mardi 3 novembre 2020

Bouncer (tome 6) : "La Veuve noire" (Les Humanoïdes associés ; juin 2008)

Publié en juin 2008, "La Veuve noire" est le sixième numéro de "Bouncer", la série française de western créée par Alejandro Jodorowsky et François Boucq ; bien que Jodorowsky l'ait quittée au neuvième volume ("And back" : 2013), elle est toujours en cours à ce jour. Désormais, Boucq en assure les scénarios en plus des dessins. Les sept premiers volumes sont sortis chez Les Humanoïdes associés, le huitième et la suite, chez Glénat. 
C'est Alejandro Jodorowsky qui écrit le scénario de ce recueil de cinquante-quatre planches ; le Franco-Chilien est célèbre, entre autres, pour "L'Incal", "Les Technopères", "La Caste des Méta-Barons"... Les illustrations sont du Lillois François Boucq. Grand prix 98 de la ville d'Angoulême, il a travaillé sur "Little Tulip", "Le Janitor", "XIII Mystery", ou "Bouche du diable", par exemple. Il façonne la mise en couleur avec Sébastien Gérard

À l'issue du tome précédent, Bouncer érige une sépulture à son défunt père puis gagne la course contre l'ombre de la "Main du diable" et devient le gardien du territoire sacré de la tribu. 
Par une belle journée ensoleillée, cinq cavaliers amérindiens - Toro Negro à leur tête - arrivent en vue de la Main du diable. Ils continuent leur route en direction de Barro-City. Au même moment, des parents et des enfants se sont attroupés à l'arrêt de la diligence. Ils brandissent des banderoles ; ils attendent leur nouvelle institutrice. Ah, ça y est, la voilà ! Un notable lui souhaite la bienvenue, au nom des parents et des élèves de Barro-City ; la jeune femme, visiblement touchée, le remercie. Alors que le cocher dépose ses bagages, une colonne de soldats en uniformes de cavalerie, menée par un certain Gallagher, traverse la ville. Ils continuent jusqu'à la sortie de Barro-City, où ils croisent Toro Negro et ses hommes. Gallagher et Toro se connaissent, semble-t-il ; les insultes fusent, et sans attendre... 

Avec "La Veuve noire", les auteurs inaugurent ce qui est un nouveau diptyque, a priori. Le cadre de l'histoire ne change pas : Barro-City. Les lecteurs habitués à la série savent qu'il faut s'attendre, tôt ou tard, à un déclenchement de sauvagerie. Il arrive assez vite, avec des scènes choquantes de crimes de guerre. Si elles sont inspirées de faits réels, dont les massacres de Bear River (1863) ou de Wounded Knee (1890) pour n'en citer que quelques-uns, elles pourront également faire écho à une histoire plus moderne. Jodorowsky précipite son personnage au cœur d'une énième tragédie ; au cœur de celle-ci - comme lors de l'arc précédent - se trouvent des femmes. Si Antoine Grant a quitté Barro-City, son office accompli, Yin Li persiste, au grand dam de sa mère, à exprimer sa souffrance par sa prose profondément amoureuse, aussi poétique qu'hallucinée, un délice. Jodorowsky introduit ici trois nouvelles protagonistes : l'Amérindienne Sakajawea, la fille de Toro Negro, assoiffée de vengeance ; la mystérieuse Carolyn Harten, qui subjugue tous les mâles de son entourage ; et enfin l'institutrice, très consciente de l'unique richesse qu'elle possède. Les personnages masculins ne sont pas en reste, avec l'inénarrable Axe-Head, olibrius colossal, caricatural et ridicule autant que bestial et violent, qui élève ses rejetons dans le crime, le vice et le meurtre, et qui ne se soumet qu'à une seule loi, celle de sa patronne, qui a un ascendant sur lui - et sur d'autres - encore inexplicable. Jodorowsky affiche à nouveau son mépris des bourgeois et des notables, qu'il dépeint comme disposés à s'assujettir à toute forme d'autorité pour peu que cela leur garantisse une certaine sécurité relative et ne perturbe pas le cours de leur existence. L'humour noir et grinçant de l'auteur est sous-jacent. Si certaines scènes sont franchement drôles (conf. le moment du bain, avec Huainan Zi), d'autres visent à créer le malaise chez les lecteurs. La linéarité du récit est sans lourdeur, Jodorowsky sachant cultiver l'art de la surprise - qu'il mêle à de folles séquences d'action débridée - en excellent conteur qu'il est. Ce n'est sans doute qu'une impression, mais le trait de Boucq semble moins net qu'à l'ordinaire. La mise en couleur paraît avoir gommé ou recouvert quelques détails çà et là. C'est notamment sensible dans les paysages, ou dans les scènes avec de multiples figurants. Le crayon se fait plus acéré dans les plans plus rapprochés. Cela dit, la partie graphique reste globalement très satisfaisante, et c'est à peine si les lecteurs s'attarderont sur ces quelques cases un peu moins polies qu'à l'habitude. 

"La Veuve noire" correspond au canon du titre : de l'outrance, une bonne dose de sauvagerie et de violence, du rythme, et des surprises. Le côté baroque est peut-être l'élément de nouveauté de ce diptyque qui s'annonce d'ores et déjà très prometteur. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz
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2 commentaires:

  1. Des femmes, un mélange d'ethnie assez important si j'en crois les noms (Yin Li, Skajawea, Toro Negro, Haainan Zi) : l'auteur a l'air d'avoir soigné la diversité culturelle de manière organique, sans se forcer.

    Le nom de Sakajawea m'a mis la puce à l'oreille car un personnage de la série Manifest Destiny (de Chris Dingess & Matthew Roberts) en porte un à la consonnance très proche. Je suis allé vérifier sur wikipedia : il s'agit bien d'une référence culturelle.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Sacagawea

    La série en question

    https://www.amazon.fr/Manifest-destiny-T03-Chiropt%C3%A8res-carnivores/dp/2756093262/ref=cm_cr_srp_d_product_top?ie=UTF8

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    1. Effectivement, cette diversité culturelle - en fait, diversité tout court - est un point que je soulignais aussi dans le tome précédent.
      Merci pour la référence culturelle ; je n'avais pas été chercher plus loin. Ainsi que pour le titre de cette série, "Manifest Destiny", dont je n'avais encore jamais entendu parler.

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