mardi 17 novembre 2020

Harry Dickson (tome 4) : "Le Royaume introuvable" (Dargaud ; mai 1994)

"Harry Dickson" est une série de bande dessinée qui met en scène les aventures du personnage rendu célèbre par l'écrivain gantois Raymond De Kremer, alias Jean Ray (1887-1964) ; celle-ci - car il y en a deux autres, dont une produite par Richard Nolane et Olivier Roman - fut créée en 1985, par les Bruxellois Christian Vanderhaeghe et Pascal Zanon (1943-2017). "Harry Dickson" sera leur unique incursion aboutie en bande dessinée. 
"Le Royaume introuvable" est le quatrième tome du titre (toujours en cours à ce jour - a priori) ; c'est un ouvrage cartonné de quarante-six planches paru chez Art & BD, une diffusion Dargaud, en mai 1994. Le scénario est écrit par Vanderhaeghe ; les illustrations sont réalisées par Zanon. Il travaillera sur le titre jusqu'en 2014, avant de transmettre le témoin à Philippe Chapelle. Quant à la mise en couleur, elle n'a pas été créditée. 

Le port d'Anvers, au milieu des années trente. Le paquebot Anversville vient d'accoster. Son dernier passager, un homme en imperméable, coiffé d'un feutre mou, en descend. Le capitaine du bateau le salue par son titre - "professeur" - et l'informe qu'il n'y a personne après lui. Ils se serrent la main, et l'inconnu met pied à terre sur le quai nº21. Plus loin, deux gangsters le surveillent de leur automobile. Impatient à force d'attendre, l'un d'eux est soulagé d'avoir leur cible en vue. Le voyageur ne les a pas aperçus. Portant une valise, il traverse la grand-place de la ville, soucieux d'éviter les taxis ; il passe devant la statue de Silvius Brabo. Après avoir demandé à un quidam s'il se trouvait au bon arrêt, il prend le tramway de la ligne 2, en direction de la gare. Il choisit de rester debout sur le marchepied. Le tram parcourt les grandes artères de la cité, suivi par le coupé Minerva des bandits. Ces derniers ont bien l'intention d'alpaguer le professeur dès qu'il descendra. Mais celui-ci les remarque enfin. Comment diable ont-ils pu retrouver sa piste ?... 

"Le Royaume introuvable" est l'adaptation de la nouvelle éponyme publiée en 1933 dans le quatre-vingt-dix-huitième des cent soixante-dix-huit volumes du titre. Après deux albums dans lesquels Dickson était aux prises avec une organisation criminelle ayant des liens avec les régimes fascistes puis un autre dans lequel le Royaume-Uni et la France étaient au cœur d'un complot orchestré par des officiers des armées du Soleil-Levant, on assiste à une évolution du registre : voilà un épisode qui concilie histoire de gangsters, énigme archéologique et chasse au trésor. En cela, "Le Royaume introuvable" s'inscrit dans la lignée de récits d'aventures tels que "Le Mystère de la Grande Pyramide", avec lequel il a des points communs (l'œuvre de Ray est chronologiquement antérieure, cependant) ; le texte comporte d'ailleurs un clin d'œil au diptyque d'Edgar P. Jacobs (le fameux "Par Horus, demeure !"). Il est probable que les grandes découvertes archéologiques du début du vingtième siècle (la découverte de Machu Picchu en 1911, et celle du tombeau de Toutankhamon en 1922) aient largement influencé les auteurs de romans populaires, y compris Jean Ray, qui évoque ici la figure légendaire d'Alexandre le Grand. L'album se divise en deux actes. Le premier (une petite trentaine de planches) se déroule principalement à Paris. Dickson et Wills s'y confrontent au crime organisé ; ce chapitre aurait été impec si Vanderhaeghe n'avait pas essayé d'imiter Michel Audiard en utilisant abondamment de l'argot parisien dans sa prose. Notons d'ailleurs le clin d'œil à Louis Jouvet et "Quai des Orfèvres". Combiner "Indiana Jones" et "Les Tontons flingueurs" est une gageure, hélas. Ici l'effet est drôle, mais presque ridicule, au fond. Il prive la série de cette atmosphère lugubre et mystérieuse qui fait son charme. Le second acte se déroule dans le désert du Djourab, au Tchad. La narration se compresse, le rythme s'accélère subitement, les invraisemblances se multiplient et plusieurs questions (le crâne géant, la nature du secret dans la cartouche) resteront sans réponse, un défaut récurrent de ce titre. En revanche, l'action est au rendez-vous avec une très énergique scène de bataille. Les dessins exhibent des postures plus naturelles qu'à l'habitude, mais les visages sont sans relief. Plusieurs compositions émerveillent par le niveau de détail, telle la séquence du quai de Valmy. Le soin prodigué aux bâtiments et aux véhicules (aéronefs, blindés, ou voitures) est épatant, bien que deux modèles d'automobiles soient anachroniques : cette sublime Phantom Corsair et la Berliet VIRP 2 Dauphine

Vanderhaeghe écrit une histoire divertissante, somme toute, malgré des effets de style particulièrement lourds dans le premier acte, et les trous qui subsistent dans la trame dans le deuxième. La partie graphique est fidèle à ses défauts et ses qualités. 

Mon verdict : ★★★☆☆ 

Barbüz 
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2 commentaires:

  1. Ton commentaire fait ressortir à la fois à quel point l'intrigue est tributaire du matériau original (les grandes découvertes archéologiques) et à quel point le scénariste apporte sa propre touche dans l'adaptation (visiblement pas forcément heureuse pour les dialogues et le rythme du récit).

    Tes observations sur les dessins me font dire que l'artiste échoue à faire du EP Jacobs pour les personnages, tout en se montrant plus détaillé dans les décors et les accessoires.

    Etonnant qu'en 1994, les auteurs n'aient pas réussi à éviter l'anachronisme concernant les modèles de voiture, même si le travail de recherches ne devait pas être aussi facile que de nos jours les encyclopédies en ligne.

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    1. Je crois qu'après quelques tomes, il faut se rendre à l'évidence : la BD "Harry Dickson" ne mérite peut-être pas la réputation qu'elle a. Ou alors ce sont les nouvelles de Ray, qui ont une réputation culte.
      Concernant les voitures, ça m'a surpris aussi. En fait, aucune date précise n'est mentionnée, ce qui laissait à Zanon une certaine marge de manœuvre, mais malgré tout il y a quelques indications qui laissent penser que l'histoire se déroule en 1935-1936, soit deux à trois années avant la mise en production de ses deux modèles.

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