorsqu'il représente les motifs à carreaux des tenues vestimentaires. Mais ses proportions sont impeccables et sa ligne claire est agréable à l'œil. Le soin maniaque apporté aux véhicules est admirable, et Zanon semble avoir consulté des brochures de mode de l'époque. Le lecteur prendra plaisir à dénicher les références (parfois flagrantes) aux grands classiques. Néanmoins, "Harry Dickson" est plus qu'un ersatz ; l'album se démarque par une intrigue d'espionnage teintée de fantastique, dans cette Londres lugubre et tentaculaire du milieu des années 30.

Les amateurs de franco-belge, de la ligne claire, de l'école de Bruxelles, des incontournables tels que "Tintin", "Blake et Mortimer", ou "Lefranc" ne résisteront pas aux saveurs de "La Bande de l'araignée", authentique réussite malgré d'évidents défauts.

Mon verdict : ★★★★☆

Barbuz

4 commentaires:

  1. Hé bien ! Voilà un commentaire qui ne s'est pas fait attendre.

    Le rappel sur les origines de publication du héros sont les bienvenues car je ne me souvenais déjà plus de tout.

    L'astuce de la surface plane : voilà un choix de représentation qui n'a jamais fait sens pour moi, particulièrement en ce qui concerne des motifs sur un tissu.

    Pas un ersatz : c'est vrai que je n'ai jamais pensé à cette série de cette façon. Comme tu l'écris, je ressentais bien l'appartenance à une école, ainsi que la personnalité propre de la série. Mais c'est vrai que je n'avais pas dû encore ouvrir de Blake & Mortimer au moment de cette lecture.

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    1. Que veux-tu... À force de lire tes articles sur "Dick Hérisson", tu devais te douter que je n'allais pas tarder à écrire celui sur "Harry Dickson" dont je t'avais parlé :-).
      Tiens, j'ai lu le premier tome de "Lefranc", "La Grande Menace" ; et comme ça, la boucle de l'École de Bruxelles est bouclée. Je me demande si l'on peut affirmer qu'André Taymans est un héritier de cette école, d'ailleurs.

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  2. Guy Lefranc : j'en ai lu aussi quelques uns. C'est rigolo que tu le mentionnes en même temps qu'André Taymans car le complétiste obsessionnel que je suis est forcément allé consulter la page wikipedia de cet auteur. Je me souvenais bien avoir vu son nom associé à celui de Guy Lefranc. Je viens d'aller vérifier : André Taymans a illustré le tome 17 (Le maître de l'atome, 2006, scénario Michel Jacquemart) et le tome 21 (Le Châtiment, 2010, scénario de Patrick Delperdange). Du coup, oui, je crois qu'on peut affirmer qu'il est un héritier de l'École de Bruxelles.

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  3. Excellent !
    En regardant les planches de de "Caroline Baldwin" qui illustrent des articles, je me suis dit qu'il y avait une filiation, quelque part.
    Pour "Lefranc", je me limiterai aux cinq premiers tomes.

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