"Les Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec" est une série toujours en cours à ce jour, créée par le Valentinois Jacques Tardi en 1976. Les deux premiers tomes ("Adèle et la bête" et "Le Démon de la tour Eiffel") sortirent directement en albums chez Casterman au même moment, janvier 1976. Les volumes suivants furent d'abord prépubliés dans "(À suivre)", magazine mensuel qui appartenait à l'éditeur, avant de sortir en albums.
"Le Savant fou" est le troisième épisode ; il a été entièrement réalisé par Tardi à l'exception de la mise en couleur, qui a été confiée à Anne Delobel qui était alors la compagne de l'auteur. C'est un album à couverture cartonnée qui compte quarante-six planches. Depuis 1977, il y a eu, à ce jour, quinze éditions.
À l'issue du tome précédent, Caponi est rétrogradé agent de la circulation, Dugommier reste en poste et Clara Benhardt, en fuite, planifie sa vengeance. Adèle a l'impression d'être suivie.
Paris, janvier 1912. La capitale est sous la neige. Adèle Blanc-Sec a repéré celui qui la file ; cette fois, elle veut en avoir le cœur net. Elle s'arrête au coin d'une rue, lève son parapluie, qu'elle tient à deux mains, et attend ; au moment où l'homme arrive, elle abat son arme de fortune d'un ricanement rageur, et étourdit ainsi... "le petit monsieur du Jardin des plantes !" Robert Espérandieu ! Adèle lui présente de plates excuses ; voilà une curieuse manière de témoigner sa gratitude à celui qui l'a tirée du bassin des crocodiles. Mais quelqu'un la suit, et comme elle n'a pas reconnu Espérandieu immédiatement, elle l'a pris pour cette personne. Espérandieu estime que c'est "bien naturel" que l'on suive "une jolie fille" comme Adèle. Il veut lui parler "d'une chose extraordinaire" qui devrait la "passionner", il en est sûr : le professeur Ménard, conservateur du Muséum d'histoire naturelle, et d'autres amis l'attendent, pas loin d'ici...
Des premiers tomes, "Le Savant fou" est celui dans lequel Tardi pousse le plus loin l'esprit de satire, la loufoquerie, le grotesque, et l'absurde. Tardi, bien plus que dans ces deux volets, exprime ici le mépris que lui inspirent l'armée et la police. Cela se traduisait de manière moins directe dans les numéros précédents ; là, Adèle Blanc-Sec se moque copieusement des représentants de ces corps. Autre cible des piques de Tardi : les savants et leur vision du progrès. Si, dès le départ de la série, ils sont présentés comme des farfelus pouvant être dangereux malgré eux, c'est encore pire ici, tant ils semblent enclins à mettre leur génie au service des nations ou de leurs propres désirs plutôt qu'à celui du bien-être des hommes. Le contraste, c'est Alexandre, dépeint comme un fin esthète, éloquent, amateur de bonne chère et jouisseur des plaisirs de la vie, avant que son esprit ne régresse jusqu'à redevenir bestial et agressif, comme si celui qui portait un uniforme de soldat était condamné à céder à ce type de comportement. Le clergé en prend pour son grade, lui aussi ; le tour des grandes phobies de tout anarchiste de gauche est effectué. Dans sa "Monographie" sur Tardi, Thierry Groesteen écrivait au sujet de l'auteur que "les catégories de gens qui l'horripilent sont les militaires, les flics, les curés, les enseignants et les militants". Et Romane Dufrane : "dès les années 1970, Tardi est perçu comme l'auteur anti militariste, anti-autoritaire, un peu anarchiste, un peu classé à gauche, avec des principes à contre-courant de son époque, voire contre son époque" : de là, peut-être, une forme de méfiance aiguë à l'égard des "savants". Quoi qu'il en soit, Tardi conçoit une farce misanthrope, fortement pimentée de dérision et de tristesse, dans laquelle Adèle Blanc-Sec est la seule à conserver la tête sur les épaules dans le chaos ambiant. Curieusement - ou pas, Caponi apparaît ici comme un opportuniste sans morale alors qu'il semblait plutôt honnête - bien que balourd - dans les deux premiers tomes. Dans les dessins, Tardi continue son hommage à Paris : le Monument à Danton, place Henri-Mondor, le Monument à Raspail, square Jacques-Antoine, la place Denfert-Rochereau et la cathédrale Notre-Dame de Paris. La plupart des scènes se déroulent la nuit, ajoutant ainsi un côté lugubre à l'intrigue. Le découpage est satisfaisant en matière de lisibilité. L'artiste utilise une belle diversité de plans et de perspectives. Son niveau de détail épate : les plaques d'égout, par exemple. Il va jusqu'à reproduire les traces des roues des automobiles et des fiacres dans la neige.
Cet album est significativement en dessous des deux précédents. Il n'en reste que les lecteurs ne pourront que s'amuser devant la scène du retour à la vie d'Alexandre, ainsi que par la saveur vaudevillesque de la fin, même si celle-ci traîne en longueur.
Mon verdict : ★★★☆☆
Barbüz
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Satire, loufoquerie, grotesque absurde : j'aurais cru que cette approche se marierait mieux avec Adèle Blanc-Sec, qu'avec Mike Blueberry. Le faible nombre d'étoiles découle-t-il d'une charge trop énorme et trop caricaturale contre les cibles préférées de l'auteur, qui se fait au détriment de l'intrigue, ou du tout du moins de l'histoire ? Pourtant, Adèe Blanc-Sec semble échapper à ce jeu de massacre, et tu indiques que Tardi n'oublie pas le premier degré avec la tristesse. Un mauvais dosage des ingrédients de ce que je comprends de ton commentaire.
RépondreSupprimerAmour de Paris & Niveau de détails : ça m'avait aussi frappé quand j'avais lu ces albums il y a une quinzaine d'années.
C'est effectivement la surdose au détriment de l'intrigue, oui. J'ai trouvé celle-ci moins captivante que celles des deux premiers albums, où le complot était d'une ampleur plus immédiate, plus urgente, et dont plus convaincante pour les lecteurs.
SupprimerJ'ai hésité à proposer une comparaison d'Alexandre et de la vision de Tardi avec Captain America. Je crois que j'avais établi un parallèle entre Thorgal et Superman. Je m'en suis abstenu, finalement, faute de place, mais aussi parce que je me suis demandé si ça aurait été cohérent ; après tout, dans mes billets sur Captain America, je n'évoque pas la vision qu'a Tardi du concept de super-soldat.
Les comparaisons - Tu as déjà pu observer que j'en fais rarement usage (généralement sur l'auteur lui-même fait une référence explicite, ou si la quatrième de couverture le met en avant comme un argument de vente décisif).
SupprimerConcernant Alexandre, il me reste trop peu de souvenirs pour émettre une observation pertinente. Par contre de ce que tu écris, j'ai l'impression qu'il serait également possible de le rapprocher des individus dotés de capacités extraordinaires inventés par des auteurs français au début du vingtième siècle, évoqués par exemple par Serge Lehman dans la Brigade Chimérique, donc pas forcément influencés par les superhéros américains.
Il est quand même probable que "Le Savant fou" soit, en partie, la satire d'une certaine bande dessinée cocardière telle qu'on la retrouve dans les comics américains. Mais le propos de Tardi est à mon avis trop anecdotique et trop caricatural pour être relié à toute œuvre plus sérieuse évoquant des super-héros français.
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