vendredi 10 avril 2020

"Typhoon" : Tome 2 (Paquet ; août 2016)

"Typhoon" est le titre d'un diptyque consacré à une célèbre page de l'aviation de la Seconde Guerre mondiale ; il fut publié dans la collection Cockpit des éditions Paquet entre mars 2015 et août 2016 pour le second volet. Ce deuxième tome est un album cartonné (format 32,3 × 24,0) de quarante-six planches. 
Ce volume a été entièrement réalisé par l'Héraultais Christophe Gibelin : c'est-à-dire le scénario, les illustrations, le travail d'encrage, et enfin la mise en couleur. Gibelin est un collaborateur régulier du magazine "Le Fana de l'Aviation". Né en 1967, il est avant tout connu pour "Les Lumières de l'Amalou", série pour laquelle il reçoit le Grand Prix de la critique en 1991, "Le Traque mémoire", "Le Bateau feu", ou encore "Terres d'ombre". 

À l'issue du tome précédent, l'avion de Raymond Desmoulin s'écrase au sol après le décollage, tuant son pilote ; Jean assiste au drame, choqué. Plus loin, un zinc se profile dans son viseur. 
Avril 1942, sur un terrain d'aviation en Angleterre. L'aube se lève. Deux hommes patientent en silence, leur voiture garée en retrait. Le premier est en uniforme. L'autre, en civil, adossé à leur limousine, fume une cigarette, puis se débarrasse de son mégot d'une chiquenaude : l'avion qu'ils attendent, un Westland Lysander, revêtu d'un camouflage de nuit, vient de poser les roues de son train d'atterrissage. Après un instant, un passager en descend. C'est le capitaine Simon de Seys. Engourdi par le froid, il reprend ses esprits. L'inconnu en uniforme, un colonel de l'armée belge, lui souhaite la bienvenue en Angleterre ; il lui demande si son vol s'est bien déroulé. Simon ne fait état que de quelques sensations, au décollage et en passant la côte. L'autre homme, Maurice, s'installe au volant pour les conduire au quartier général, car nombreux sont les impatients à l'idée de rencontrer le capitaine et d'entendre les nouvelles du pays... 

La conclusion de ce diptyque est dans la même veine que le premier volet ; les lecteurs auront l'impression que Gibelin - en plus d'un travail évident sur le texte - aura mis encore plus d'efforts dans ses dessins. Ce qui marque instantanément, dans ce tome autant que dans le premier, c'est la volonté apparente de l'auteur de casser la linéarité de l'œuvre en mélangeant les lieux et les lignes temporelles ; le résultat engendre néanmoins une complexité superflue dans la narration, bien que l'intention d'entremêler les différentes sous-intrigues reste louable. Le texte est travaillé dans la lignée du volet précédent. Gibelin propose donc une succession de dialogues, de pages sans paroles, et de longs passages introspectifs retranscrits sous la forme du journal intime de Jean. L'auteur prend le soin d'équilibrer les trois formes narratives et évite ainsi l'écueil d'une répartition bancale. Les thèmes abordés là s'inscrivent dans le sillage de la première partie : y figurent, entre autres, la honte due à l'échec et la peur de ne pas être à la hauteur, la solitude, l'éloignement, l'absence (forcée) de communication entre des êtres aux liens forts, le besoin d'honorer ceux que l'on aime, ou encore la cruauté du destin qui devient l'infernal grain de sable dans un plan minutieusement préparé. Enfin, il faut noter le désir de vérité historique dans la fiction et l'effort de documentation du scénariste ; Gibelin, dont il est indéniable qu'il a fait ses recherches, glisse quelques références, dont une à Raymond Lallemant (malgré la faute au nom), un "as" belge crédité de cinq victoires. Si l'auteur réalise une œuvre qui va bien au-delà de la "simple" bande dessinée sur l'aviation militaire, cela ne l'empêche pas de produire une partie visuelle qui comporte des planches vraiment exceptionnelles ; l'artiste multiplie les compositions complexes et étudiées, par exemple des doubles pages avec des inserts centraux ou latéraux, comme s'il essayait de représenter un album photo, ou un journal intime enrichi de clichés. Cela génère certaines scènes qui sont visuellement extraordinaires ; retenons, parmi d'autres, le survol de la Manche, avec, en incrustation, le Stirling au sol, Simon devant le siège bruxellois de la Gestapo, l'arrivée sur Bruxelles, mais c'est d'abord la séquence hyperréaliste du mitraillage du dragueur de mines la plus impressionnante, sans doute la plus magique de l'album. Enfin, Gibelin parvient également à varier les atmosphères, revêtant les passages consacrés à la sous-intrigue du siège de la Gestapo d'un voile teinté d'expressionnisme, grâce à son travail sur les ombres, sensationnel. 

"Typhoon" est un diptyque dont l'ambition artistique se reflète dans le second volet encore plus que dans le premier, surtout dans le dessin. Cette œuvre à la narration complexe se caractérise aussi par une réflexion personnelle sur l'essence d'un texte. 

Mon verdict : ★★★★☆ 

4 commentaires:

  1. Ton commentaire argumenté et dithyrambique sur les planches me donne une furieuse envie de les regarder au plus vite... après le confinement. En plus les thématiques que tu énonces sont très alléchantes : honte due à l'échec peur de ne pas être à la hauteur, solitude, éloignement, absence de communication, besoin d'honorer ceux que l'on aime, l'infernal grain de sable dans un plan minutieusement préparé.

    Pourtant voilà une BD dont je n'aurais jamais entendu parler si je ne lisais pas ton blog.

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  2. Cette bande dessinée mêlant aviation et guerre me fait penser que Mattie Boy a publié un article sur le deuxième cycle d'Angel Wings, où les dessins (mais pas tant les constructions de page) sont également de toute beauté.

    http://www.brucetringale.com/encore-du-plomb-dans-laile-angel-wings/

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    1. Ma seule réserve, par rapport à "Typhoon", est l'entremêlement des lignes temporelles sans indication de la part de l'auteur. C'est ce qui lui a coûté une étoile, car j'étais parti pour en mettre cinq.

      "Angel Wings" m'avait bien tenté, à une époque. Mais j'ai préféré la laisser de côté et j'ai fini par l'oublier. Cet article a à nouveau éveillé mon intérêt ; pourquoi pas ? J'avais lu "Le Grand-Duc" des mêmes auteurs, et j'avais trouvé ça plutôt bon ; j'avais mis quatre étoiles à chacun des trois tomes.

      P-S : Ça n'a rien à voir, mais je suppose que tu as vu que ton blog recevait du pourriel ?

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  3. Oui, j'ai vu pour les pourriels : je les ai supprimés.

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