"Verdun" est une série franco-espagnole sur la Première Guerre mondiale, créée et lancée en 2016 par Jean-Yves Le Naour, Marc Armspach dit Marko, l'Espagnol Iñaki Holgado, et Sébastien Bouët. Elle est publiée dans la collection Grand Angle de la maison Bamboo Édition ; à ce jour, elle compte trois numéros.
"L'Agonie du fort de Vaux", le second tome, est un album cartonné grand format de quarante-six planches. Le Naour écrit le scénario. Docteur en histoire, spécialiste de la Première Guerre mondiale, enseignant, essayiste, il dirige "L'Histoire comme un roman", une collection Larousse, et il est l'auteur de documentaires sur la Grande Guerre. "Verdun" n'est pas sa première incursion en bande dessinée. Graphiste, professionnel de l'animation, Marko se charge de la mise en scène. Holgado produit les illustrations. Après avoir œuvré dans l'animation, le jeu vidéo, et la publicité, il décide de se consacrer exclusivement à la bande dessinée. Pour finir, Bouët réalise la mise en couleur.
Souilly (dans la Meuse), le 23 mai 1916, au QG du général Nivelle, chef de l'armée de Verdun. Nivelle vient de terminer son exposé. Il observe ses trois officiers, demande qui se porte volontaire, et attend leur réaction ; le premier fait mine d'être plongé dans ses réflexions, le second, de lire des documents. Le troisième est le seul à être debout, face à Nivelle, et à ne pas fuir son regard ; c'est le commandant Sylvain Raynal. Il lui répond qu'il est à ses ordres ; Nivelle ajoute qu'il savait qu'il pouvait compter sur lui. Il lui rappelle ses ordres : les Allemands étant censés attaquer sous peu, Raynal devra défendre sa position avec acharnement. Raynal le salue, presque solennellement ; se voulant rassurant, il affirme que "le fort de Vaux ne tombera pas". Tandis qu'il sort et part prendre son poste, les deux autres officiers s'avouent mutuellement qu'ils ne sont pas fâchés d'y avoir échappé, car cette affaire "sent mauvais"...
Fin mai 1916. Les Allemands défont la contre-attaque française sur la rive droite de la Meuse tandis que leur propre offensive progresse sur la rive gauche ; ils peuvent envisager un assaut sur la ville de Verdun. Pour cela, ils doivent s'emparer du fort de Vaux entre autres objectifs. "L'Agonie du fort de Vaux" conte les six jours (du 2 au 7 juin 1916) lors desquels les poilus essuieront les coups de boutoir de l'ennemi. Ils subiront non seulement l'artillerie, les charges, les grenades, et les lance-flammes, mais aussi l'isolement, la promiscuité (sa population doubla en quelques jours, du fait de l'affluence de réfugiés de trois autres régiments), le manque d'eau (la citerne du fort fut fissurée à la suite des bombardements) et de nourriture, les problèmes de communication (le poste de TSF ayant été détruit, ils durent utiliser des pigeons voyageurs pour envoyer ses messages), et les dialogues de sourds avec l'État-major (qui, au fond, les laissa se sacrifier). La figure centrale de cette page d'Histoire est le commandant Sylvain Raynal (1867-1939), âgé de 49 ans à l'époque. Si en apprendre un peu plus sur le commandant aurait été bienvenu, les lecteurs devront garder à l'esprit que l'une des difficultés de ce type d'exercice est de parvenir à l'équilibre narratif entre les événements et les hommes ; c'est ici que se situent les limites de l'approche pédagogique voulue par Le Naour. Une recherche permettra aux lecteurs de découvrir que Raynal, lorsqu'il se porte volontaire le 23 mai (les autres officiers sont soulagés d'échapper à cette mission), a déjà été blessé à trois reprises. Officier de la Légion d'honneur depuis janvier 1916, il sera élevé au grade de commandeur en juin, en dans le feu de l'action. Le Naour nous le dépeint comme un soldat qui concilie discipline militaire, patriotisme, sens du devoir (il n'a pas encore totalement récupéré de ses blessures précédentes : son abdomen est recouvert de bandages), et humanité, tout en ayant conservé suffisamment de naïveté pour croire à l'arrivée de renforts. Guillaume de Prusse paraît sûr de la supériorité du modèle germanique, parfois cynique (le bref échange sur la propagande est intéressant), mais il tient à rendre les honneurs à l'adversaire. Le style d'Holgado est agréable à l'œil. Son trait, dont les rondeurs adoucissent le réalisme, dresse des portraits ressemblants (conf. le Kronprinz) ; l'artiste présente des physionomies diverses et variées. Les arrière-plans, sans surcharge, sont satisfaisants. Son quadrillage est classique. Le découpage est impeccable. La mise en couleur de Bouët souligne ces indispensables contrastes.
Bien qu'en deçà d'"Avant l'orage", "L'Agonie du fort de Vaux" se penche sur "l'un des hauts lieux de la bataille de Verdun", selon Wikipédia. Sans fanfaronnade inutile, Le Naour rend hommage à ces soldats, à ces poilus qui ont résisté jusqu'à l'épuisement.
Mon verdict : ★★★☆☆
Une de fois de plus : merci pour les liens vers wikipedia, ça m'a permis d'aller consulter la page relative au fort de Vaux.
RépondreSupprimerJe sens dans ton article que l'enjeu est de savoir comment raconter l'Histoire en bande dessinée, en particulier le dosage événements/hommes que tu mentionnes. Je me souviens que les cahiers de la bande dessinée avait consacré un numéro de leur revue à ce questionnement.
https://www.librairie-gallimard.com/livre/9791096119219-les-cahiers-de-la-bd-n-9-comment-raconter-l-histoire-en-bd-les-cahiers-de-la-bd/
Visiblement, il s'agit d'une bonne bande dessinée en ce qui concerne le devoir de mémoire et l'hommage.
Merci de cette référence.
Supprimer"Verdun" une bonne bande dessinée, c'est indéniable. Sans doute bien meilleure que d'autres séries historiques à but pédagogique. Mais je trouve que cet exercice reste "périlleux" à cause des limites du médium (quarante-six planches, c'est trop peu), couplée à la complexité de ces événements-là. Il faut parler du front, des décideurs, des hommes, du terrain, etc. ; on ne peut donc pas vraiment approfondir les caractérisations, bien que Le Naour dresse de Raynal un portrait qui sonne juste (sans évoquer les détails concernant le personnage). Finalement, le résultat m'a frustré en tant que lecteur, car j'en aurais facilement voulu le double. Je m'aperçois d'ailleurs que j'ai mis quatre étoiles, alors qu'en fait ma note était trois ; j'ai corrigé.
46 planches, c'est trop peu. - Merci d'avoir précisé ton avis avec d'autres détails. Il me semblait bien avoir perçu la frustration due à la brièveté, mais je n'étais pas sûr de ma compréhension.
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