"Tif et Tondu" est une bande dessinée créée en 1938, par le Belge Fernand Dineur (1904-1956) ; son historique de publication est compliqué, la numérotation des tomes évoluant avec le temps. Si au début, Dineur cumule les postes de scénariste et de dessinateur, cela changera à l'arrivée de Willy Maltaite, alias Will (1927-2000), qui en deviendra l'illustrateur en 1949. Dineur quitte le titre en 1951 ; il est remplacé par Henri Gillain alias Luc Bermar (1913-1999) et par Albert Desprechins (1927-1992), avant que Maurice Rosy s'installe jusqu'en 1969 ("Tif rebondit").
"Tif et Tondu contre la Main blanche", puis "La Main blanche", lors de sa réédition en 1987, fut en premier lieu publié dans le périodique "Spirou" du nº873 du 6 janvier 1955 au nº894 du 2 juin 1955, puis sous forme d'album chez Dupuis en janvier 1956. C'est le quatrième tome de la seconde série classique. Rosy, qui succède à Desprechins, en écrit le scénario et Will en assure la partie graphique : le dessin, l'encrage, et la mise en couleur.
La mer Méditerranée, par une belle pleine lune. Sur le pont du SS Casablanca, Tif et Tondu discutent ; Tondu est satisfait des vacances qu'ils viennent de passer au Maroc. Le scaphandre de Tif leur a permis de s'amuser. Tif, lui, est moins enthousiaste : sans le bateau qui va avec, impossible de profiter pleinement d'un scaphandre. Or, s'ils avaient eu un petit yacht, ils auraient pu plonger en pleine mer. Tondu lève les bras au ciel : Tif n'est jamais content ! Et puis, ils n'avaient plus assez d'argent pour acheter un yacht. Et pourquoi pas un bathyscaphe tant qu'on y est ? Tif retrouve le sourire. Oui, pourquoi pas ? Ils pourraient s'installer sur une plage ; ils y prendraient des touristes à bord, et ils pourraient gagner de quoi se payer leur yacht. Soudain, visiblement choqué, Tondu arrête son complice, et désigne une main inerte qui dépasse de l'une des chaloupes de sauvetage. Tif lui fait la courte échelle afin qu'il puisse examiner le canot...
Avec "Tif et Tondu contre la Main blanche", le changement s'implante. Rosy (1927-2013) s'empare du poste de scénariste ; il commettra avec Will douze albums de "Tif et Tondu" entre 1956 et 1969. Pour son premier recueil, il met les deux larrons sur la piste d'une bande internationale. L'intrigue est lancée sur la base d'un quiproquo, méprise qui leur fera gagner un ennemi juré : le charismatique, mystérieux, et insaisissable Choc. Cette aventure se démarque des trois précédentes par son ambition. La Main blanche (jeu de mots sur la Mano Nera) étonne de par son ampleur : ses opérations s'étendent au moins sur trois continents (Europe, Asie et Amérique), où elle a des sicaires équipés et entraînés, dispose de moyens techniques et technologiques impressionnants (avion à réaction, sous-marin, hélicoptère ou bateaux). C'est une organisation criminelle bien huilée, gérée par la poigne de fer de Choc ("Je ne permets aucune erreur dans mon organisation"), dans laquelle Tif et Tondu, malgré eux, viennent déposer un imprévisible grain de sable, s'attirant ainsi l'éternelle inimitié de l'homme au heaume. Tombant de Charybde en Scylla, les héros passent de la mer Méditerranée au Cambodge puis aux États-Unis, dans un périple dense, à la cadence élevée. La linéarité de la narration est à peine perceptible, tant Rosy multiplie les rebondissements inattendus, dont le dernier (une référence à l'opération Paperclip et à la course à l'espace) est néanmoins de trop et ôte un peu de sa cohérence à un ensemble qui était particulièrement solide jusque là. Si le virage policier est bien réel, l'humour reste très présent : le pragmatisme du chef des pirates, la vedette de cinéma. Enfin, avec cet adversaire récurrent, Rosy annonce aussi la mise en place d'une continuité plus importante. Quant à la partie graphique, elle montre quelques très légères évolutions dans le trait de Will, notamment dans la représentation de la perspective avec l'utilisation de cadrages plus osés (le canot de police approchant le paquebot en planche 4) et le niveau de détail des compositions. Par exemple, les vagues (planche 6), le salon de Choc (en 8) ou la console et le tableau de bord (en 11). Le découpage est un modèle de clarté ; Franquin en aurait réalisé un segment à l'invitation de Rosy qui trouvait que les dessins de Will étaient "trop statiques". La densité des cases change aussi : l'artiste passe de cinq bandes (voir "Oscar et ses mystères") à quatre ici. Une bande compte deux à trois cases maximum ; les planches sont donc moins chargées. Will structure encore ses bandes et vignettes en gaufrier.
Malgré de légers défauts, "Tif et Tondu contre la Main blanche" est une bande dessinée d'aventure de qualité qui voit naître monsieur Choc, un personnage culte. Rosy, d'emblée, frappe un grand coup et parvient à offrir à la série une ampleur nouvelle.
Mon verdict : ★★★★☆
Barbüz
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Ainsi donc voici le premier album écrit par Maurice Rosy : du coup je suis allé relire son article wikipedia et j'ai été très surpris de (re)découvrir (si je l'avais déjà lu, je ne m'en souviens plus) qu'il a commencé par être dessinateur amateur, avant de devenir scénariste, avant de devenir illustrateur de livres pour enfants, là où j'avais découvert ses dessins en lisant un livre à ma fille. De ton article, je comprends qu'il a mis le paquet pour son premier scénario sur la série, et en plus c'est lui a créé Monsieur Choc.
RépondreSupprimerLes planches sont moins chargées. - Je compatis au ressenti des pages chargées : je suis en train de lire des épisodes de comics du milieu des années 1970, et là ce sont les phylactères et les cartouches qui sont chargés. C'est assez provocateur d'inviter un autre artiste sur la série pour montrer comment il faut faire à l'artiste en pied. :) Cela constitue un beau défi de raconter autant avec moins de cases par page.
J'avais été lire l'article concernant Will, moi aussi ; ce qui m'a étonné, c'est qu'il n'a écrit que douze albums de "Tif et Tondu", alors que je pensais qu'il était resté plus longtemps que ça sur la franchise.
SupprimerLes planches chargées ne me gênent pas ; après tout, je mets Jacques Martin sur un piédestal, comme tu le sais, et tu te souviens que nous avions maintes fois discuté de l'incroyable densité de ses planches, surtout dans les "Alix" des premières années.
Ici, je suis surtout attentif à l'évolution du travail de Will d'un tome à l'autre, et pour le moment, je ne note aucune évolution franche, à peine quelques éléments très progressifs. Ses personnages sont déjà aboutis (ils sont peut-être encore un peu ronds), mais j'ai l'impression qu'il reste prudent dans son expérimentation d'un quadrillage différent.