"Harry Dickson" est une série de bande dessinée mettant en scène les aventures du personnage rendu célèbre par l'écrivain gantois Raymond De Kremer, alias Jean Ray (1887-1964) ; celle-ci - car il y en a deux autres, dont une réalisée par Richard Nolane et Olivier Roman - fut créée en 1985 par les Bruxellois Christian Vanderhaeghe et Pascal Zanon (1943-2017). "Harry Dickson" sera leur unique incursion réussie en bande dessinée.
"Les Spectres bourreaux" est le deuxième tome de la série (a priori, toujours en cours à ce jour) ; c'est un volume cartonné de quarante-six planches. Le scénario est écrit par Vanderhaeghe. Les illustrations sont produites par Zanon, qui travaillera sur le titre jusqu'en 2014, avant de transmettre le témoin à un autre artiste. Linh Vo Manh a contribué aux décors ; la mise en couleur a été réalisée par Véronique Grobet et Éric Terroir.
À l'issue du tome précédent, Dickson et ses alliés de Scotland Yard arraisonnent le cargo Jacob Heemskerk. Mais Georgette et Pratt s'emparent de l'hydravion, et réussissent à s'échapper.
Les années trente. Un hydravion de type Dornier Do 18, sans immatriculation, survole l'océan Indien. À son bord, Georgette Cuvelier, qui est installée aux commandes, et Montague Pratt, son complice, qui officie comme copilote. Cuvelier a repéré l'objet de leurs recherches : le HMS Newcastle, un croiseur léger de la Royal Navy. Pratt calcule les coordonnées du navire ; il se trouve à trois cents kilomètres de la base. Les renseignements étaient justes ; Cuvelier d'ajouter qu'ils "valent de l'or". Une heure trente plus tard, ils amerrissent dans la rade d'un port situé en Somalie italienne où un officier italien, le prince Valerio, attend sur le ponton. Il demande quelles sont les nouvelles ; Pratt répond que leur mission est accomplie. Cuvelier souligne que la cible a bien été repérée, sur l'itinéraire prévu...
"Les Spectres-bourreaux" est une adaptation du roman ou de la nouvelle éponyme qui est le quatre-vingt-cinquième des cent soixante-dix-huit numéros, et qui date de 1933. On y retrouve ce mélange d'ingrédients qui avaient plutôt bien fonctionné dans "La Bande de l'Araignée" : cette atmosphère inquiétante qui laisse présager de la tragédie de la Seconde Guerre mondiale, un soupçon d'ésotérisme ou de fantastique, la rivalité teintée de sentiments troubles entre Dickson et Georgette Cuvelier, du suspense, et une bonne dose d'action. Le cocktail que propose "Les Spectres-bourreaux" est cependant moins équilibré que dans le numéro précédent. Cela commence pourtant on ne peut mieux, avec une séquence de casse hors norme d'une dizaine de pages, qui vaut la lecture de l'album à elle seule. Mais Vanderhaeghe, sans doute par respect du matériau d'origine, encombre sa narration d'éléments qui resteront superficiellement exploités, finalement ; le lecteur a ainsi droit à une rapide leçon sur les sociétés secrètes britanniques. Ensuite, ce ne sont pas les invraisemblances qui manquent (par exemple, l'absence de surveillance de "l'usine" de Berlin-Moabit, ou la combinaison du coffre). Il y a également quelques défauts de forme : le scénariste, s'il produit un louable effort de style dans ses cartouches, écrit des dialogues qui auraient gagné à être moins verbeux. Les phylactères peuvent être incroyablement encombrants et occuper plus de la moitié d'une case. Malgré ces imperfections, "Les Spectres-bourreaux" est une bande dessinée de facture classique qui est efficace. Zanon est un dessinateur étonnant, au trait fortement inspiré de celui d'Edgar P. Jacobs (1904-1987). Ses illustrations fournissent un niveau de détail très appréciable. Ses silhouettes présentent des proportions réalistes, mais ses postures traduisent avec peine la dynamique du mouvement et les visages ne reflètent qu'un éventail limité d'émotions. Point étrange, l'encrage est généralement absent des compositions de l'artiste, qui ne représente pas les ombres de ses personnages. Néanmoins, il le fait pour ses véhicules, auxquels il apporte un soin scrupuleux, en fidèle disciple de la tradition de l'école de Bruxelles ; il le démontre amplement dans les dix premières planches évoquées plus haut, entre l'hydravion, les bombardiers, le croiseur HMS Newcastle, ou l'U-Boot. Cette même minutie est appliquée aux bâtiments, intérieurs, ou autres cadres (cf. les rues du quartier de Shadwell), sans que le lecteur puisse réellement connaître la répartition du travail entre Zanon et son décoriste Vo Manh.
Le scénario des "Spectres-bourreaux" souffre de défauts de conception et le style de Zanon ne montre guère de progrès d'un album à l'autre. Malgré tout, cette histoire conserve une certaine efficacité, et puis... les dix premières planches valent de l'or.
Mon verdict : ★★★☆☆
Les phylactères peuvent être incroyablement encombrants et occuper plus de la moitié d'une case. - En cela il reprend aussi a façon de raconter d'EP Jacobs. En lisant ta remarque, j'en déduis qu'il le fait en moins bien, avec un style plus ampoulé et moins efficace ?
RépondreSupprimerL'artiste ne représente pas les ombres de ses personnages. - Cela fait partie des caractéristiques de la ligne claire telle que mise en œuvre par Hergé. Dans l'article wikipedia sur la ligne claire, les caractéristiques sont listées dont celle-ci :
les ombres des personnages ne sont jamais représentées (mais celles des véhicules le sont !)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_claire
Là, je débarque. J'avoue que je ne connaissais pas ce "commandement" d'Hergé. J'ai vérifié dans "Lefranc" et "Blake et Mortimer" ; c'est vrai que les ombres sont souvent omises, et qu'elles sont très succinctes, réduites à leur strict minimum lorsqu'elles sont représentées. Je suis donc passé à côté toutes ces années !...
SupprimerMerci d'avoir partagé cet article.
J'avais été amené à chercher une définition claire et fiable de la Ligne Claire, ayant fini par me rendre compte que je ne savais pas de quoi je parlais, et ayant lu plusieurs remarques sur des commentaires quant à l'usage souvent peu précis de ce terme. J'avais trouvé l'article de wikipedia plutôt bien fait.
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