vendredi 27 mars 2020

Lefranc (tome 2) : "L'Ouragan de feu" (Casterman ; septembre 1961)

"L'Ouragan de feu" est le second tome de "Lefranc" (des "Aventures de Lefranc", pour la dernière fois), une série d'aventures créée par Jacques Martin (1921-2010) qui met en scène le reporter du même nom. Cette histoire de soixante-deux planches fut prépubliée dans la version belge du magazine "Tintin" entre octobre 1959 et novembre 1960, puis elle sortit en album en septembre 1961 chez Le Lombard, et chez Casterman en 1975. 
L'album a été entièrement réalisé par Martin : scénario, dessin, encrage et mise en couleur. Martin est célèbre pour d'autres titres, "Alix", évidemment, "Jhen" aussi. En 1991, ce monstre sacré de la bande dessinée franco-belge fut diagnostiqué d'une dégénérescence maculaire qui le rendit presque aveugle, et l'éloigna des tables de dessin dès l'année suivante. Il se fit alors assister à l'écriture et il délégua son travail à d'autres artistes. 

À l'issue du tome précédent, la bombe atomique explose dans l'eau : Paris est sauvée ! Borg prend l'identité du signor Ponti di Marco, un homme d'affaires vénitien. Il réussit à s'échapper. 
Paris, gare Montparnasse. Il est 9h20. Lefranc et Jeanjean traversent le hall d'un pas rapide ; ils se hâtent vers les quais des grandes lignes. Le train de Jeanjean partira dans dix minutes, voie 15. Lefranc l'accompagne jusqu'à son wagon ; voiture 24, compartiment 7, côté fenêtre. Le journaliste remarque que les autres places sont vides ; elles ont pourtant été réservées. Il laisse Jeanjean s'installer et ressort. À la fenêtre, le garçon le remercie pour ces vacances à Paris. Il pourra les raconter aux copains et à l'oncle Pierre. Lefranc lui rappelle de changer à Folligny, où il aura quarante-cinq minutes, puis de descendre à Dol, où son oncle l'attendra. La demie de neuf heures est passée ; le coup de sifflet retentit. Lefranc, avant de lui souhaiter bon voyage, adresse à Jeanjean ses ultimes recommandations... 

Connaître les événements de "La Grande Menace" pourra être utile, sans être indispensable à la compréhension de notre histoire. Cet "Ouragan de feu" démarre sur les chapeaux de roue. En effet, Martin ne tarde pas à lancer son intrigue : premier soupçon de Lefranc, en case 4 de la première planche ; entrée en scène d'Édouard - le valet de Lefranc, un nouveau personnage - dans la dernière vignette de la même page, qui apporte un pli d'appel au secours, et c'est parti ! Les lecteurs ne savent pas à quel type d'aventure s'attendre. Dans "La Grande Menace", c'était par hasard que Lefranc avait été impliqué. Cet album commence comme un fait divers "ordinaire" ; un enlèvement, auquel succède instantanément une course-poursuite remarquablement narrée. Ce premier acte en dix planches est mené tambour battant. Puis vient la phase d'observation, d'une durée similaire, un poil plus longue ; pour cela, Martin choisit un cadre iconique : le Mont-Saint-Michel, qui, pour l'occasion, prend l'allure d'un nid d'espions. Les antagonistes se dévoilent, même si Martin ne révèle pas encore toute la teneur de l'affaire. Puis changement de décor pour le troisième round : direction le Finistère. L'adversité se renforce et le pot aux roses est découvert, tandis que l'enquête de Lefranc progresse considérablement, sans qu'il comprenne pour autant le fin mot de l'histoire. Enfin, la dernière partie, le dénouement : la plus longue, la plus riche en action, la plus spectaculaire. Martin propose donc un scénario en quatre chapitres qui présente un équilibre remarquable, avec une tension crescendo. Les caractérisations sont d'une justesse étonnante. Si ses idées sont toujours surprenantes, l'auteur pèche par ambition : dans "La Grande Menace", Lefranc sauvait Paris ; ici, il est l'acteur majeur d'événements susceptibles de changer la face du monde qui ont pour conséquence une escalade internationale, trop précipitée pour être crédible. Néanmoins, soixante plus tard, le propos, qui oppose intérêt général et intérêts privés, reste d'actualité. Visuellement, c'est admirable. Le découpage présente trois à quatre bandes, de trois à quatre vignettes chacune, et un maximum de douze par planche. Bien que le quadrillage soit conventionnel, l'artiste utilise les bords perdus çà et là. Les véhicules sont magnifiques (ah, la Facel Vega HK 500 !). Les décors du Mont-Saint-Michel et en général sont d'un réalisme confondant. Les protagonistes sont aisément identifiables. La mise en couleur, sans défaut, offre des contrastes satisfaisants. Le maître, à cette époque, a atteint sa maturité artistique. 

Bien que le dernier quart soit trop grandiloquent et donc aux dépens d'une certaine vraisemblance, "L'Ouragan de feu" est une bande dessinée de haute volée avec une intrigue passionnante et une partie visuelle qui force l'admiration. Du grand Martin !

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz 

2 commentaires:

  1. Ce qui ressort de ton article, c'est la grande rigueur de l'auteur, à la fois dans la construction de son intrigue avec l'équilibre des chapitres, dans la construction des planches, dans la justesse des décors et des véhicules.

    Je suis allé voir le lien concernant la Facel Vega HK 500 : seulement 490 exemplaires de construit en 3 ans, ça semble étonnamment peu au regard des volumes de production actuelle.

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    1. Plusieurs "grands de ce monde" avaient une Facel Vega. Ça fait partie de ces fleurons qui ont rapidement disparu. C'est bien dommage.
      J'ai vraiment été épaté par le scénario de Martin. C'est juste que j'ai trouvé la fin trop grandiloquente, trop spectaculaire. Mais c'était déjà le cas du premier tome.

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