vendredi 9 octobre 2020

Barbe-Rouge (tome 4) : "Défi au roy" (Dargaud ; juillet 1964)

Créée en 1959 par les Belges Jean-Michel Charlier (1924-1989) et Victor Hubinon (1924-1979), "Barbe-Rouge" est une série de bande dessinée sur la piraterie, dont l'action se déroule sous le règne de Louis XV. Elle a un historique de publication confus, entre les redécoupages de récits pour les albums, les changements d'éditeurs, etc. Elle est prépubliée entre octobre 1959 et juillet 1968 dans "Pilote". Les histoires postérieures sortent directement en albums puis la série retrouve le format magazine avec "Super As" en 1979. "Barbe-Rouge" survit aux morts de Hubinon et de Charlier. En août 2020, une relance du titre voit le jour chez Dargaud : "Les Nouvelles Aventures de Barbe-Rouge"
"Défi au roy" est le quatrième tome du titre ; c'est la suite du "Fils de Barbe-Rouge". Charlier en a écrit le scénario. Hubinon en a produit les dessins, l'encrage, ainsi que la mise en couleur. C'est un album au grand format (22,6 × 29,8 centimètres) et à la couverture cartonnée ; il comprend quarante-six planches. 

À l'issue du tome précédent, Éric tue le comte d'Argout - son cousin - en combat singulier, éliminant tout espoir de retrouver ses nom et rang ; il épargne Solange et part avec Barbe-Rouge. 
Une nuit, au large des côtes normandes. La vigie du Faucon noir aperçoit le signal : le capitaine est de retour ! Le lieutenant espère que le mauvais temps n'empêchera pas leur canot d'accoster. À terre, au pied des falaises, Barbe-Rouge, Éric, et leurs hommes attendent l'embarcation. Pour Éric, le moment est venu de se décider. Et c'est tout réfléchi : c'est vrai, Barbe-Rouge l'a sauvé d'un sort tragique, il ne l'oubliera jamais. Mais malgré toutes les injustices qu'il a subies, il ne veut pas renouer avec la vie de hors-la-loi. Barbe-Rouge s'emporte. Son fils adoptif est recherché. Il ne récupèrera ni titre ni héritage et n'est qu'un "capitaine sans nom". Éric réplique qu'il redeviendra dom João... 

Dans ce tome, Charlier achève de fâcher Éric/Thierry avec le royaume de France et surtout avec la vie d'honnête homme. Ayant déjà subi un vilain revers dans le volet précédent, le héros est à nouveau face à des antagonistes sans le moindre scrupule dans une affaire qui terminera de ruiner son désir d'une existence aux antipodes de celles de son père adoptif. Charlier conçoit un scénario rocambolesque, équilibré dans l'ensemble, et dans lequel il arrive à éviter l'écueil d'une linéarité pesante grâce à un chapelet de retournements de situations bien pensés - recette que l'auteur parvient à appliquer jusqu'à la fin de ce volume qui semble décidément bien court à la lecture. Cette histoire fera voyager le fils de Barbe-Rouge : des côtes bretonnes à celles d'Afrique du Nord, et de Saint-Malo à Alger. Certaines scènes (notamment avec les gendarmes royaux) rappelleront instantanément "Le Fils de Barbe-Rouge". En plus des quelques ellipses qui ressemblent trop à des raccourcis, intrigue et narration comportent un point faible majeur : l'accumulation de coïncidences - heureuses ou pas - qui résultent en un certain nombre d'invraisemblances. Il y a, par exemple, ce matelot qui a "bien connu" les São Martin et bien sûr la présence d'Aïcha, dont le destin reste finalement en suspens. Outre les tribulations d'Éric/Thierry, le scénariste évoque les corsaires barbaresques et l'esclavage des captifs, sauf s'ils acceptaient de se convertir à l'islam ou qu'une rançon (souvent astronomique) ne soit payée - ici, ce point est central dans l'histoire. La situation est intéressante, car elle soumet Éric personnellement aux exactions de son père adoptif. Voilà une belle leçon de vie ! Texte et dialogues sont à nouveau soignés. Charlier distille çà et là des termes techniques qui démontrent qu'il a effectué quelques recherches. Enfin, voici encore une aventure de Barbe-Rouge sans Barbe-Rouge : le flibustier n'apparaît en effet que dans les deux premières planches. Les lecteurs ont hâte de voir père et fils renouer et écumer les mers - ensemble. Hubinon réalise une partie graphique réussie. Le niveau de détail des décors, extérieurs ou intérieurs et quelles que soient les dimensions des vignettes, sera apprécié : le bureau des armateurs de Kermadieu, les broderies et ornements de vêtements, notamment arabes, etc. Certains seront surpris par les formats étriqués des cases, qui s'imbriquent dans un découpage traditionnel, presque en gaufrier. Hubinon (qui n'a pas encore quarante ans à cette époque) ne montre là aucune volonté d'expérimentation, d'originalité, ou de sophistication quelconque. 

"Défi au roy" souffre de coïncidences qui sont bien trop hasardeuses pour être vraisemblables. Charlier était peut-être moins inspiré ou sans doute souhaitait-il tourner la page de cette tentative ratée de retour à la vie honnête de la part d'Éric/Thierry. 

Mon verdict : ★★★☆☆

Barbüz
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2 commentaires:

  1. Une suite de coïncidences bien pratiques : je me souviens que j'avais fini par remarquer ça dans des romans jeunesse que je pouvais lire et dans quelques comics. Un artifice narratif bien pratique.

    Le format étriqué des cases : parfois le niveau de détails dans une case de BD ou de comics me fait me demander quelle est la taille de leur planche pour qu'ils arrivent à ce degré de précision. Je me souviens également d'avoir vu des photographiques d'artistes dessinant à la loupe pour pouvoir atteindre le degré de précision qu'ils recherchent.

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    1. L'aspect pratique des coïncidences ne me gêne pas, tant que le lecteur n'a pas le sentiment d'avoir été pris pour une truffe - que ce soit sa propre perception ou pas.
      Bon, ce tome est l'un des moins intéressants jusqu'ici ; j'attends d'avoir un peu de recul avant de trancher la question de son importance dans la série.

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