vendredi 3 juillet 2020

Blueberry (tome 23) : "Arizona Love" (Dargaud ; octobre 1990)

"Arizona Love" est le vingt-troisième tome de "Blueberry". C'est un album grand format, à couverture cartonnée, sorti chez Alpen en octobre 1990 puis réédité par Dargaud en 1994. Il compte cinquante-six planches. C'est "Le Second Retour à la vie civile", cette saga alternant cycles et aventures en un recueil. 
"Blueberry" est une série créée par le scénariste belge Jean-Michel Charlier (1924-1989) et l'illustrateur français Jean "Gir" Giraud (1938-2012). Si l'on souhaite être exhaustif, elle fut tout d'abord intitulée "Fort Navajo, une aventure du Lieutenant Blueberry", puis, à partir du quatorzième tome, "Une aventure du lieutenant Blueberry""Lieutenant Blueberry" à compter du vingtième, "Blueberry" au vingt-troisième, et "Mister Blueberry" au vingt-quatrième. Pour finir, à ce jour, et depuis 1993 et la réédition de tous les numéros chez Dargaud, "Blueberry"

À l'issue du tome précédent, Blueberry sauve la vie du président Grant en abattant Allister. Enfin innocenté et réhabilité, il reprend la route pour assister au mariage de Chihuahua Pearl. 
Nouveau-Mexique, à Tacoma, fin 1872. L'église de la ville accueille la cérémonie de mariage de Duke Stanton et Chihuahua Pearl. Les sbires de Stanton, eux, célèbrent l'événement dans le saloon situé de l'autre côté de la place. Leur chef, Traber, est particulièrement loquace. Il raconte que Stanton attendait ce moment "depuis un bon bout de temps". Le patron est un veinard : Chihuahua Pearl est une jolie femme ! Ils ne devraient plus tarder à se dire "Oui". À ces mots, Blueberry, qui était là en train de prendre un repas, demande l'addition. Traber déclare qu'il paye une tournée générale de bière ou de whisky. C'est Stanton qui régale. Un joueur de poker décline l'offre. Boire à la santé de Stanton ? Très peu pour lui. Traber dégaine, s'approche du téméraire et lui ordonne de répéter ses propos... 

"Arizona Love" est le dernier tome de "Blueberry" écrit par Charlier, qui décédera avant sa parution. Le Liégeois n'aura pu en écrire qu'un peu plus d'un tiers ; Giraud se chargera du reste. C'est autant un faux western qu'une parodie d'histoire d'amour ; c'est surtout un vaudeville. Son titre aurait pu être plus explicite : "L'Idiot, la belle, et le cocu", par exemple. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Blueberry se comporte ici comme un vrai naïf qui se laisse mener par le bout du nez ; comment ce stratège aguerri, ce fin tacticien peut-il se faire rouler dans la farine de la sorte ? Quant à Pearl, son attitude est pour le moins équivoque : menteuse ? Manipulatrice ? Vénale ? Ou juste une femme indépendante à l'extrême pour qui la fin justifie les moyens ? Les lecteurs choisiront. Et enfin Stanton. Bellâtre faussement éconduit à la suite des événements, il est ridiculisé. Charlier propose une lecture du personnage à contre-pied de l'archétype du riche vilain sans scrupules du genre : il n'impressionne même pas ses sbires. La légèreté de ce récit clairement orienté vers la comédie ne s'arrête pas là : les shérifs, qui n'aspirent qu'à une certaine tranquillité, sont dépassés, et subissent malgré eux cette cascade de cirsonstances incontrôlables. Notons un clin d'œil à confirmer à "Chasseur de primes", le trente-neuvième tome de "Lucky Luke". Au fond, Charlier n'a pas eu à forcer l'autodérision de cette histoire ; Blueberry a toujours été un pince-sans-rire, et l'humour était déjà très présent, notamment grâce à MacClure, amuseur de la série. "Blueberry" comportait dès le départ des éléments comiques, dont l'objectif était d'alléger la lecture d'intrigues sérieuses, impliquant une certaine dose de violence. Cet exercice est là d'autant plus frappant que Charlier s'éloigne complètement des grands thèmes ; de même pour Blueberry, qui, après des aventures épiques d'une ampleur hors norme, n'aspire qu'à goûter aux douceurs de l'hymen avec Chihuahua Pearl, malgré cette relation, explosive et synonyme de complications. Oubliés, la question indienne, le cheval de fer, le complot contre Grant. "Arizona Love" évoque encore le crépuscule d'un héros qui échoue à se ranger. Giraud produit une partie graphique particulièrement aboutie. Les cases aux formes tarabiscotées et l'emploi de flèches pour indiquer le sens de lecture sont de vieux souvenirs. Certains phylactères sont à cheval sur les gouttières en plusieurs endroits, mais cela gêne moins la lecture que dans "Le Bout de la piste". Notons, enfin, le contraste entre le visage lisse et pur de Pearl et celui de Blueberry, marqué, buriné. 

L'intérêt principal de ce volet est qu'il fut le dernier écrit par Charlier. Pour le reste, l'ambiance est vraiment légère ; les lecteurs n'auront pas forcément l'impression de lire un "bon vieux Blueb", et le temps des cycles épiques leur semblera bien loin. 

Mon verdict : ★★★☆☆ 

Barbüz
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2 commentaires:

  1. Charlier n'a pas eu à forcer l'autodérision. - Je trouve que c'est toujours un pari risqué pour les auteurs de changer de registre dans une série. Par exemple, les superhéros sont déjà un genre parodique en soi : des adultes s'habillant avec des costumes moulants bariolés et tirant des lasers avec leurs yeux. Du coup, très rares sont les auteurs capables d'intégrer de la dérision dans un genre aux conventions déjà ridicules tellement elles sont exagérées.

    Je présume que certaines conventions de western sont elles aussi ridicules quand on les prend au premier degré. Difficile aussi pour le lecteur qui s'est investi émotionnellement dans des personnages d'accepter que les auteurs les ridiculisent, qui plus est s'ils ne respectent pas le caractère desdits personnages.

    Les cases aux formes tarabiscotées et l'emploi de flèches pour indiquer le sens de lecture sont de vieux souvenirs. - Une évolution de la qualité de la narration graphique, ce qui rend outils (cases tarabiscotées et flèches) obsolètes, d'un autre temps. En y repensant, je me souviens qu'il y a un auteur de comics qui continue à utiliser les cases tarabiscotés, et qu'effectivement à chaque fois ça me choque visuellement, alors même qu'il s'en sert pour évoquer un état d'esprit chaotique, confus ou agressif.

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    1. Ici, c'est vraiment l'icône Blueberry qui est parodiée, plus que le genre western. J'ai eu le sentiment que Charlier cherchait à caser un archétype de héros en le faisant aspirer à une vie rangée, loin de tout, et qu'il posait la question de la possibilité de la chose ; héros un jour, héros toujours ? Je n'ai pas réussi à savoir si Giraud avait fini l'album sur les indications de Charlier en les suivant à la lettre ou s'il avait eu une certaine marge de manœuvre.
      Semi-déception pour moi que cet album. Je crois tout simplement que j'attendais trop de la part du dernier tome écrit par Charlier. Il n'empêche que j'ai changé d'avis : je vais lire les suivants quand même.

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