mercredi 6 janvier 2021

Barbe-Rouge (tome 5) : "Les Révoltés de l'Océane" (Dargaud ; juillet 1965)

Créée en 1959 par les Belges Jean-Michel Charlier (1924-1989) et Victor Hubinon (1924-1979), "Barbe-Rouge" est une série de bande dessinée sur la piraterie, dont l'action se déroule sous le règne de Louis XV. Elle a un historique de publication confus, entre les redécoupages de récits pour les albums, les changements d'éditeurs, etc. Elle est prépubliée entre octobre 1959 et juillet 1968 dans "Pilote". Les histoires postérieures sortent directement en albums puis la série retrouve le format magazine avec "Super As" en 1979. "Barbe-Rouge" survit aux morts de Hubinon et de Charlier. En août 2020, une relance du titre voit le jour chez Dargaud : "Les Nouvelles Aventures de Barbe-Rouge"
"Les Révoltés de l'Océane" est le cinquième volet des trente-cinq du titre. Charlier en a écrit le scénario et le texte. Hubinon en a composé les illustrations, l'encrage, ainsi que la mise en couleur. C'est un album grand format (22,6 × 29,8 centimètres) à la couverture cartonnée ; il comprend quarante-six planches. 

À l'issue du tome précédent, Éric est marqué d'une fausse flétrissure par le bourreau, soudoyé par les frères de Kermadieu. Il est enchaîné aux autres condamnés. On les envoie aux galères. 
Toulon, bassin des galères. Des condamnés viennent d'arriver ; ils vont compléter le banc de rameurs de l'Océane, une galère flambant neuve qui s'apprête à appareiller pour son premier voyage. La chiourme est enchaînée. Parmi eux, Éric / Thierry de Montfort et un bagnard costaud qui répond au surnom de Tête-de-Bœuf ; impressionné par leur stature, le capitaine regrette que les autres ne soient pas aussi solides. Il s'enquiert de leurs noms. Éric est présenté comme le fils de Barbe-Rouge ; quant au colosse, c'est l'un des brigands de Cartouche. Le capitaine est intrigué : il estime qu'Éric n'a pas le faciès d'un criminel. Le jeune homme bondit sur l'occasion pour clamer son innocence... 

Cette aventure, avec "Révoltés" dans son titre, ne laisse guère de doute au sujet de sa nature. Il est vrai qu'il s'agit d'une histoire de mutinerie, mais elle est aussi bien plus que cela. Détaillons la structure. L'introduction occupe six pages, dans desquelles Charlier - il s'est visiblement documenté - tente de familiariser les lecteurs avec les spécificités de la galère : son vocabulaire, son fonctionnement, et ses équipements. Cela pourra nuire au plaisir de lecture tant les renvois aux définitions dans des cartouches sont fréquents. Charlier en profite - la ficelle est épaisse - pour introduire Baba. La justification de la présence de ce dernier ne convainc pas entièrement. Vient ensuite le premier acte : un piège dans lequel le capitaine de l'Océane, à la poursuite d'un corsaire barbaresque, tombe en péchant par orgueil. Ces douze pages pleines de suspense sont intéressantes : sans entrer dans les détails, Charlier évoque l'occupation de la Grèce par les Ottomans et les exactions de ces derniers, et Éric reçoit une aide inespérée à bord. Second acte : la mutinerie et le combat. La tension cède la place à l'action avec une joute navale plus spectaculaire par ses effets et ses aspects tactiques que par les forces engagées. Dans ces huit pages, Charlier et Hubinon utilisent des croquis afin de représenter schématiquement les mouvements de chaque navire : une excellente idée, qui permet de mieux visualiser les manœuvres de l'Océane et de ses ennemis. Troisième chapitre : la poursuite. Curieusement, les Ottomans sont victimes d'un subterfuge similaire à celui qu'ils avaient employé pour piéger l'Océane. Retour de la tension dans un round d'observation. Les schémas tactiques cèdent la place aux cartes géographiques avec indications des itinéraires. Six pages. L'acte suivant est témoin de toute l'audace d'Éric ; les lecteurs exigeants estimeront que la partie est aisée. Après une seconde poursuite et le règlement de comptes vient l'épilogue ; la clémence de l'autorité royale pourra étonner, mais elle est justifiée. Charlier, en conteur talentueux, écrit une histoire spectaculaire, généreuse en action, avec son lot de surprises. De son trait sûr et régulier, Hubinon livre les illustrations dans un découpage clair. Le niveau de détail de ses dessins force le respect. Notons aussi son travail sur les uniformes et les costumes. Ses navires sont magnifiques, bien que les quadrillages soient trop serrés pour les compositions d'envergure. L'artiste, en revanche, a tendance à employer certains types de plans trop fréquemment. La mise en couleur pose sur ses visages un voile terne - presque sale. 

"Les Révoltés de l'Océane" a pour originalité d'évoquer les galères et la présence ottomane en Méditerranée, sur mer et au sol. Malgré quelques facilités scénaristiques et l'absence du principal intéressé une fois de plus, voilà une jolie course-poursuite. 

Mon verdict : ★★★★☆

Barbüz 
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2 commentaires:

  1. Je suis très impressionné par ton analyse sur la narration visuelle : découpage, niveau de détails, costumes d'époque et les navires. En te lisant je me dis que c'est un élément prépondérant dans le plaisir de la lecture, presqu'à niveau égal avec l'intrigue.

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    1. Merci du complément, cher Présence.
      Tu as raison. Hubinon, pour ne parler que de lui, savait y faire question détail, et cela se vérifie à chaque album. Rien que les chapeaux et les coiffes, par exemple. Une qualité que l'on retrouve aussi - peut-être davantage, d'ailleurs, sans doute à cause des avions - dans "Buck Danny". Cet élément ajoute effectivement un plaisir supplémentaire à la lecture.

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