samedi 25 janvier 2020

Bois-Maury (tome 12) : "Rodrigo" (Glénat ; août 2001)

"Les Tours de Bois-Maury" est une série en quinze volumes créée par le Belge Hermann Huppen, et dont le titre a évolué en "Bois-Maury" à partir du onzième tome. "Rodrigo", le douzième, est un album à couverture cartonnée, de quarante-quatre planches, sorti dans la collection "Vécu" de Glénat (août 2001). 
C'est avec "Rodrigo" qu'Yves H. rejoint son père sur cette série ; désormais, c'est lui qui écrit le scénario, tandis qu'Hermann produit la partie graphique (dessin, encrage, mise en couleur). 

Tolède, une nuit de 1325. Une armée assiège un château fort. Les assaillants envoient des nuées de flèches enflammées au-delà des remparts. Des incendies commencent à se déclarer à l'intérieur de l'enceinte et des cris se font entendre. La place est sur le point de tomber, aussi don Hernan se réjouit-il. Quel dommage que le roi de Castille, le jeune Alphonse XI, ne soit pas présent ! Don Hernan se tourne vers un don Joaquin bien taciturne, et s'enquiert du silence de ce dernier ; manquerait-il quelque chose ? Don Joaquin, observant le déroulement des opérations, ordonne à Don Hernan de changer de sujet ; ils sont là pour la Castille et le roi. Tandis que le déluge de projectiles continue, un bélier se met en branle et commence à pilonner imperturbablement la porte principale jusqu'à ce qu'elle finisse par céder. Précédant leurs cavaliers, les fantassins castillans s'engouffrent dans la brèche ; c'est la curée. Un soldat communique à don Joaquin qu'ils ont capturé Garmendia, chef de la bande de brigands installée ici. L'homme lui est amené : Don Joaquin lui annonce que le temps des exactions et des pillages est terminé, et que l'heure est venue pour lui de payer ses crimes. Il ne peut achever sa phrase ; pris d'un malaise, il tombe de cheval. Garmendia saisit l'opportunité, s'empare de l'épée lâchée par don Joaquin, et se prépare à occire le noble qui gît au sol inerte, mais une lame lui transperce les côtes, et le tue... 

Cette remarquable série nous offre à nouveau un récit riche dans lequel, une fois de plus, les protagonistes vivent les événements majeurs de leur époque sans y jouer de rôle-clef. Nous sommes en 1325 ; la Castille, qui a l'ambition d'unifier l'Espagne, continue sa Reconquista, sa reconquête des territoires occupés par les musulmans. Parmi les alliés d'Alphonse XI, le Castillan don Joaquin de la Vega, chevalier vieillissant au cœur fatigué, qui est fréquemment victime de malaises, d'évanouissements, et d'épuisement. Le crépuscule de sa vie se rapproche, et il le sent ; il ne souhaite pas donc à s'engager plus loin dans ce conflit, d'un côté, à cause de la maladie, de l'autre parce qu'il cherche à en préserver son fils unique et héritier, Rodrigo, digne représentant de l'idéal chevaleresque. Les fidèles de la série auront immédiatement noté les traits de ce dernier, preuve évidente qu'il y a là un mystère. Troisième personnage-clé, don Esteban, le mauvais frère, qui n'aspire qu'à la vengeance, mais qui parvient à se racheter sur le fil. "Rodrigo" est une histoire tragique ; il y est question de massacre, d'opportunisme cruel et de vie volée. Le dénouement est prévisible, mais il est captivant de découvrir, côté castillan, les mécanismes des jeux de pouvoir lors de cette période de bouleversement, une civilisation étant sur le point d'en chasser une autre. Les souvenirs du père Miguel évoquent la légende de Cordoue, présentée comme l'une des villes les plus cultivées du monde à l'époque (bien qu'en profond déclin sur le plan politique depuis le début du XIe siècle), prise par les catholiques en 1236. Le lecteur aurait apprécié plus d'exactitude dans les faits, car il semblerait, après consultation de plusieurs articles, que les persécutions racontées par le moine ne semblent pas avérées. L'archevêque de Tolède, Juan de Aragón y Anjou, si c'est lui, avait la trentaine, mais paraît ici deux fois plus vieux. Notons encore que la langue est moins riche. Quant aux Bois-Maury, parallèlement à la grande Histoire, ils continuent à écrire leur destinée, encore une fois dans le sang. Lorsqu'il illustre cet album, Hermann est âgé de soixante-trois ans. Avec "Assunta", l'artiste était passé à la technique de la couleur directe. Ses compositions (ces paysages castillans, sous leur ciel bleu profond, ces plaines arides, d'où émergent d'imposantes bâtisses aux tours carrées, faites de cette pierre jaunie par le soleil), minutieusement préparées, sont admirables et oniriques. Si ses scènes de combat expriment à la fois lyrisme et frénésie, Hermann façonne aussi une galerie de portraits très réussis. 

"Bois-Maury" est une série riche dont le maintien de la qualité au fil du temps est un modèle. L'approche naturaliste demeure, bien que le lecteur ait l'impression que le style d'Yves H. se caractérise par un propos moins fin et un texte moins truculent. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz

6 commentaires:

  1. Le retour de la série Bois Maury : curieux, je suis allé voir de quand datait ton précédent article, celui pour le tome 11, d'août 2019. Avais-tu prévu une pause aussi longue, ou est-ce dû au hasard des BD disponibles, de tes envies de lire une autre série ? Penses-tu que ton regard a été plus affûté par cette interruption volontaire ? Je suis curieux car je me pose souvent ces questions par rapport à mes propres pratiques de lecture.

    Vivre les événements majeurs de leur époque sans y jouer de rôle-clef : plus j'y pense plus je me dis que ce positionnement offre la plus grande liberté aux auteurs. Ils peuvent ainsi doser comme ils l'entendent l'exposition des faits historiques, le degré de reconstitution, les aventures de leurs personnages sans risquer les foudres d'historiens rigoureux... quoi que... en continuant la lecture de ton article, je m'aperçois que le scénariste a quand même pris de trop grandes libertés avec l'Histoire.

    Je me demande si tu as eu l'occasion de savoir ce qui a conduit Hermann Huppen à céder la fonction de scénariste à quelqu'un d'autre (son fils en qui il doit visiblement avoir confiance).

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    1. C'est drôle, car j'avais fait la même vérification avant de le poster, et j'en étais arrivé à la conclusion que je n'avais pas lu assez de "Bois-Maury" en 2019. J'ai pris la résolution de finir la série cette année. Je ne prends pas de risque, car il ne me reste que trois tomes.
      Pour répondre à ta question, j'ai trois réponses. D'abord par souci d'éviter les répétitions. Ensuite, parce qu'effectivement, j'ai lancé d'autres séries entre-temps ("Ric Hochet", "Harry Dickson", "Durango", "Tif et Tondu", etc.). Mais surtout, parce que chaque article de "Bois-Maury" me demande plus de travail que la moyenne. Et donc, il y a un aspect rédhibitoire qu'il n'y a pas pour les autres titres. Je sais que je vais devoir faire des recherches, procéder à des vérifications, parfois entrer dans les détails, etc. S'il n'y avait pas ce fichu blog ☺, cela ferait un moment que j'aurais terminé de lire cette série, je suppose. Mais ici, chaque article est un petit défi, et celui-ci n'a pas échappé à la règle.

      Je ne sais pas pourquoi Hermann a cédé la fonction de scénariste. Yves H. avait commencé dans le métier avec un album, "Le Secret des hommes-chiens", qui a été un échec, semble-t-il. C'est après cela qu'ils sont commencé à travailler ensemble. Est-ce pour l'aider à vivre de son métier ? Parce qu'il souhaitait travailler en binôme avec quelqu'un le connaissant bien ? Je l'ignore.

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  2. Merci pour cette réponse détaillée. Je comprends très bien cette appréhension des lectures dont l'article demande plus de travail que la moyenne. J'ai quelques exemples en tête. :)

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    1. Et à quoi penses-tu donc ? Quels sont pour toi les articles les plus faciles à écrire, et quels sont les plus ardus ?
      Les comics me demandent pas mal de boulot, en général, surtout la liste des numéros et le détail des équipes artistiques.

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  3. Quelques exemples de plus ardus pour moi : La vie de Bouddha (long, très dense, nécessitant de prendre de nombreuses notes pour faire honneur au récit, des recherches et vérifications pour ne pas raconter de bêtise, ne pas me tromper sur les éléments religieux, virtuosité de la narration visuelle), Deadly Class de Remender & Craig (densité de la narration, variété des thèmes abordés, personnages rarement nommés), Kaijumax de Zander Cannon (densité de la narration, personnages rarement nommés, narration visuelle très particulière), Les damnés de la Commune (propos historique rigoureux me demandant de consulter régulièrement wikipedia pour retrouver qui est qui et qui a joué quel rôle, narration visuelle très particulière), The Walking Dead (continuité, nombre de personnages, intelligence des thèmes développés, effort pour ne pas me répéter au fil de la trentaine de tomes).

    Par comparaison, les récits de superhéros sont généralement plus faciles : je connais déjà les personnages et le l'effort créatif des auteurs est plus dirigé vers le divertissement que vers la réflexion. Par exemple : Avengers de Jason Aaron, Spider-Man de Nick Spencer, Hulk d'Al Ewing. Les séries indépendantes également axées vers l'action (Kick-Ass the new girl de Steve Niles, Redneck de Donny Cates).

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