"La Proie d'Hugo Strange" est un album à couverture cartonnée de deux cent cinquante planches (il n'y a aucun bonus). Il est sorti en septembre 2014 dans la collection "DC Nemesis" d'Urban Comics. Cette dernière réunit des récits dont les vilains de DC Comics sont les personnages principaux. Ce recueil renferme deux récits complets : "La Proie d'Hugo Strange" (en VO, "Prey", publié entre septembre 1990 et février 1991 dans les "Legends of the Dark Knight" #11-15) et "Terreur" (en VO, "Terror", publié entre janvier et mai 2001 dans les "Legends of the Dark Knight" #137-141), sa "séquelle". "La Proie d'Hugo Strange" avait déjà été publié chez nous aux éditions Comics USA en 1992, sous le titre "Proie", dans une édition à l'orthographe massacrée. Cette réédition est bienvenue. En revanche, "Terreur" - sauf erreur de ma part - est inédit en VF.
Ces deux histoires sont réalisées par le même tandem : le scénariste Doug Moench (voir "La Lame d'Azrael", "Batman : Knightfall", ou "Batman et les monstres") et le dessinateur Paul Gulacy ("Master of Kung Fu"). L'encrage de "Proie" a été confié à Terry Austin ; celui de "Terreur", à Jimmy Palmiotti. Steve Oliff compose la mise en couleur de "Proie", et James Sinclair (de Digital Chameleon) celle de "Terreur". La couverture, enfin, est signée Brian Bolland.
Une nuit, dans le quartier chaud de Gotham City. Un revendeur de drogue est en pleine transaction avec un quidam. Il ne sait pas que son acheteur est un policier en civil, et qu'ils sont surveillés par quatre collègues de ce dernier, dans le cadre d'une opération dirigée par le sergent Max Cort. Mais les représentants des forces de l'ordre ignorent à leur tour que Batman les observe ; il les a tous repérés. Le justicier masqué devine que Cort et ses hommes n'ont pour objectif que d'alpaguer le malfrat. Mais Batman, lui, veut lui mettre la fin au collet afin de le faire parler, dans l'espoir de remonter la filière. De son côté, Cort attend impatiemment que la marchandise change de main, et cela finit par se produire...
"Proie" (cent trente planches) se déroule juste après "Année un". Batman n'en est qu'à ses débuts (la première Bat-mobile est en cours de construction), et ses relations avec Jim Gordon et la police de Gotham City sont loin d'être normalisées. Pire : certains flics lui reprochent de ne pas les laisser faire leur boulot. Le justicier est seul, et ne peut compter sur aucun allié en dehors d'Alfred. "Proie" appartient à ces grandes histoires de Batman. Cet indispensable s'inscrit dans le sillage du fameux "Année un" - sans l'égaler. On y retrouve cette ambiance noire et étouffante de polar urbain qui a contribué au succès de l'œuvre de Miller. Moench ramène sur le devant de la scène l'un des premiers ennemis récurrents de Batman, le docteur Strange (en VO : "Professor"), créé dans le "Detective Comics" #36 de février 1940. Il est évident que Moench a particulièrement soigné son écriture, les dialogues ainsi que les cartouches des monologues intérieurs de Bruce Wayne et de Gordon. La véritable vedette de cette histoire, c'est Strange : sûr de la supériorité de son intellect, manipulateur, machiavélique, autoritaire, obsédé par la puissance, la séduction, la force physique, et le sexe, Strange est un détraqué, un vrai maniaque. Ces tirades que lui a élaborées Moench, ces monologues, où il gesticule devant son étrange compagne sont une authentique réussite. L'autre facteur du succès de "Proie" est le dessin. Les planches de Gulacy sont riches en détail. Les ombres et les couleurs nocturnes s'inscrivent parfaitement dans l'ambiance de ce récit poisseux. Les scènes de combat ont été minutieusement séquencées afin d'en accroître le réalisme et la lisibilité ; Gulacy n'a pas oublié "Master of Kung Fu". Bien que publié dix ans après, "Terreur" (cent vingt planches) est la suite directe. Moench se ne se contente pas d'une banale séquelle ; d'emblée, il surprend avec un coup de théâtre puis développe une romance entre Batman et une Catwoman très sexualisée : c'est là, la véritable intrigue de l'arc. Mais la caractérisation de l'Épouvantail, trop victimisé, déçoit, et le trait de Gulacy a changé ; il s'éloigne du réalisme en soulignant les aspects grotesques des personnages jusqu'à la caricature. L'encrage est poli, et la mise en couleur manque de contraste.
La traduction de Jean-Marc Lainé est très satisfaisante ; le texte est impeccable, vierge de toute faute et de toute coquille. Pour les collectionneurs, cette édition, la première, se caractérise par des erreurs dans les crédits (page 6, et dernière page).
Les psychiatres sont aussi fous que les criminels qu'ils soignent : un postulat que l'on retrouve dans "The Dark Knight Returns" de Miller et "Arkham Asylum" de Morrison. Si "Proie" est un essentiel, "Terreur", malgré des idées intéressantes, est en dessous.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
Entièrement d'accord avec toi en ce qui concerne Proie : indispensable, et je le mettrai même très proche de Year One. Hugo Strange est fascinant de bout en bout par sa capacité à manipuler psychologiquement Batman à distance.
RépondreSupprimerMoench a particulièrement soigné son écriture, les dialogues ainsi que les cartouches des monologues intérieurs. - En le voyant écrit dans ton article, je me rends compte que Moench a rarement été aussi juste dans son écriture.
Mais jusqu'à la caricature. - J'avais également été déçu par Terreur, que j'avais trouvé très inférieur à Proie. En particulier je n'avais pas compris l'emploi de petites étoiles quand un personnage est assommé, une touche comique que j'avais trouvé déplacée. Moench & Gulacy n'étaient pas au même niveau que pour Proie.
Ayant beaucoup apprécié le duo Moench & Gulacy sur Master of Kung-Fu, je suivais de près chacune de leur sortie : Six from Sirius I (1984) & II (1986) pour Epic Comics, Slash Maraud (1987), Conan Skull of Set (1989), James Bond 007 Serpent tooth (1992), Batman / Predator II (1995), Sci-Spy (2002).
Je pense que Moench a travaillé ses dialogues pour être en phase avec la qualité de "Year One", puisqu'il en proposait une suite. J'ai l'impression qu'il a étudié l'œuvre de près et qu'il a voulu en reproduire le ton.
SupprimerJ'espère que Panini Comics éditeront "Master of Kung-Fu", un jour.
Après des années de blocage pour question de droit sur le personnage de Fu Manchu, Marvel a réédité l'intégralité de la série en 4 omnibus, format que je ne vois pas reprendre en l'état en VF. Ils ont ensuite commencé à rééditer la série dans un format en couverture souple, moins onéreux (Epic Collection) en ayant sorti les 2 premier tomes, ce qui couvre tous les épisodes dessinés par Paul Gulacy (sauf la minisérie MAX de 2002). Mais, à ma connaissance, Panini n'a pas encore adopté le format Epic Collection en VF.
SupprimerC'est typiquement l'exemple de contenu que Panini Comics ne sortira que s'ils peuvent profiter d'une situation opportune. Je pense à leur intégrale "Iron Fist", qui n'aurait jamais vu le jour sans la série télé. Idem (concernant les intégrales) avec les séries télé consacrées à Luke Cage et aux Défenseurs, ou le film consacré au docteur Strange, etc.
SupprimerOr, Shang-Chi devrait faire l'objet d'un film, prévu pour 2021 ; ne nous emballons pas, mais la publication de ces épisodes est dont une possibilité.