mercredi 8 juillet 2020

"Britannia" (tome 3) : "Les Aigles perdues de Rome" (Bliss Comics ; mars 2019)

"Les Aigles perdues de Rome" est le troisième tome - et a priori le dernier - de "Britannia", un titre lancé par Valiant en 2016. Il a été publié chez Bliss Comics en mars 2019 sous la forme d'un album à couverture cartonnée (format 17,4 × 26,4 cm) ; il compte à peu près quatre-vingt-dix planches, sans inclure les douze pages de bonus, qui proposent des variantes des couvertures, ainsi que des dessins en noir et blanc à la fin du recueil. Cet ouvrage comprend les versions françaises des quatre numéros de la mini-série "Lost Eagles of Rome", sortie entre juillet et octobre 2018 en VO. 
Peter Milligan a scénarisé les quatre chapitres ; c'est Robert Gill qui en a réalisé les illustrations. Gill encre ses propres planches, avec l'aide de Juan Castro dans les numéros 3 et 4 et de Brian Thies dans le 4. La mise en couleur a été partagée entre l'Espagnol José Villarrubia, l'Argentin Diego Rodriguez, et Andrew Dalhouse

À l'issue du tome précédent, Néron décide de ne pas donner sa liberté à Achillia. Quant à Elissa, elle échappe de peu à l'arène et aux lions, grâce à Rubria, et est finalement réduite à l'esclavage. 
Rome. Antonius Axia et Bran s'apprêtent à pénétrer dans un repaire de faussaires. Axia ordonne à son serviteur d'être prudent car ces malfrats pourraient être dangereux. Bran est sceptique : vont-ils les attaquer à des sacs de pièces de cuivre ? Axia insiste sur la nécessité d'être préparé. Sur ce, ils défoncent la porte du pied. De l'autre côté, l'endroit sombre est vide et le désordre règne. Ils sont arrivés trop tard, les faussaires ont quitté les lieux. Axia ramasse une pièce à terre : un faux denier. Cela se voit au profil de Néron, car ses joues et son nez sont trop gros. Bran demande s'ils seront payés par Néron ; Antonius rétorque que lorsque l'on travaille pour cet empereur, rester vivant est déjà "une récompense en soi". Bran le sauve d'une brique perdue lancée à sa tête : il y a une émeute ! Axia s'étonne : Rome a suffisamment de pain... 

Le scénario des "Aigles perdues de Rome" est découpé en deux séries de séquences narrées alternativement, l'enquête d'Antonius Axia, et les intrigues et la politique à Rome, qui consistent notamment en des confrontations verbales entre l'empereur Néron et la vestale Rubria, l'alliée d'Axia. Le synopsis laisse sous-entendre un certain cadre, mais les épisodes prennent rapidement une autre direction. C'est sans doute la seule surprise que réserve cet album et elle est d'ailleurs amenée très tôt. Cette histoire se caractérise par une linéarité prononcée : les lecteurs suivent Antonius et Achillia d'un point A (Rome) à un point B (Alexandrie), jusqu'à ce que l'enquête soit terminée et l'énigme résolue ; tout cela suit un fil presque rectiligne que quelques échauffourées téléphonées viennent à peine perturber. Antonius n'éprouve guère de difficultés majeures à faire avancer l'enquête. Les rebondissements n'en sont pas vraiment, l'identité du coupable étant rapidement révélée. Les éléments fantastiques et surnaturels du titre, qui faisaient son intérêt dans "Britannia", sont en retrait, l'auteur se focalisant sur l'investigation en rapport avec un complot contre Rome, sans réelle originalité. Milligan a la bonne idée de remplacer le personnage de Bran par celui d'Achillia et il donne naissance - sans la développer de façon suffisante - à une romance entre Axia et Achillia. Le duo est malheureusement sans substance, et échoue à créer une dynamique véritablement palpitante et pimentée. Milligan, pour le reste, met en évidence les relations conflictuelles entre patriciens et plébéiens, et insiste sur la folie présumée de Néron en évoquant le grand incendie de Rome et la persécution des chrétiens. La partie graphique est de qualité, mais manque de fantaisie. Le trait de Gill est réaliste, avec une belle représentation du mouvement. Sa palette d'expressions est satisfaisante. Le découpage est clair ; l'emploi d'inserts indique une volonté de rythme narratif. Le niveau de détail des décors et des arrière-plans est suffisant. Mais les lecteurs constateront ce que la série devait à Juan José Ryp et son sens de l'expressivité presque outrancière ainsi qu'aux couleurs vives de Jordie Bellaire. Enfin, il y a eu une bataille de Teutobourg, en 9 - et pas sous Néron. 
La traduction de Mathieu Auverdin, des studios de MAKMA, est honorable. Une seule faute, mais de taille, puisqu'elle se retrouve dans le titre : "aigle" est ici féminin, et non pas masculin. Un autre point : "compagnonne" ne figure pas dans le Larousse. 

Le dernier tome de la série est sans rythme, mais se laisse lire réel sans déplaisir ; la folie baroque du premier volet est bien loin, et l'absence de l'art de Ryp se fait cruellement sentir. C'est dommage parce que "Britannia" avait un énorme potentiel. 

Mon verdict : ★★★☆☆ 

Barbüz 
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3 commentaires:

  1. Je n'avais pas vu pour le titre : ça m'a fait sourire, car en écrivant mon commentaire j'avais dû aller vérifier le genre d'aigle dans ce contexte.

    Cette fois-ci, j'ai un peu plus apprécié ce tome que toi. J'avais trouvé qu'en ce qui concerne la reconstitution historique, Peter Milligan en donne un peu plus pour son argent au lecteur, que dans les 2 tomes précédents. Il y a donc les aigles romaines et le symbole qu'elles constituent, la réalité des blessures des vétérans, l'autonomie d'un préfet d'une province très éloignée de Rome, la représentativité des peuplades des territoires conquis, et l'assimilation ou non de leurs cultures. Il parvient également à mieux doser l'importance des croyances en des dieux. Antonius Axia affirme à plusieurs reprises qu'il ne croit plus aux interventions divines, alors qu'Achillia y ajoute foi. Du fait qu'elle est un personnage principal, il n'y a pas de ridiculisation de cette foi. Robert Gill s'avère peut-être plus pertinent comme dessinateur que Juan José Ryp. En effet, le lecteur ne ressent pas ce léger sentiment d'exagération qui tire les dessins vers le baroque. Gill n'insuffle pas cet état d'esprit vaguement ironique, car il s'en tient à des dessins descriptifs et réalistes, sans chercher à les charger d'une énergie supplémentaire. Le lecteur prend plus au premier degré la reconstitution historique : les armures des soldats romains, la riche toge de Néron, les vêtements sales des vétérans vivant dans la rue, la robe brodée de Verres, les bâtiments de Rome, son port, l'immense bibliothèque municipale, etc.

    Finalement, j'ai préféré cette approche plus sage, à la folie baroque du premier volet. Les goûts et les couleurs...

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    1. Merci d'avoir partagé ton contravis et de l'avoir fait de manière argumentée.
      Ce n'est certainement qu'un pure coïncidence, mais le rythme de cet album et la nature de cette intrigue - outre le cadre, bien entendu - m'ont fait penser à "Alix Senator".

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    2. Ce tome m'avait également fait penser à Alix Senator et à son enquête à Alexandrie dans le tome 2. Comme déjà évoqué, ce n'est pas le même niveau de reconstruction historique.

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